L'industrie musicale française, un milieu hostile pour les femmes ?

Les femmes sont-elles discriminées au sein de l'industrie musicale en France ? Pour répondre à cette question, le Journal Des Femmes a assisté à une table ronde organisée par Sciences Po Paris, le 5 février 2019, avec la rappeuse Chilla comme invitée d'honneur. Problèmes de représentation et discrimination dans les postes de pouvoir : le plafond de verre n'a pas encore été brisé.

L'industrie musicale française, un milieu hostile pour les femmes ?
© SADAKA EDMOND/SIPA

Le message est clair : la faculté de procréation des femmes ne devrait pas être vue comme une barrière à... la création. Lors d'une table ronde organisée par Sciences Po Paris, huit personnalités ont été invitées à débattre autour de la place de la gent féminine dans l'industrie musicale française. Parmi elles : la rappeuse Chilla, des cadres d'Universal Music France, des journalistes spécialisés en musique, une politiste et une éditorialiste de la plateforme Deezer. Toutes et tous ont pu donner leur avis sur la question de la sous-représentation des femmes dans le monde musical. 

Dans la musique les femmes représentent... 

D'après le rapport de 2018 intitulé Inégalités entre les femmes et les hommes dans les arts et la culture – Acte II : après 10 ans de constats, le temps de l'action, de nombreux progrès restent à faire. Les femmes dans le monde de l'industrie musicale sont confrontées à un plafond de verre impressionnant. 

Quelques chiffres tirés du rapport du Haut Conseil à l'Egalité : 

  • 97% des groupes programmés par les grands festivals de musique sont composés exclusivement ou majoritairement d'hommes
  • Aucune femme ne dirige l'un des 7 Centres nationaux de création musicale
  • On compte uniquement 17% de femmes parmi les sociétaires de la SACEM 
  • Parmi les élèves du Conservatoire, 55% sont des femmes alors qu'elles ne représentent que 6% des chef d'orchestres dans le monde 
  • 4 femmes ont reçu une Victoire de la musique du meilleur album entre 1980 et 2016

Face à ces chiffres, le débat monte d'un cran. Mathilde Cottebrune, directrice du développement international d'Universal Music, vient confirmer ce constat affligeant avec un cas qu'elle connait bien. "Chez Universal Music, un seul label sur neuf est dirigé par une femme" explique t-elle. La discrimination dans les postes de pouvoir est indéniable et c'est là que le cercle vicieux commence... Les labels signent avec des artistes masculins car les directeurs artistiques sont majoritairement des hommes. Pour Réjane Sénac, directrice de recherche CNRS, c'est la perception du leadership qui freine la montée des femmes vers les postes à responsabilités. 

Les femmes artistes, confrontées au sexisme 

"Le plus souvent dans l'histoire, 'anonyme' était une femme". écrivait Virginia Woolf. Anonyme, Chilla ne l'est plus. Aujourd'hui, la rappeuse l'affirme : elle a réussi à entrer dans le monde hermétique de la musique. Elle confie malgré tout avoir toujours douté que cela puisse arriver un jour.
Selon Éloïse Bouton, fondatrice de Madame Rap, pour être une rappeuse connue en France, il faut avoir beaucoup de chance. Elle souligne un problème de représentation inhérent à ce milieu. Trois femmes adeptes de ce genre musical ont véritablement percé en France : Diam's, Keny Arkana et Shay. Pourtant, dans le cadre de son travail, Éloïse Bouton en a rencontré plus de 80... Une hypothèse qui pourrait expliquer ce déséquilibre ? Les codes du rap sont essentiellement masculins.
Les autres genres musicaux ne sont pas forcément plus accessibles à la gent féminine. Par exemple, on ne mentionne que très rarement la pionnière du rock'n roll : Sister Rosetta Parks. Or, on parle abondamment de Fats Domino, Little Richard et Chuck Berry. Concernant la musique classique, êtes-vous capable de citer au moins une compositrice connue ? Difficile. Les plus joués dans le monde sont Beethoven, Mozart et Bach... 

Vers une conquête féminine de la musique ? 

La discussion se termine sur une note positive. Rachel Cartier, éditorialiste chez Deezer, tente d'injecter un peu d'espoir dans ce débat. Elle constate une présence accrue des femmes dans le TOP 20 avec l'apparition d'artistes comme Angèle ou Aya Nakamoura, La rappeuse Chilla encourage les plus pusillanimes à "prendre leur courage à deux mains" et à se lancer dans une carrière musicale. L'autocensure est l'un des plus grand maux.