Sebastian Meise délivre un message d'amour avec GREAT FREEDOM

Sebastian Meise réalise un grand film avec "Great Freedom", au cinéma le 9 février. Il y raconte l'histoire d'un homosexuel persécuté et emprisonné en Allemagne d'après-guerre. Interview avec un réalisateur doué pour filmer la liberté d'aimer.

Sebastian Meise délivre un message d'amour avec GREAT FREEDOM
© Sebastian Meise à Cannes pour présenter GREAT FREEDOM, le 9 juillet 2021 - Marechal Aurore/ABACA

Instauré en 1872, le paragraphe 175 du Code pénal allemand, criminalisant l'homosexualité, a envoyé en prison des dizaines de milliers d'hommes. Radicalisée par les nazis, cette loi n'a été assouplie qu'en 1969 et abolie en 1994. Alors que l'Europe est libérée en 1945, la plupart des Allemands gays déportés pendant la Seconde Guerre mondiale sont directement transférés des camps de concentration à l'ombre des cellules, sous couvert de ce paragraphe. C'est de cet "angle mort" historique, comme il l'appelle, que Sebastian Meise est parti pour imaginer Great Freedom. Son long-métrage, au cinéma le 9 février, raconte l'histoire de Hans Hoffmann, un homosexuel condamné à faire des allers-retours derrière les barreaux à cause de cette loi contre son orientation sexuelle. Avec ce personnage immensément émouvant, porté par le brillant Franz Rogowski, le réalisateur autrichien voue une ode à la liberté et à l'amour. Il le suit sur plusieurs décennies, au fil de ses aventures sentimentales, à travers un film brut et lumineux. Rencontre avec l'œil éclairé derrière la caméra.

Comment avez-vous découvert le paragraphe 175 ?
Sebastian Meise : En feuilletant un livre sur l'homosexualité au cours de l'Histoire, je suis tombé sur une note qui évoquait ces gays directement emprisonnés après avoir été libérés des camps de concentration. J'ai dû le relire tant je n'y croyais pas. Cette continuité dans la purgation de leur peine m'a vraiment choqué. Le système entier a participé à cette injustice, pas seulement les nazis et les Allemands. Les Alliés étaient impliqués aussi. Il n'y avait aucune issue pour ces gens que l'on traitait comme des criminels. En lisant cet article, j'ai senti que c'était une chose qui devait être dite. C'est rapidement devenu une idée de film. Nous avons entamé les recherches avec mon co-scénariste Thomas Reider pour approfondir cette histoire.

Que saviez-vous de la criminalisation de l'homosexualité avant ce projet ?
Sebastian Meise : Je savais que l'homosexualité était illégale à un moment donné, mais cela me semblait très lointain. Je n'avais pas conscience de la dimension de ces persécutions. Par exemple, je ne connaissais pas l'unité spéciale de la police chargée de traquer les homosexuels, je ne savais pas qu'il pouvait y avoir des caméras dans les toilettes pour les épier à quel point tout était mis en place pour les attraper. Quand j'ai découvert ça, j'en ai parlé à mon père, qui a grandi dans les années 50, 60 et même lui l'ignorait. On n'en parle pas à l'école. Cette période de l'Histoire est comme un angle mort. La situation des gays pendant la Seconde Guerre mondiale est montrée dans ce célèbre film, Bent, mais je n'ai rien trouvé à propos de l'après-guerre, mis à part quelques documentaires.

"Great Freedom" de Sebastian Meise © Paname Distribution

Avez-vous rencontré des personnes ayant vécu ces persécutions ?
Sebastian Meise
 : Oui, nous avons rencontré des survivants, qui était emprisonnés dans les années 60. Beaucoup sont décédés entre temps et n'ont malheureusement pas vu le film. A Vienne, nous sommes allés dans un célèbre café gay, où il y a souvent des couples de personnes âgées. En leur parlant, on s'est rendu compte que tous avaient vécu cette période et que la plupart d'entre eux avaient passé du temps en prison. Nous avons vécu une scène émouvante avec un couple qui était ensemble depuis 40 ans. L'un des deux nous a raconté son expérience en prison au cours des années 60. Il n'en avait jamais parlé à son partenaire. C'était un grand tabou pour les homosexuels à l'époque. Ils ont mis de côté cette période pour l'oublier et certains ne l'ont jamais évoquée.

Qu'avaient tous ces hommes en commun ?
Sebastian Meise 
: L'absurdité de leur situation et le regret de ne pas avoir pu vivre la vie qu'ils voulaient pendant longtemps.

Qui est Hans Hoffmann, votre personnage principal ?
Sebastian Meise
 : Il est un mélange de toutes les histoires que l'on a entendues. Avec Franz, nous avons décidé qu'il devait apparaître comme libre dans sa tête, tout en restant introverti. Ce n'est pas un délinquant. Il n'a pas la possibilité de changer, de devenir une "meilleure personne". Comme lui, ces hommes ne pouvaient pas purger leur peine, sortir de prison et se dire "ok, j'arrête d'être qui je suis". C'est toute l'absurdité de cette loi.

"Mon film est un rappel de ce que nous ne voulons pas voir arriver"

Pourquoi vous êtes-vous tourné vers votre acteur principal Franz Rogowski pour porter le film ?
Sebastian Meise
 : Franz a une tendresse spéciale, très sincère. J'ai écrit le rôle pour lui, mais je ne le connaissais pas, alors il était impossible de lui parler du script avant qu'il ne soit fini. C'était excitant de me demander s'il allait accepter le rôle. Je n'aurais pas su vers qui me tourner s'il ne l'avait pas fait. J'avais la conviction que ce devait être lui.

Qu'est-ce qui rend votre film si actuel ?
Sebastian Meise
 : Dans certains pays, l'homosexualité est toujours illégale et punie. Et même dans nos sociétés démocratiques, les partis conservateurs gagnent du terrain, comme on peut le voir en Hongrie ou en Pologne. Bien qu'ils fassent partie de l'Union européenne, ils instaurent de nouvelles lois discriminantes. Cela va si vite... La communauté européenne ne fait rien pour empêcher ça. Dans un sens, mon film est un rappel de ce que nous ne voulons pas voir arriver.

Quel a été le plus beau compliment que l'on vous a fait sur Great Freedom ?
Sebastian Meise
 : A Cannes, le film a été sélectionné pour la Queer Palm. Quand les nominations ont été faites pour ce prix (une récompense LGBTQIA+, ndlr), ils n'ont d'abord pas pensé à Great Freedom, parce qu'ils ne l'avaient pas considéré comme un film gay! Cela prouve que c'est avant tout un film sur l'amour.