Léa Seydoux : "J'ai plus de facilité à vivre que lorsque j'étais plus jeune"

Léa Seydoux transcende le rôle de l'épouse fantasmée dans "L'Histoire de ma femme", d'Ildiko Enyedi, en salles depuis le 16 mars. L'actrice y apparaît énigmatique, profonde et volatile, comme pour mieux nous inviter à élucider son mystère. C'est ce qu'on a tenté de faire, au cours d'une interview en face à face.

Léa Seydoux : "J'ai plus de facilité à vivre que lorsque j'étais plus jeune"
© Léa Seydoux lors de l'avant-première parisienne de "L'Histoire de ma femme", le 10 mars 2022 - Domine Jerome/ABACA

L'inépuisable Léa Seydoux donne corps à la fascination d'un marin pour son épouse dans L'histoire de ma femme, au cinéma le 16 mars. Dans les années 20, le capitaine au long cours Jakob Störr promet de passer la bague au doigt à la première femme qui poussera la porte du café où il déjeune. Le loup de mer a le vent en poupe : une charmante blonde entre alors sous les traits de Léa Seydoux. S'en suit le récit de leur vie maritale imprimée sur une fresque autour de l'opacité de l'amour et de la vie, magnifiquement contée par Ildiko Enyedi. En Lizzy, Léa Seydoux approfondit son incarnation de sujets envoûtants, passant inlassablement de simple fruit de désir à femme de pouvoir.
La comédienne, qui incarnait il y a peu une muse matonne chez Wes Anderson, n'est-elle pas la première James Bond Girl à évoluer en rôle consistant ? Léa Seydoux réitère ici, parvenant à transformer ce personnage n'existant qu'à travers les yeux d'un homme en protagoniste complexe, entier, repoussant le cadre qui lui est offert. Le héros comprend d'ailleurs rapidement que la jeune femme n'a rien d'une mignonne à contempler. Comme si, de ses yeux acier, Léa Seydoux défiait quiconque d'oser imaginer en elle un simple écran de projection passif.
Son personnage de Lizzy symbolise le caractère insaisissable de la vie. Porté par cette interprétation, on a questionné l'actrice sur son rapport à l'existence, espérant qu'en nous confiant sa philosophie, Léa Seydoux se révèlerait un peu plus. Verdict.

Ildiko Enyedi décrit le personnage de Lizzy comme une boîte que Jakob a très envie d'ouvrir sans y parvenir. Comment vous, vous la voyez ?
Léa Seydoux
: Ce qui est délicat avec le personnage de Lizzy, c'est qu'elle n'est vue qu'à travers les yeux de son mari. Nous n'avons jamais accès à son intériorité, à ce qu'elle pense réellement. C'était parfois un peu compliqué pour moi d'arriver à la cerner. Il fallait tout inventer, ce qui était aussi complexe qu'excitant. J'ai aimé son mystère.

Léa Seydoux et Gijs Naber dans "L'Histoire de ma femme" © Csata Hanna - Pyramide Films

Que vous êtes-vous raconté pour l'incarner malgré le flou qui l'entoure ?
Léa Seydoux
: Je me suis appuyée sur la condition des femmes de l'époque. Peu de possibilités s'offraient à elles. On ne s'en rend pas forcément compte aujourd'hui, car même s'il y a encore du chemin à parcourir, nous sommes libres et égales aux hommes. Dans les années 20, les femmes ne pouvaient ni voter, ni avoir de compte en banque. Leur seule option était d'épouser un homme. Celles qui ne le faisaient pas pouvaient se retrouver à vendre leur corps. Je me suis dit que Lizzy rêvait de liberté. Elle décide d'épouser Jakob pour le contrat social, pour sauver sa peau, pour avoir une situation. Profondément, elle ne rêve que d'indépendance. C'est ce qui fait la modernité de ce personnage. On sent qu'elle étouffe dans son mariage et plus généralement dans sa condition de femme mariée qui doit demander de l'argent à son mari. Il faut se mettre à sa place. Chaque chose qu'elle fait passe par l'aval de son époux. Cela me semble incroyable.

Cette envie de liberté le rend fou…
Léa Seydoux
: Oui et pourtant, c'est cette liberté qui fait qu'il est amoureux d'elle. Je crois que les hommes aiment être dépassés par les femmes. On court toujours après un idéal. Jakob est insatisfait dans cette relation, il aimerait avoir plus. La vie est dans les creux, le trivial, au même titre que dans le sacré. L'existence est une banalité : on naît, on meurt. Le film d'Ildiko nous le rappelle très joliment.

"J'ai puisé dans ce que je pouvais être plus jeune : insaisissable et provocante"

Vous dites toujours mettre en avant une version de vous-même dans vos personnages. Avec Lizzy, quelle facette dévoilez-vous ?
Léa Seydoux
: J'ai puisé dans ce que je pouvais être plus jeune : insaisissable et provocante. Je ne crois pas que Lizzy soit sadique, même si elle est un peu manipulatrice. C'est sa seule façon d'exister. Il y a des gens qui ont cette espèce de présence, sans arriver pour autant à avoir un contact réel aux choses.

Quelles sont les questions soulevées par L'Histoire de ma femme chez vous ?
Léa Seydoux
 : Alors qu'il n'a absolument rien à voir dans la forme avec le film de Bruno Dumont, L'Histoire de ma femme partage des similitudes avec France. Les gens ont vu en France une satire des médias, mais c'est beaucoup plus philosophique que ça. Bruno voulait raconter cette quête de sens, la recherche du sacré et le vide que l'on peut ressentir quand on atteint nos objectifs. Quand on se dit "si j'avais cette maison, ce mari, cette famille...", on court après un désir qui nous pousse dans une quête permanente. La vie ce n'est pas ça, c'est un cycle. Pendant le tournage, Bruno me disait : "La vie, sans se répéter, ne se ressemble-t-elle pas toujours ?" Il suffit de penser aux générations passées pour réaliser que l'on traverse tous les mêmes choses : des moments de joie, d'espoir, de chagrin, de dépression... C'est un perpétuel recommencement. Même si le monde change, la condition humaine reste la même. Sous un prisme différent, le film d'Ildiko parle de cette quête inatteignable. Cela me touche beaucoup.

Léa Seydoux et Gijs Naber dans "L'Histoire de ma femme" © Csata Hanna - Pyramide Films

Vous posez-vous beaucoup de questions existentielles ?
Léa Seydoux 
: Je m'en pose depuis toute petite. Enfant, ça me rendait dingue de ne pas comprendre le sens de la vie. Je me demandais quoi faire de cette absence de but. J'avais l'impression que les adultes détenaient les réponses, qu'ils n'avaient pas peur. Finalement, je me rends compte que plus on vieillit, plus on est vulnérable. J'adore cette phrase de Louis Aragon : "Le temps d'apprendre à vivre et il est déjà trop tard." C'est si vrai. J'ai appris que la vie est fragile et qu'elle se passe là, maintenant, tout de suite. Encore aujourd'hui ces questions me torturent, mais j'ai plus de facilité à vivre que lorsque j'étais plus jeune.

Ildiko Enyedi voit Lizzy comme le "maître-zen atypique" de Jakob. Qui a joué ce rôle pour vous ?
Léa Seydoux
 : Christophe André (rire) !

Parce qu'on ne voit Lizzy qu'à travers les yeux de Jakob, le film dit beaucoup de ce que l'on projette les uns sur les autres. En tant qu'actrice, comment composez-vous avec l'image que les gens se font de vous ?
Léa Seydoux
 : La projection est inévitable quand on est acteur. Il y a la "bonne" projection, celle par laquelle on s'identifie à un personnage. Pour le reste, je n'ai pas du tout l'impression d'être victime de ma notoriété. Les gens sont plutôt gentils quand je les croise dans la rue.

"Il faut accepter cette part d'imprévisibilité"

Le personnage principal remet son destin au hasard en décidant d'épouser la première femme qui entrera dans le café où il se trouve. Avez-vous déjà laissé la vie décider pour vous ?
Léa Seydoux
 : Parfois, je me dis que le destin choisira pour moi. Il faut aller chercher le bonheur et c'est notre responsabilité de faire des choix, mais malgré toute notre volonté, à la fin, c'est quand même la vie qui décide. Il faut accepter cette part d'imprévisibilité.

Qu'est-ce qui vous attire dans les projets que vous acceptez ?
Léa Seydoux
 : J'aime l'intelligence des metteurs en scène avec qui je travaille, c'est-à-dire leur subjectivité. On met Ildiko Enyedi et Bruno Dumont à côté, c'est le jour et la nuit. Pourtant, Ildiko a vu France à Cannes et l'a beaucoup aimé. J'adore ces mondes qui se croisent.

Regardez-vous vos films ?
Léa Seydoux
 : Je les regarde une fois, mais je n'ai pas un plaisir fou à ça. Ce que j'aime dans le jeu, c'est l'instantanéité. Je n'ai jamais fait de théâtre, mais de ce que j'en sais, on a la chance de pouvoir refaire tous les soirs. Dans le cinéma, une fois que l'on a délivré quelque chose, c'est gravé, terminé. J'aime cette idée d'immédiateté, le fait qu'une fois la scène jouée, elle ne nous appartient plus. J'ai l'impression de ne faire que traverser. Je donne ce que j'ai à donner sur le moment, je livre des choses intimes, personnelles et ensuite je m'en vais.