Carine Tardieu (LES JEUNES AMANTS) : "Il faut faire attention à ne pas passer à côté de sa vie"
Carine Tardieu s'attaque à un amour irrésistible avec "Les Jeunes Amants", au cinéma le 2 février. La réalisatrice nous a parlé de ce projet chargé en émotions suite au décès de son initiatrice Sólveig Anspach et de sa volonté de filmer la vieillesse et l'amour sans filtre. Interview.
Les Jeunes Amants, en salles le 2 février, est un puissant film d'amour, un mélodrame qui évoque avec subtilité la vieillesse, l'approche de la mort et l'audace parfois nécessaire à l'écoute de son cœur. Il est le fruit d'une envie de Sólveig Anspach (réalisatrice, entre autres, de L'Effet aquatique) de mettre en scène un amour qu'a vécu sa mère au crépuscule de sa vie avec un médecin plus jeune. La cinéaste est décédée avant de pouvoir mener à terme ce projet. Sa co-scénariste et son producteur se sont alors tournés vers Carine Tardieu pour prendre la suite. Hésitante au vu de la tâche qui lui incombait, la brillante réalisatrice de Otez-moi d'un doute et Du vent dans mes mollets a fini par accepter de donner vie à la passion entre Shauna, 70 ans, et Pierre, 45 ans, sous les traits de Fanny Ardant et Melvil Poupaud. Elle nous a parlé de la genèse du film, de sa collaboration avec "la femme d'à côté" et de ses envies profondes derrière cette romance.
Pourquoi avez-vous accepté ce projet, entamé par Sólveig Anspach ?
Carine Tardieu : J'avais un peu suivi toute cette histoire avec Sólveig, qui était une amie, et j'avais déjà prévu de faire un film avec sa co-scénariste, Agnès de Sacy. Quand le producteur m'a proposé ce projet, j'ai accepté de le lire, tout en sachant que je n'avais jamais dit "oui" à une sollicitation. Mes films sont toujours le résultat d'une recherche personnelle. J'ai été extrêmement bouleversée par le scénario, mais pas forcément pour les bonnes raisons. Ce qu'avait commencé Sólveig était extrêmement sombre. Elle se savait mourante et je crois qu'à travers cette histoire, elle racontait quelque chose de sa propre fin. Moi j'allais être maman à ce moment-là, j'étais du côté de la vie. L'histoire était trop lugubre pour moi. Nous avons convenu que je pouvais me l'approprier et à force de discussions, j'ai dit "oui" à deux conditions : que l'on puisse retravailler le projet de fond en comble et que la fille de Sólveig me donne son blanc seing, ce qu'elle a fait.
"Je ne voulais pas faire semblant de filmer une femme âgée"
Sólveig Anspach a souhaité que le film soit réalisé par une femme. Pourquoi cela faisait-il sens ?
Carine Tardieu : Mon avis là-dessus est plutôt du côté de la réflexion de Shauna dans le film, quand elle dit "je ne suis pas une femme architecte, je suis architecte". D'après ce que j'ai compris, Sólveig pensait qu'il y avait une manière singulière chez les femmes de raconter l'intimité féminine. Elle pressentait que cette histoire arrivée à sa mère, donc avec déjà quelque chose de l'ordre de la transmission d'une femme à une autre, devait encore passer par une femme. Comme une sorte de passation. Quand je vois un film de Claude Sautet, qui filmait tellement bien les femmes, ou de Pedro Almodóvar, je me demande ce que c'est, au fond, un film de femmes. Ces questions sont compliquées.
Qu'avez-vous voulu transmettre, vous, à travers le personnage de Shauna ?
Carine Tardieu : On a fait beaucoup de modifications parce qu'elle était à l'origine un peu plus sèche, moins timide. Nous avons retravaillé tous les personnages. Celui de la fille existait, mais n'était pas du tout construit ainsi. On a inventé Georges, l'ami, on a fait prendre de l'importance à l'épouse de Pierre. Je pense avoir apporté une dimension de fragilité, moins d'assurance, plus de peurs à Shauna.
Pourquoi vous êtes-vous tournée vers Fanny Ardant pour l'incarner ?
Carine Tardieu : Comme beaucoup, l'image que j'avais de Fanny, c'était la femme flamboyante, forte, bravache... Quand je l'ai rencontrée, je ne lui ai pas proposé le rôle complètement. Je voulais la sentir, faire connaissance avec elle. Je lui ai dit que si le film lui faisait envie, il y avait une seule condition de mon côté : je ne voulais pas faire semblant de filmer une femme âgée. L'idée n'était pas de l'enlaidir, mais qu'elle ait l'air d'avoir l'âge qu'elle a. Je voulais filmer ses rides, ses mains veinées, sans quoi le film n'aurait eu aucun sens. Fanny m'a répondu : "La vieillesse je la vis et je m'en fiche et la mort, je l'attends". De ce point de vue, elle n'avait pas peur, ce qui m'a rassurée.
Comment avez-vous travaillé ensemble pour filmer l'amour et la vieillesse ?
Carine Tardieu : A l'origine, il y avait des scènes d'amour plus crues car Sólveig avait très envie de filmer le corps d'une femme âgée. Moi qui suis très pudique, cela ne me mettait pas forcément à l'aise. Il se trouve que Fanny ne voulait pas se montrer nue. Elle ne l'a jamais fait de sa vie. Cette pudeur m'a obligée à me poser des questions pour savoir comment j'allais filmer la nudité sans la filmer. C'est là que j'ai eu l'idée d'une scène avec des femmes d'un certain âge, nues dans un vestiaire, pour voir comme elles peuvent être belles quand elles sont heureuses et libres, quand elle ne sont soumises à aucun jugement. Je me suis demandé comment raconter le corps d'une femme et j'ai réalisé que ça pouvait passer par son visage. Ingmar Bergman dit filmer les visages comme les paysages et c'est vrai qu'avec les rides, il y a de ça. L'histoire se grave sur le visage. La pudeur et l'inquiétude de Fanny, ne serait-ce que d'embrasser un homme, m'ont servie. J'ai essayé de la "dé-fanny-ardantiser" au maximum, tout en bénéficiant de son talent, de sa générosité et de la manière qu'elle a de se livrer complètement sur un plateau. Une fois les choses posées, elle m'a dit "vous pouvez faire de moi ce que vous voulez" et c'était vrai.
A travers son personnage, le film dit beaucoup des interdits que les femmes s'imposent souvent à elles-mêmes…
Carine Tardieu : Même si certains hommes sont aussi pudiques et qu'il ne faut pas faire de généralités, il y a une injonction beaucoup plus forte sur le corps des femmes, peu importe l'âge que l'on a. Et puis qu'est-ce que la norme ? On sait que même une mannequin est complexée. Aucune femme n'est jamais satisfaite de son corps, parce qu'on est sans arrêt épiées, regardées... La société agit comme un miroir déformant. On s'en rend compte quand on regarde nos amies : on les trouve belles, quelles qu'elles soient. Quand on est amoureux, on oublie la société et c'est d'ailleurs marrant de voir que lorsqu'on ne l'est plus, on se demande comment on a pu aimer cette personne. L'amour devrait être le prisme par lequel on se regarde soi-même et les autres. Si l'on s'aimait davantage, on serait plus cléments.
"Se laisser emporter par une histoire d'amour demande un certain courage"
Vous abordez la vieillesse, la mort, la maladie, la sexualité, l'adultère… qui sont des tabous. Vous êtes-vous censurée à certains endroits ?
Carine Tardieu : Quand j'écris ou que je réalise, je ne me pose pas la question de ce que pense la société. Je suis dans mon histoire, dans mes personnages et j'essaie d'être au plus juste. Ce sont leurs sentiments qui guident mon écriture. Tout ce qui m'importe, c'est d'y croire, d'être avec eux en permanence, de ne jamais les perdre. Je ne me pose pas la question du tabou. Pour moi, il n'y a pas de transgression dans ce film. La transgression, c'est l'inceste, la pédophilie, par exemple. Tout le reste, non.
Quel est le message que vous souhaitez délivrer avec Les Jeunes Amants ?
Carine Tardieu : L'idée qu'il faut faire attention à ne pas passer à côté de sa vie. Le confort, c'est dangereux. Il faut prendre le risque. Tomber amoureux, c'est une chose, mais se laisser emporter par une histoire d'amour demande un certain courage. On prend le risque de souffrir, d'avoir peur, que cela s'arrête. C'est beaucoup de joie, mais aussi beaucoup de peines. Les Jeunes Amants est un film sur le courage de vivre.