LES INTRANQUILLES : l'amour fou à l'épreuve de la bipolarité

Fin observateur des bouleversements intimes et familiaux, Joachim Lafosse bouscule et bouleverse une nouvelle fois avec "Les Intranquilles", en salles le 29 septembre. Le cinéaste belge offre pour l'occasion à Damien Bonnard et Leïla Bekhti, son duo-star, des rôles dont on se souviendra longtemps.

LES INTRANQUILLES : l'amour fou à l'épreuve de la bipolarité
© Les Films du Losange

Les Intranquilles : l'universalisation d'une histoire personnelle

De film en film, Joachim Lafosse s'est penché sur des personnages tourmentés, constamment aux prises avec ce qui leur échappe, ce qu'ils perdent, ce qui est friable en eux ou autour d'eux. Avec Les Intranquilles, en salles le 29 septembre, il orchestre un nouveau théâtre du délitement intime, largement inspiré des souvenirs de sa propre enfance.
Petit, il a en effet vu ses parents se faire broyer par la maladie, celle d'un père photographe maniaco-dépressif. Des années durant, le cinéaste belge a tenté de comprendre comment les choses se sont ainsi goupillées, le pourquoi du comment, la séparation, oscillant entre colère et tristesse. Et pour digérer un tel vécu, c'est le temps qui a joué son rôle de fossoyeur, assainissant son horizon et lui permettant de pouvoir offrir aujourd'hui ce brillant long-métrage en partage, sans exclusivement en faire récit unilatéral.
En trouvant les respirations dans le hors champ, les silences et la temporalité empruntée, Lafosse convoque l'attention du spectateur et le rend acteur de la propre débâcle qu'il dépeint. Si bien que la thématique proposée -celle de la question de l'engagement amoureux face à la maladie- trouve une indéniable universalité.    

Damien Bonnard et Leïla Bekhti, deux acteurs… plus qu'acteurs

Pour incarner le couple du film, ils ont gardé leurs propres prénoms. Comme une manière de certifier qu'ils se donnent entiers à ces rôles. Damien Bonnard et Leïla Bekhti, merveilleux, sont donc Damien et Leïla.
Le premier est un peintre fougueux, atteint de bipolarité, mais qui prend la tangente à chaque fois que la maladie est évoquée.
La seconde restaure des meubles mais répare surtout son mari, par choix, par amour. Elle n'est aucunement victime de la situation et c'est ce qui rend d'ailleurs son personnage aussi pertinent. Eux deux aspirent à leur singularité.
Mais comment composer, surtout face à cet enfant unique qui, tous les jours, grimpe dans un wagon en partance pour des montagnes russes émotionnelles ?
Dans un magnifique exercice de lâcher-prise, les deux comédiens ont travaillé en étroite collaboration avec Lafosse, jusque dans le développement narratif de leur personnage. Ce qui advient du couple à la fin du récit a en effet été imaginé et écrit par eux. Leur naturel désarmant, qui devrait clairement leur valoir des nominations aux prochains César, trouve dans la caméra du réalisateur belge un terrain de jeu et d'expression idéal.   

Leïla Bekhti, Damien Bonnard et Gabriel Merz Chammah dans "Les Intranquilles". © Les Films du Losange

Les Intranquilles de Joachim Lafosse, tourné en plein Covid

Les Intranquilles, présenté en compétition officielle lors du dernier Festival de Cannes, a été tourné durant l'été 2020, alors que le Covid battait son plein et que les vaccins n'étaient pas encore là. Joachim Lafosse salue volontiers le plaisir qu'il y a eu, au sein du plateau, de pouvoir se réunir et célébrer de nouveau l'art de créer. L'intrigue du long-métrage s'inscrit d'ailleurs pendant la pandémie, ce qui ajoute beaucoup de dramaturgie et de tension à l'histoire.
Pour le réalisateur, il aurait été incohérent de ne pas l'y inclure, d'autant plus que tous les psychiatres et spécialistes qu'il a pu croiser lui ont raconté ô combien la période du confinement a été difficile pour certaines familles avec des antécédents psychiatriques. Le décor ayant par ailleurs été terminé quinze jours avant le premier clap, l'intéressé a pu répéter avec ses acteurs, à la manière d'Alain Resnais, pour parvenir à une telle précision naturaliste.
Dans Les Intranquilles, tout sonne juste, jusqu'aux plus menus gestes domestiques.
Des accalmies aux crises, la mise en scène délicate caresse les personnages avec une empathie qui contamine le spectateur. Comme elle, comme lui, comme l'enfant, le public se découvrira intranquille. Car s'il est bien une qualité que le film présente indéniablement, c'est de nous rappeler qu'on est tous l'intranquille de quelqu'un.