Ibrahim Maalouf, sans tambour mais avec trompette

Quelques mois après la sortie de son coffret "10 ans de live", Ibrahim Maalouf s'apprête à célébrer cet anniversaire sur la scène de l'AccorHotels Arena à Paris. Confidences d'un musicien hors pair.

Ibrahim Maalouf, sans tambour mais avec trompette
© Joseph Bagur

Il est des destins tout tracés. Celui d'Ibrahim Maalouf en est un bel exemple. Ce fils d'une maman pianiste et d'un père trompettiste – créateur notamment de la trompette à quatre pistons adaptée aux sonorités arabes –, se rêvait architecte. L'enfant de la balle a finalement succombé à l'appel du piano et de la trompette. Depuis plus de 20 ans, l'artiste franco-libanais fait Chevalier de l'ordre national du Mérite distille les sonorités de son instrument dans des titres populaires, collabore avec les plus grands – Sting, Matthieu Chedid, Vanessa Paradis entre autres –, et signe des bandes originales de films. Le 14 décembre prochain, Ibrahim Maalouf sera sur la scène de l'AccorHotels Arena de Paris pour célébrer ses 10 ans de live. Un concert qui affiche depuis plusieurs mois complet. Rencontre avec un artiste passionné et passionnant.

Journal des Femmes : Votre maman était pianiste, votre père trompettiste. La musique était une évidence ?
Ibrahim Maalouf : En réalité, j'avais envie de faire autre chose. Etre architecte notamment. Mais vous savez, l'architecture, c'est la construction de l'environnement dans lequel on vit, ce qu'on voit autour de nous. Alors que la musique, c'est ce qu'on voit en fermant les yeux. J'ai le sentiment d'être allé vers l'architecture, mais l'architecture sonore.

C'est difficile de grandir avec un tel héritage ?
Mon père m'a toujours mis la barre très haut pendant mes études. Au-delà de l'amour de la musique, il m'a transmis sa force, et m'a appris à ne pas baisser les bras face aux difficultés qui se présentent devant moi pour réussir à concrétiser mes projets. Si mon père ne m'avait pas montré la difficulté du métier de musicien, je pense que j'aurais eu plus de mal à m'épanouir. J'ai été à bonne école comme on dit… Ça a été très rude au départ, mais je lui en suis reconnaissant.

Avez-vous cherché à surpasser ou du moins, égaler la carrière de votre père ?
Ce qui est certain, c'est qu'il fallait que j'aille aussi loin que mon père, sinon ça aurait été la honte. Plus jeune, j'ai voulu le surpasser car j'avais cette soif de compétition. Il était dur avec moi et il me poussait beaucoup. Je devais lui montrer que j'étais capable d'aller aussi loin voire plus loin que lui. Ce n'était pas évident…

"L'improvisation, c'est faire des compromis
pour trouver un langage commun"

Vous avez créé la classe d'improvisation dédiée aux étudiants classiques au Conservatoire à Rayonnement Régional de Paris. En quoi l'improvisation est-elle importante en musique ?
C'est ma passion, je pourrais en parler pendant 3 heures… (Après un long silence, ndlr) Si je devais résumer cela, je dirais que l'improvisation est avant tout synonyme de liberté, une capacité à s'exprimer sans calcul préétabli. Dans le cadre du cours d'improvisation en groupe, c'est l'art de savoir se mettre d'accord les uns avec les autres, de réussir à dialoguer ensemble malgré nos langages différents et de tenter de donner du sens à un discours commun. Pour les étudiants classiques qui assistent à mes cours, c'est aussi d'apprendre à casser les codes qu'ils ont mis des années à assimiler, pour créer leurs propres codes et leur propre langage. Finalement, c'est impossible de trouver un dialogue commun sans faire de compromis avec son propre langage… Il faut apprendre à le faire et la musique est un vecteur étonnant et passionnant de travail sur ce thème.

Faire des concessions pour créer un langage commun : c'est le propre de la société non ?
C'est un travail que l'on devrait tous faire au quotidien c'est vrai : s'écouter d'avantage les uns les autres pour construire quelque chose ensemble. Dès qu'on n'emploie plus ces mots et qu'on ne parle qu'en langage musical, il y a moins d'ambiguïté. En musique, les gens voient le monde d'une façon plus souple, il n'y a pas de dispute… Cela sera peut-être un peu cacophonique mais il n'y aura pas de conflit à proprement parler comme il peut y en avoir dans la vie.

Vous avez collaboré avec des dizaines d'artistes d'univers différents… Comment s'adapter ?
C'est l'improvisation qui aide à faire ça. Quand j'étais petit, je mettais la radio et je posais mon son sur tout ce qui passait à ce moment-là… J'ai continué à le faire comme métier. Cela m'a toujours fasciné.

© Joseph Bagur

Comment expliquez-vous que la musique instrumentale soit si peu représentée ?
Je trouve cela dommage mais je ne peux pas reprocher au système d'être comme il est. Quand on écoute une radio généraliste, on sait qu'on va écouter de la musique grand public, actuelle et pop. Mais il pourrait y avoir un peu plus de diversité… Je trouve qu'on prend parfois les gens pour des idiots, qu'on a peur qu'ils ne soient pas capables de comprendre une musique avec une rythmique, une harmonie et des paroles différentes… Il y a beaucoup de styles différents dans le monde, mais malheureusement, la musique instrumentale n'a pas encore réussi à trouver sa place.

Vous, vous avez réussi à percer. Comment expliquez-vous votre succès ?
Je pense que c'est dû à de multiples facteurs. Pour prôner la musique instrumentale et lui donner sa place, j'ai depuis 20 ans, infiltré le milieu de la chanson, dans des domaines et styles différents. J'ai toujours essayé de placer la bonne note sur une mélodie pour que les gens se disent que cette trompette était pas mal. Progressivement, les gens ont fini par se demander qui j'étais… Quand j'ai proposé mes propres musiques qui existaient déjà depuis longtemps, je pense que le public ne craignait pas que ce musicien leur balance quelque chose d'incompréhensible puisque j'avais déjà égrené mes notes au fil de chansons qu'il connaissait déjà…

Vous avez sorti le coffret 10 ans de live. Quel est votre plus beau souvenir ?
Justement, j'ai fait ce coffret avec des millions de trucs dedans car c'était impossible pour moi de m'arrêter à un seul live. Ça fait des années qu'on capte des concerts sans savoir comment les sortir… Il y a plein de beaux souvenirs, dans le monde entier… En fait, je ne peux pas répondre à cette question car ma réponse est une non-réponse. C'est tout l'album en fait.

Vous jouez dans le monde entier. Est-ce que l'accueil du public est différent en fonction des pays ?
On a un accueil extraordinaire partout où on va. Et je ne dis pas ça pour caresser le public dans le sens du poil, mais que ce soit en Europe de l'Est, aux Etats-Unis, au Brésil et en Amérique du Sud, au Moyen Orient ou en Asie, le public nous suit, écoute et adhère. C'est étonnant et ça me fait plaisir. J'ai pris beaucoup de temps pour construire tout ça et c'est peut-être cela qui fait que ça fonctionne. Les gens n'ont peut-être pas l'impression d'être noyés sous mes disques…

"Je souhaite fêter ces 10 ans
avec le plus de monde possible"

Vous vous produirez à Bercy le 14 décembre prochain. Un rêve qui se réalise ?
Même pas ! Je n'ai jamais osé rêver d'une chose pareille (rires) ! J'avais juste envie d'avoir un grand lieu pour accueillir un maximum de personnes qui souhaitaient fêter ces 10 ans avec nous. Avant, on jugeait le succès d'un artiste en fonction du nombre d'albums vendus. Aujourd'hui, on les juge par rapport au remplissage des salles. Les gens se déplacent pour voir les artistes qu'ils aiment, mais ils n'achètent plus leurs disques. Beaucoup de monde voulait fêter ces 10 ans avec nous et je ne voulais pas me planter. Mes concerts affichent complet depuis des années, je voulais donc avoir la plus grande salle possible pour que tous les gens qui souhaitent venir soient là. On essaye même de grappiller quelques places supplémentaires pour accueillir plus de monde… L'objectif est de faire la fête avec un maximum de monde.

Vous étiez en novembre dernier aux côtés de Sting, sur la scène du Bataclan pour la réouverture de la salle…
J'ai simplement fais mon travail de citoyen en honorant la mémoire des personnes qui nous ont quitté ce jour-là. On doit tous se mobiliser dans ces circonstances dramatiques. Quand Sting m'invite ou que la famille de Tignous m'invite pour les funérailles du dessinateur, j'accepte… J'essaie d'être présent quand on a besoin de moi, tout simplement.

Le plus beau compliment qu'on vous ait fait ?
Ce n'est pas vraiment un compliment mais j'aime bien qu'on me dise "je n'aime pas le jazz, mais j'aime bien ce que vous faites". Ça me touche.

Vous célébrez vos 10 ans de live. Que peut-on vous souhaiter pour ces 10 prochaines années ?
De continuer à faire la même chose le plus longtemps possible.