Sophie Peyrard : "Céline Dion, Whitney Houston et Mariah Carey ont été violemment critiquées"

Avec leurs capacités vocales exceptionnelles, leur charisme indéniable et leurs morceaux mythiques, Whitney Houston, Céline Dion et Mariah Carey sont entrées dans la légende. Ces célébrités sacralisées composent désormais la trinité vocale. Dans son documentaire "Divas des 90's", diffusé le 31 mai à 22h25 sur Arte, Sophie Peyrard s'intéresse au phénomène de la diva des années 90, à travers le parcours incroyable de ces trois immenses stars. Entretien avec la réalisatrice.

Sophie Peyrard : "Céline Dion, Whitney Houston et Mariah Carey ont été violemment critiquées"
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On a tous quelque chose en nous... de Céline Dion, Mariah Carey et Whitney Houston. Qui n'a jamais fredonné l'une de leurs célèbres mélodies ? Qui ne s'est jamais surpris à frissonner devant leurs voix de cristal ? Ces trois papesses de la musique pop ont marqué toute une génération (et davantage) avec leur aura et se sont rapidement hissées au rang de divas. Dans son documentaire Divas des 90's, diffusé le 31 mai à 22h25 sur Arte, Sophie Peyrard décrypte l'évolution de la perception des divas à travers les années en brossant les portraits de Céline Dion, Mariah Carey et Whitney Houston. Ces chanteuses mondialement connues ont été sacralisées et placées au-dessus du commun des mortels avec leurs millions d'albums vendus et leurs salles de concert remplies. Mais les divas sont également réputées pour leurs exigences parfois démesurées. Leur image a souvent été entachée par des critiques virulentes. Aujourd'hui, le public les perçoit différemment. Explications avec Sophie Peyrard, réalisatrice de ce long-métrage passionnant. 

Le Journal des Femmes : Comment vous êtes-vous intéressée au sujet des divas de la pop des années 90 ?
Sophie Peyrard :
Je n'étais pas du tout fan de "la trinité vocale" ( Céline Dion, Mariah Carey et Whitney Houston), mais j'ai commencé à m'intéresser à ce phénomène lors de l'anniversaire des 40 ans de la mort de la Callas. J'ai vu le documentaire de Tom Wolf, Maria By Callas. C'est là que j'ai compris à quel point cette diva avait marqué la société d'aujourd'hui et inspiré les stars actuelles avec son aura… Je me suis dit : "Avant, nous avions Maria Callas et maintenant, c'est Mariah Carey." A-t-on les divas que l'on mérite ? Les divas existent-t-elles encore ? Cela fait-il encore sens de surnommer ces femmes ainsi ? N'est-ce pas un peu excessif ? C'était une panoplie de questions auxquelles je souhaitais répondre. Je me suis dit qu'il y avait autre chose à dire sur ces chanteuses que l'on a tendance à trop encenser ou trop critiquer.

Quelles sont les différences entre les "anciennes" divas telles que Maria Callas, et celles des temps modernes comme Céline Dion, Whitney Houston et Mariah Carey ?
Sophie Peyrard :
Céline Dion, Mariah Carey et Whitney Houston ont commencé leur carrière dans un monde qui était complètement globalisé. C'était le début de MTV et du clip. Si l'on allumait cette chaîne, les trois chanteuses passaient en boucle. Elles vendaient des millions d'albums à travers le monde. Céline Dion est connue à Taïwan, en Inde, en Europe… Les stars de la trinité vocale étaient très marketées, les maisons de disques étaient surpuissantes. Pour Maria Callas, cette notion de "produit mondialisé" était beaucoup moins vraie. 

Quelle a été la recette du succès de cette trinité vocale ? Qu'est-ce qui les a hissées au rang de diva ?
Sophie Peyrard :
Elles avaient une voix exceptionnelle et la capacité de toucher un large public. Par exemple, le mélisme (fait d'entonner plusieurs notes sur la même syllabe d'un mot, NDLR) a touché un public à la fois noir et blanc. Les mélodies de leurs chansons sont également faciles à retenir. Elles se sont aussi un peu réinventées : Mariah Carey a pris un tournant plus hip-hop dans les années 2000, Céline Dion a lancé sa résidence Las Vegas… À l'époque, les critiques fusaient : tout le monde disait qu'elle était folle de se lancer dans cette aventure, mais finalement, l'expérience a réussi et d'autres stars comme Lady Gaga ou Janet Jackson l'imitent à présent. Les divas ont pris des risques qui leur ont permis de ne pas s'épuiser.

Dans sa chanson Diva, Beyoncé chante : "Une diva est la version féminine d'un hustler  (littéralement 'ambitieux, carriériste')"... Êtes-vous d'accord avec cette définition ?
Sophie Peyrard :
Je suis complètement d'accord avec Beyoncé (rires) ! Je pense qu'aujourd'hui, le terme "diva" va être "reclaimed", c'est-à-dire réinvesti. Le mot "diva" peut être perçu négativement, mais si l'on se revendique soi-même comme telle, et que l'on associe ce terme à une notion de force et puissance, cela le vide de son sens péjoratif.

Cette chanson soulève également un point intéressant. Il n'existe pas de réel équivalent masculin au mot  "diva"…
Sophie Peyrard :
Le terme a existé au début de l'opéra italien, à l'époque, les femmes n'avaient pas le droit de monter sur scène. On appelait les chanteurs lyriques des "divos". Puis, ils ont été remplacés par les divas. Effectivement, on pourrait reprendre ce terme aujourd'hui pour désigner les artistes masculins ! Le mot "diva", grâce à des femmes comme Beyoncé, est en train de changer de signification. Même le regard que l'on a face aux divas a évolué. Les critiques étaient très violentes à la fin des années 90 et jusqu'au début des années 2000. On les ringardisait. Aujourd'hui, les extravagances de Céline Dion, par exemple, sont mieux acceptées. Elle a posé pour la couverture du ELLE américain de juin 2019. Il y a 10 ans, aurait-on pensé que Céline Dion serait une icône de mode que l'on mettrait en couverture d'un tel magazine ? Je ne suis pas sûre. J'ai l'impression qu'aujourd'hui, on accepte mieux ces divas avec leurs faiblesses.

Peut-être est-ce en partie la conséquence de l'avènement d'Instagram et autres réseaux sociaux, on se sent plus proche de ces stars que l'on mystifie moins… On découvre qu'elles ont des défauts, des imperfections et des faiblesses.
Sophie Peyrard :
Complètement. Mariah ou Céline se montrent comme elles sont sur les réseaux sociaux, d'ailleurs parfois, on est un peu mal à l'aise, on a envie de leur dire : "Ça, il ne vaut mieux pas le montrer !" (rires). En même temps, elles ont raison, puisqu'elles continuent de cartonner, elles vendent toujours autant de disques et ont une énorme fan base. Elles sont plus naturelles, moins "guindées" que certains artistes plus jeunes qui ont besoin d'asseoir une certaine image. À une époque où tout est contrôlé et vu par le prisme du storytelling, ces stars nous transmettent un peu d'authenticité. C'est étonnamment rafraîchissant !

Dans l'inconscient collectif, une diva a forcément un caractère autoritaire et des exigences hors-normes. Ce raccourci témoigne-t-il d'un sexisme ambiant ? 
Sophie Peyrard :
Effectivement, être une femme et avoir des exigences joue un peu contre soi. Arriver à de tels niveaux de succès demande beaucoup de travail et une certaine force de caractère. Au lieu d'admirer cette détermination, on a tendance à la percevoir comme un défaut. Comme le dit Carl Wilson, un critique rock que j'ai interviewé dans le documentaire, quand Mick Jagger fait des demandes complètement extravagantes, le problème ne se pose pas. Quand Céline Dion ou Jennifer Lopez demandent des choses précises, on les traite tout de suite de divas. Le groupe Van Halen était connu pour exiger que l'on enlève tous les M&Ms marron des paquets en loge. Aujourd'hui, on appelle cela "la clause M&Ms", on trouve ça drôle. Le traitement n'est pas le même pour les hommes et les femmes.

Aujourd'hui, les "critères" à remplir pour être considérée comme une diva sont en train d'évoluer...
Sophie Peyrard :
Dans les années 90, la diva devait fédérer et ne pas faire de vagues… Aujourd'hui, ce n'est plus d'actualité. Par exemple, Beyoncé n'a pas ce côté lisse. Elle a des convictions et les clame haut et fort, chose qui était impossible dans les années 90. On ne pouvait pas être une diva, donc s'adresser à un large public et avoir un discours politisé. C'est pour cela que l'on chantait l'amour, puisque ce n'est pas polarisant, c'est indolore… Mais une nouvelle forme de diva est en marche !

Ne manquez pas le documentaire Divas des 90's, de Sophie Peyrard, vendredi 31 mai à 22h25, sur Arte. Un long-métrage édifiant qui décrypte l'ascension des stars qui composent la "trinité vocale" : Céline Dion, Whitney Houston et Mariah Carey.