Grégory Gadebois (CHÈRE LÉA) : "Je suis fasciné par les gens qui écrivent"

Il est le shérif du saloon version bistrot parisien pour "Chère Léa", au cinéma le 15 décembre. Grégory Gadebois incarne un patron de café sensible à une lettre d'amour écrite par l'un de ses clients dans cette comédie romantique signée Jérôme Bonnell. Il n'en fallait pas plus pour que le comédien nous embarque derrière son comptoir, avec sa sensibilité brute. Interview.

Grégory Gadebois (CHÈRE LÉA) : "Je suis fasciné par les gens qui écrivent"
© Domine Jerome/ABACA

Cette fois-ci, Grégory Gadebois est de l'autre côté du comptoir. Pour notre interview, le comédien est assis à une table face au bar derrière lequel il travaille dans Chère Léa, en salles le 15 décembre. Nous rencontrons l'acteur dans le café qui sert de décor à ce film sur l'amour, l'indécision et les déclarations d'amour. A l'écran, Grégory Gadebois donne la réplique à Grégory Montel, mari infidèle paumé, décidé à rédiger une lettre à sa maîtresse incarnée par Anaïs Demoustier. Jonas l'amoureux pousse la porte de l'établissement tenu par Mathieu et n'arrive plus à quitter les lieux. C'est à se demander si cet endroit n'a pas un pouvoir magique : l'ancien pensionnaire de la Comédie-française nous confie être ravi de retrouver le bistrot et d'y déjeuner pour la première fois malgré les semaines de tournage.
Grégory Gadebois connaissait déjà le réalisateur Jérôme Bonnell pour avoir tourné avec lui son tout premier film, Le Chignon d'Olga. Depuis, le comédien passé par les planches a vu du pays. Beaucoup l'ont découvert dans Les Revenants, sur Canal +. Tout récemment, il était un François Hollande fictif chez Anne Fontaine dans Présidents, un cuisinier pendant la Révolution française dans Délicieux ou un flic face à Virginie Efira et Omar Sy dans Police. La liste de ses films s'allonge de plusieurs titres par an tellement ce grand timide inspire les cinéastes, par sa douceur émouvante et son charisme puissant. Conversation.

Pour Chère Léa, vous retrouvez Jérôme Bonnell, avec qui vous aviez tourné votre premier film. Heureux ?
Grégory Gadebois : La première fois que j'ai été filmé par quelqu'un c'était par Jérôme, oui ! C'était super de le retrouver, je l'ai tout de suite reconnu. Son cinéma n'a pas changé et en même temps, il a évolué. J'aime beaucoup son écriture, sa manière de raconter les histoires. C'est très intelligent, sans jamais être vulgaire ou grossier. C'est toujours un trait fin.

Qu'est-ce qui vous a plu dans Chère Léa ?
Grégory Gadebois : En lisant le scénario, je n'ai pas été déçu par rapport à ce que j'attendais. Je trouvais que c'était une jolie manière de filmer les histoires d'amour. Je n'avais pas vu beaucoup de films tournés de cet endroit. Ce que j'ai adoré, c'est tous les personnages secondaires, toute cette faune qui gravite autour de Jonas et qui fait qu'il n'a plus qu'à se laisser porter. Les répliques de ces personnes naviguant dans le café sont super.

Pouvez-vous nous présenter votre personnage ?
Grégory Gadebois : C'est un homme content de tenir son café. Dans un café, le patron incarne toujours un peu le psy, la maman du client, ou bien le portier. C'est une profession multiple. Ce qu'ils entendent par jour, c'est énorme. Et mon personnage, d'un coup, il a ce gars qui entre pour rédiger une lettre. Je crois qu'il est impressionné par ça. Moi aussi, dans la vie je suis fasciné par les gens qui écrivent. C'est la base de beaucoup de choses, surtout dans nos métiers. Si personne n'écrit, l'acteur ne sait pas quoi dire. J'ai un grand respect pour eux, comme mon personnage.

Pendant le tournage, vous vous êtes raconté qu'elle disait quoi, cette lettre ?
Grégory Gadebois : Je ne sais pas, je faisais semblant de la lire parce que je sais que Grégory Montel écrivait vraiment. J'avais peur qu'il couche sur papier des choses qui lui venaient et je ne sais pas si j'étais censé lire ça, alors je faisais semblant. Je ne voulais pas être indiscret, au cas où quelque chose lui aurait échappé.

"C'est rare de montrer l'homme dans son comportement de girouette"

Vous allez souvent vous, au café ?
Grégory Gadebois : Oui, dès que j'ai eu ma mob, j'allais dans des cafés. Ce sont des endroits formidables, mais ça m'amuse moins depuis trois, quatre ans. Peut-être parce que j'ai une machine à expresso chez moi maintenant, mais avant, ma journée commençait forcément au café en bas, par deux doubles. C'est un endroit de vie génial, qui nous rappelle à la réalité. On peut s'en éloigner parfois avec nos métiers et des lieux comme ça nous ramènent sur Terre.

Vous dites que devenir acteur vous a permis de mettre à profit ce que vous aviez observé dans les cafés...
Grégory Gadebois : Je me souviens d'un café à Saint-Crepin, un petit village près de Dieppe. On avait l'impression que le comptoir avait été bricolé à la va-vite la veille. Ça faisait peut-être 30 ans que c'était comme ça. Le patron avait accroché des tableaux peints par son fils. Il y en avait un d'un homme en bleu de travail, accoudé au comptoir. Là fois d'après, quand j'y uis retourné, il y avait toujours le comptoir, le patron, le tableau et juste en dessous, le vrai homme se tenait dans la même position, la même tenue. J'ai trouvé ça très fort sur le temps qui passe, sur le rapport à la vie de cet endroit.

Jérôme Bonnell parle de Chère Léa comme un film d'hommes. En quoi sont-ils intéressants ?
Grégory Gadebois : Je ne saurais pas dire. C'est un film d'hommes, mais pour moi les femmes y sont centrales. On passe notre temps à parler d'une femme, Jonas écrit pour une femme. J'aime bien l'idée que l'homme fasse tout en fonction de la femme et inversement. Ce que je trouve beau dans le personnage principal, c'est qu'il est perdu. C'est rare de montrer l'homme dans son comportement de girouette, quand il ne sait plus trop ce qu'il veut. Souvent, on le voit très sûr de lui et c'est magnifique, c'est Ne me quitte pas de Jacques Brel, c'est la souffrance, la tragédie, ou alors il repart avec la fille dans le soleil couchant. On ne le dépeint jamais comme ça, un peu merdeux, incapable de prendre une décision et je trouve ça beau.

Grégory Montel et Grégory Gadebois dans "Chère Léa" © Céline Nieszawer / Diaphana Distribution

Y a-t-il des mots d'amour qui vous touchent ?
Grégory Gadebois : J'aime beaucoup la voix de Piaf, elle me fait un truc. Brel a des chansons sublimes, je pense aussi aux Passantes de Brassens. J'ai déclaré ma flamme une fois et ça dure depuis 12 ans, mais avant je n'étais pas très doué...

Vous jouez soit des figures d'autorité soit des grands sensibles. Avez-vous conscience de ce que vous dégagez ?
Grégory Gadebois : Non, en plus je ne vais pas voir le résultat parce que ça m'empêche de travailler, ça me bloque. Je fais confiance à l'écriture. Si un metteur en scène que j'estime ou avec qui je m'entends bien venait me voir en me disant "pour moi la reine d'Angleterre c'est toi, veux-tu la jouer ?" je serais partant. Je ne peux qu'accepter ce qu'on me propose. Je n'ai pas de velléité de jouer certaines choses, même s'il y a des couleurs, des silhouettes peu définies que j'aimerais aborder un jour. Je crois que la pire chose que l'on peut me demander, c'est ce que je rêverais de jouer. Je ne saurais pas choisir. Chère Léa coïncidait avec des choses dont j'avais envie de parler. Quand il n'y a pas ça, on essaie de coller à l'image que l'on a du personnage en lisant le texte.

Avec le recul, y a-t-il des choses que vous préférez incarner ?
Grégory Gadebois : J'ai découvert la comédie il n'y a pas longtemps avec Michel Hazanavicius et avec Anne Fontaine. Ça me plaît beaucoup. C'est agréable à faire, c'est un endroit que j'aime bien.

"Il est préférable de se reposer sur la force des mots"

Quand on lit des portraits de vous, il en ressort votre timidité. Ça va mieux ?
Grégory Gadebois : Oui, en avançant on se rend compte que ce n'est pas si dramatique si on dit une bêtise. Il y a quelques années, un moment comme celui-ci aurait été une catastrophe. Je n'aurais pas su quoi dire, j'aurais eu honte de déclarer quoi que ce soit, mais ça se tasse un peu maintenant.

A l'inverse, faites-vous attention à ce que l'on dit de vous ?
Grégory Gadebois : J'ai essayé une fois. On m'avait proposé de relire un article pour donner mon avis et j'ai commencé, mais j'ai arrêté parce que je trouve ça très indiscret, indécent. J'avais envie de demander à ce qu'il ne soit pas publié. Alors je préfère passer un moment et que les gens en fassent ce qu'ils veulent. Comme je le fais moi-même quand je rencontre quelqu'un dans un bar, par exemple. On discute, les gens nous racontent des choses et nous on garde ce que l'on veut de cet échange.

Le film parle du quotidien, de la vie de quartier. Prenez-vous le temps d'en profiter ?
Grégory Gadebois : Il y avait un petit café en haut de chez moi que j'aimais beaucoup. Dès que j'avais 5 minutes, j'y allais, quand on voulait me voir, je donnais rendez-vous là-bas. J'y avais des copains. Et puis le patron a vendu, c'est devenu un café parisien normal. Je ne retrouve plus ce truc de vie de quartier, peut-être simplement parce qu'on a toujours du mal avec le changement. J'aimais bien ça, c'est dommage que ça disparaisse. Maintenant, la vie de quartier elle est sur les réseaux sociaux...

Chère Léa joue avec ce qui passe hors-champ. Ça vous plaît, comment composez-vous avec ça ?
Grégory Gadebois : L'imaginaire des gens sera toujours plus fort que l'image. J'avais joué dans un spectacle sur une interview de Brassens, Brel et Ferré. Beaucoup de gens m'ont dit avoir vu la vidéo de la vraie rencontre. Sauf que le journaliste de cet échange nous a affirmé qu'il n'y avait pas de caméra ce jour-là. Il n'y a pas eu d'images filmées, mais avec la photo et l'enregistrement, les gens étaient persuadés d'avoir vu le film de la rencontre de ces trois-là. Il y a une phrase de Jouvet que j'aime beaucoup, qui dit "quand tu ne sais pas, regarde le lustre et articule". Ça marche. Il est préférable de se reposer sur la force des mots que de surjouer des intentions. Peut-être même que quand on sait ce qu'on doit jouer, il vaut mieux ne pas trop en faire.