Jane Birkin : "Je ne me suis jamais aimée"
Mettre des mots sur la douleur, chanter la mélancolie, parler de sa fille décédée Kate Barry... La rencontre avec Etienne Daho a "sauvé" Jane Birkin et lui a permis de mettre en musique ses souvenirs, ses ressentis, mais aussi son désir de vie. Album le plus intime, le plus personnel de discographie, "Oh Pardon tu dormais..." révèle une énergie retrouvée et une créativité enthousiasmante. Confidences décomplexées d'une artiste miraculeuse.
Vous avez choisi en premier extrait le single Les Jeux Interdits. Quelle est la genèse de ce titre ?
Jane Birkin : Cette chanson est inspirée de souvenirs avec mes enfants, lorsque l'on vivait dans une petite maison en Normandie. C'était une maison de poupée qui donnait sur un cimetière. Mes filles passaient leurs journées à gambader dans les allées, à échanger les plaques sur les tombes… Quand il y avait trop de fleurs sur une sépulture, elles partageaient avec celles plus vides. Voilà des jeux d'enfants qui voulaient que tout le monde soit heureux. Je suis nostalgique de cette époque là…
Dans le clip, il y a une dichotomie entre l'insouciance de l'enfance et la gravité des enterrements...
Jane Birkin : J'ai une attirance envers la beauté des cimetières que je ne trouve ni sombres ni lugubres. Et selon moi, les moments naïfs sont les plus délicieux, les plus charmants. La candeur est une bénédiction...
"J'étais très croyante"
La religion a-t-elle été un refuge pour vous ?
Jane Birkin : Oui, j'étais très croyante lorsque j'étais petite. A l'internat, la chapelle, la prière étaient les seuls endroits où je pouvais me retrouver seule, loin des sarcasmes des autres filles. A l'adolescence, aussi. Vers 13 ans, on se sent incompris, alors on cherche la compassion d'un autre, d'un dieu...
Cela fait 12 ans que vous n'aviez pas sorti d'album. Votre absence est-elle aussi celle du chagrin ?
Jane Birkin : En partie. J'ai traversé une période difficile qui m'a enlevé tout désir de m'exprimer. Je trouvais que je n'avais pas grand chose à raconter. Je n'étais pas malheureuse tout le temps, mais j'étais passagère clandestine de mes sentiments. Je n'avais aucune envie de création personnelle. C'est grâce à Etienne Daho, à son insistance, que j'ai su et pu me remettre au travail…
"Je ressens le confinement comme une vraie punition..."
On vous a connu femme engagée, en colère, mais jamais femme triste et plaintive...
Jane Birkin : C'est vrai que j'évite de parler de mes problèmes. Pourtant, j'adore raviver le souvenir de Kate [Kate Barry, sa fille, décédée en 2013, ndlr] Je la convoque davantage dans les conversations qu'il y a 7 ans… Laver son linge sale, c'est vraiment du ressort de l'intime. Garder ses difficultés pour le cercle privé ou pour soi résulte de mon éducation. Mes parents étaient de la génération de la Seconde guerre mondiale. Ils ne se plaignaient jamais. Cela ne se faisait pas d'alourdir la charge des autres avec ses propres peines. A la maison, il fallait être à l'agonie pour "déranger" le médecin !
J'ai aussi un statut de privilégiée qui ne me permet pas vraiment de me lamenter sur mon sort. J'ai une vie agréable, assez d''argent, le monde m'a énormément souri. La seule chose sur laquelle je râle, c'est le confinement ! Je le ressens comme une vraie punition !
Votre album Oh ! Pardon Tu Dormais, c'est une femme qui ne trouve pas le sommeil et ne peut s'en plaindre à l'être assoupi à ses côtés... Dans votre vie, avez-vous l'impression d'avoir été suffisamment écoutée ?
Jane Birkin : Complètement ! Je trouve que l'on m'a beaucoup écoutée, surtout ces dernières années. Y compris de façon décalée et à des heures insensées de la nuit. Trop écoutée ! Car j'ai toujours préféré entendre de la part de l'autre personne, être l'oreille à laquelle on murmure des déclarations d'amour, être la confidente, savoir ce que l'autre pense…
"J'ai cédé aux hommes, à leurs pères..."
Avez-vous des regrets ?
Jane Birkin : Je regrette de ne pas avoir été plus insistante concernant l'éducation de mes filles. J'ai cédé aux hommes, à leurs pères, qui voulaient qu'elles aillent au collège, au lycée, comme tout le monde. Je pense que chaque enfant est très différent et que, dans le cas de Kate et Lou, j'aurais mieux fait de les inscrire dans des écoles adaptées à leur personnalité. Leurs pères étaient totalement contre. Pour eux, il fallait qu'elles soient des gamines ordinaires, qu'elles aient des amis dans le quartier, soient éduquées de la manière la plus française possible... Mais pour mes filles, la scolarité n'a pas été une partie de plaisir. Elles ont énormément souffert d'être des enfants d'artistes.
Vous avez traversé des drames : vous ont-ils angoissée vis-à-vis de l'avenir?
Jane Birkin : Le futur est forcément un enchantement. Je suis une très grande optimiste. C'est toujours plus beau de l'autre côté de la colline. Je ne pense pas que le mal peut arriver. J'ai une confiance folle en la vie, en les gens !
Vous avez été adulée par le public français... Cela vous a-t-il permis de vous aimer ?
Jane Birkin : Ce n'est pas parce que l'on reçoit beaucoup d'amour que l'on est équilibrée. Je me dis souvent que je ne mérite pas ces preuves d'affection, ces démonstrations de gentillesse, ces mots rassurants... Il y a aussi des critiques, de la méchanceté, mais je n'ai pas le courage de lire les commentaires désobligeants! En réalité, je ne me suis jamais aimée et je me protège de ce qui pourrait me blesser.
Aujourd'hui, qu'est-ce qui vous donne l'envie de rire, d'écrire, de créer ?
Cette énergie vient d'Etienne Daho pour cet album, et de mes proches, en général. C'est une grande chance d'avoir trouvé des personnes qui croient en moi et qui me poussent à continuer. Sans mon entourage, je ne sais pas si j'aurais eu le courage d'émerger, ou de penser que je vaux quelque chose. J'ai eu tant de joie avec mes enfants. Même Kate, j'ai eu le bonheur de son existence pendant 47 ans ! J'ai eu une chance folle d'avoir connu cette fille aussi originale, étrange, belle, impertinente, courageuse…
Mon parcours se résume aux autres, à ceux que j'ai croisés où dont j'ai pu traverser l'existence… Sans ces magnifiques rencontres, je serais restée en Angleterre, une paresseuse, et je n'aurais rien foutu !
JANE BIRKIN, Album disponible OH! PARDON TU DORMAIS…, un mélange de l'adaptation musicale de la pièce éponyme et de textes récents, écrits durant la confection de l'album. Ces 13 textes écrits par Jane Birkin ont été mis en musique et réalisés par Etienne Daho et Jean-Louis Piérot.