Leïla Bekhti : "La sécurité affective est primordiale"

Dans "Les Intranquilles" de Joachim Lafosse, en salles le 29 septembre, Leïla Bekhti incarne une épouse au chevet de son mari bipolaire. La comédienne, déroutante de spontanéité et de force résignée, y trouve le plus beau rôle de sa déjà riche carrière.

Leïla Bekhti : "La sécurité affective est primordiale"
© Laurent VU/SIPA

Déjà plus de 15 ans d'une carrière hétérogène entamée en 2005 avec Sheïtan de Kim Chapiron. Et quelle belle trajectoire pour la sublime Leïla Bekhti qui trouve cette année, dans Les Intranquilles de Joachim Lafosse, son rôle le plus saisissant et déchirant. Celui d'une femme désemparée mais forte, presque brisée mais jamais victime, qui choisit de rester aux côtés de son mari peintre -fabuleux Damien Bonnard-, atteint de bipolarité. La comédienne, marquée par cette histoire et ce tournage uniques, revient pour le Journal des Femmes sur cette collaboration, qui lui a valu de monter les marches à Cannes en compétition, tout en acceptant de regarder dans le rétroviseur. Entretien.  

Vous dites avoir besoin de savoir pourquoi vous vous lancez dans un projet, avec quelque chose de l'ordre de l'intégrité. Pour ce film, quelle était l'étincelle ?
Leïla Bekhti :
C'est vrai. Quand je lis un projet, je me demande toujours si j'irai voir le film au cinéma. C'était le cas pour Les Intranquilles. Il n'y a pas de stratégie derrière cette intégrité. J'ai besoin de savoir pourquoi je fais les choses et je vais vers ce qui m'intéresse. Et tant mieux s'il y a de la diversité. Après cette interview, je prends un avion pour rejoindre Jonathan Cohen sur le tournage de la saison 2 de La Flamme. Il y a La troisième guerre qui vient de sortir et bientôt un téléfilm sur Canal+ qui parodie La vengeance aux deux visages, avec Alex Lutz… Pour répondre à votre question, l'étincelle sur Les Intranquilles vient du regard nuancé de Lafosse sur le couple. Il n'est jamais manichéen, ce qui est hyper important car, à mes yeux, le couple est l'une des choses les plus difficiles à gérer. Il faut savoir oublier la relation, la travailler… On parle de quelque chose d'irrationnel : l'amour. On ne peut pas expliquer pourquoi on aime. Ça donne des ailes et ça les coupe aussi. Dans ce film, j'ai aussi aimé que la bipolarité soit un prétexte pour parler d'engagement. Il s'agit enfin d'une œuvre exigeante qui parle au plus grand nombre, elle a quelque chose de populaire. Mon personnage m'a vraiment touchée : cette femme qui restaure des meubles et répare aussi son mari… Elle n'est pas victime, elle choisit. Elle ne se sent pas obligée de s'occuper de son mari. Et puis il y a un enfant au milieu et quand c'est le cas, les décisions du couple ne le concerne plus uniquement lui.  

Depuis que vous êtes mère, êtes-vous davantage tranquille ou intranquille ?
Leïla Bekhti :
Je dirais que je suis désormais intranquille mais c'est une force. J'ai accepté ça. Mes premiers mois de maternité ont été super durs. Je me demandais comment j'allais faire pour vivre sans avoir peur.

"La peur ne doit pas m'empêcher d'avancer"

Qu'est-ce qui vous a aidé ?
Leïla Bekhti :
J'ai toujours peur mais je n'ai pas le choix en fait. La peur ne doit pas m'empêcher d'avancer et je dois le faire pour mes enfants. Un gosse est une éponge. Si vous avez peur, il le voit. Après, j'ai la chance d'être accompagnée par leur père, qui est formidable. Je ne suis pas seule. J'ai quitté une famille pour en créer une autre et on est une grande famille maintenant. Je suis très attachée à ça. C'est mon socle. Et ça ne m'empêche pas de vivre ma vie de femme et d'actrice. Ce métier est très difficile dans la mesure où il repose sur le désir de l'autre. Je le dis souvent mais quand on ne vous appelle pas, vous pouvez avoir l'impression qu'on ne vous aime pas. C'est horrible de se sentir désaimée… Quand ça arrive, ouvrir la porte et voir sa famille et ses amis fait le plus grand des biens.  

Vous avez tourné Les Intranquilles en plein Covid, à l'été 2020. Dans quel état d'esprit étiez-vous ?
Leïla Bekhti :
J'étais intranquille (rires). J'étais en plein dedans. C'était une période où j'avais envie de perdre du poids, ça faisait deux ans que j'étais comme ça. J'avais envie de me retrouver physiquement même si j'ai bien vécu ces moments-là. Je pesais 17 kilos de plus qu'aujourd'hui. J'ai commencé un peu à maigrir pour le film et Joachim m'a dit: "Ecoute, je n'ai jamais demandé à une actrice de prendre du poids mais est-ce que tu pourrais garder celui que tu as ?" Il était sûr que ça raconterait quelque chose du personnage.

Leïla Bekhti et Gabriel Merz Chammah dans "Les Intranquilles". © Les Films du Losange

Avez-vous immédiatement accepté ?
Leïla Bekhti :
Oui, très vite. J'assume vachement d'être apprêtée. Quand un maquilleur ou une costumière me demande ce que je veux, j'ai évidemment envie de répondre un beau brushing, un beau sac et des faux cils…Ça m'amuse. J'adore les belles robes, me maquiller, me coiffer… En revanche, concernant les personnages de cinéma, je suis à leur service. Je n'ai aucun souci avec ça. Quand je vois des personnages dans des films dire qu'ils s'oublient et ne pensent plus à eux, alors qu'ils sont sublimes avec leurs cils qui vont jusqu'à porte d'Orléans, ce n'est juste pas possible. Ça peut me sortir d'un film, de voir qu'un égo passe avant un personnage.      

"Je ne peux pas vriller."

Qu'auriez-vous fait à la place de votre personnage ?
Leïla Bekhti :
Je ne sais pas… Il faut le vivre pour le comprendre. Ma nature ferait que je ne baisse pas les bras tout de suite. Quelles que soient les circonstances, et même si je suis sur un plateau, je me déplacerai toujours pour ceux que j'aime. Tout ça vient de mon éducation : être aux côtés des miens. Et si j'aime autant prendre soin d'eux, c'est parce qu'ils prennent aussi beaucoup soin de moi. Dans la vie, la sécurité affective est primordiale. Elle ne s'achète pas. Et ça, je l'ai toujours eue.

Quand vous regardez dans le rétroviseur, qui voyez-vous ?
Leïla Bekhti :
Ma famille justement, qui m'accompagne depuis le début. La première image que je vois, c'est elle, assise sur le lit, avec le contrat de Sheïtan. Je n'avais pas d'agent. On a compris une ou deux clauses du contrat… sur 148 (rires). Mon frère m'a dit: "Tu peux signer". A ce moment, c'est comme s'ils m'avaient dit: "On te fait confiance". C'est drôle car ma famille est très présente dans ma vie mais pas forcément pour mon métier. Ils sont super timides. J'étais contente que le film soit en compétition à Cannes. Je leur ai donc dit de venir. Mais ils ne voulaient pas. Ils préféraient le voir au cinéma et fuir les caméras. Je suis leur petite sœur, pas l'actrice. Avec eux, je ne peux pas vriller. Au moment de mon troisième tournage, j'habitais encore avec ma sœur. Un jour, j'ai ouvert le frigo et j'ai claqué la porte en disant qu'il n'y a jamais rien à manger dans cette maison. Ma sœur a 8 ans de plus que moi, c'est comme ma mère. Elle m'a dit : "Viens voir ma puce, tu vois en bas, là, il y a un truc qui s'appelle Monoprix avec un tapis qui roule à la caisse… Tu achètes ce que tu veux, tu poses dessus et tu mets dans le frigo"… Ça m'a calmée. (Réflexion) Dans Le Sens de la Famille, la chanson que j'ai faite avec Grand Corps Malade, je leur rends hommage d'une certaine manière. Je dis aux gens que j'aime que je les aime. A la fin de la chanson, j'ai d'ailleurs pris les voix de mes proches.