Avec LES AMOURS D'ANAIS, Charline Bourgeois-Tacquet nous enchante

Anaïs, 30 ans, se pose des questions existentielles sur la vie, le couple, le désir et sa carrière dans "Les Amours d'Anaïs", au cinéma le 15 septembre. La réalisatrice Charline Bourgeois-Tacquet a puisé en elle pour offrir un premier long-métrage drôle et bouillonnant. Rencontre.

Avec LES AMOURS D'ANAIS, Charline Bourgeois-Tacquet nous enchante
© Niviere David/ABACAPRESS.COM

A 30 ans, Anaïs (Demoustier) ne tient pas en place. Elle se précipite partout, ne fait jamais de pause. Et dans sa tête, c'est pire. Impossible pour la jeune littéraire de tenir dans un couple classique ou d'honorer un stage sans faire faux bond, attirée par l'ailleurs comme une pie (bavarde) est attirée par ce qui brille. On n'est pas étonné quand elle tombe sous le charme d'un éditeur (Denis Podalydès), devient son amante, puis s'éprend de sa femme écrivaine (Valeria Bruni Tedeschi) et se rapproche d'elle.
Cette joyeuse foldinguerie réussit le tour de force d'être drôle, romanesque, rythmée et profonde. Il faut dire que sa créatrice y a mis tout son soûl. Charline Bourgeois-Tacquet a puisé dans ses propres questionnements et expériences pour mettre en boîte ce portrait de trentenaire débordant. Cette passionnée de littérature ne se destinait pas à la réalisation. Rattrapée par son talent, la voici à l'origine d'une pépite de cinéma. Interview.

Les Amours d'Anaïs est la continuité de votre court-métrage, Pauline Asservie. Comment s'est faite la transition entre les deux ?
Charline Bourgeois-Tacquet : J'avais commencé par écrire le scénario des Amours d'Anaïs, il y a peut-être 6 ans. Avant de passer au long-métrage, le producteur à qui je l'ai fait lire m'a demandé un court : j'ai écrit Pauline Asservie, sur l'aliénation amoureuse, avec un personnage assez proche. Pour le long-métrage, j'ai apporté une certaine gravité, de la profondeur. Je ne voulais pas que l'héroïne soit quelqu'un de léger, de superficiel et en même temps, j'ai poussé le curseur à fond dans les scènes pour que ce soit drôle.

Anaïs Demoustier joue Pauline du court et Anaïs du long. Comment s'est passée votre rencontre ?
Charline Bourgeois-Tacquet : Au départ, j'avais écrit le rôle pour moi ! Je voulais jouer dedans. Quand on m'a proposé Anaïs Demoustier, je n'osais pas imaginer qu'elle accepterait le scénario d'une débutante. Pendant notre rencontre, elle m'a dit se reconnaître dans cette manière de parler, dans ces questionnements, que c'était la première fois qu'elle avait l'impression qu'un scénario était écrit pour elle. Je me suis dit qu'on devait avoir quelques points communs. Ça a été un miracle. Anaïs est très douée, virtuose, elle connaît son texte à la virgule, elle n'a aucun souci avec les contraintes techniques et en plus de tout ça, elle apporte son intelligence, sa subtilité, son sens du rythme, de la comédie... c'était merveilleux.

Le prénom de l'héroïne est devenu celui de votre actrice entre les deux. Pourquoi ?
Charline Bourgeois-Tacquet
: J'ai failli reprendre Pauline, un clin d'œil à Pauline à la plage d'Eric Rohmer et à mon prénom, Charline, mais j'ai abandonné pour ne pas que ça devienne Martine fait ci, fait ça… J'ai cherché un prénom peu porté au cinéma, pas trop marqué socialement. Quand j'ai su qu'Anaïs Demoustier acceptait le rôle, ça m'a amusée de brouiller les pistes entre réel et fiction. C'était une facétie de ma part.

Anaïs Demoustier dans "Les Amours d'Anaïs" © Les Films Pelléas / Année Zéro / Haut et Court

Comment choisissez-vous vos acteurs ?
Charline Bourgeois-Tacquet : Je n'écris pas en pensant aux comédiens, même pour Anaïs. Je savais ce dont elle était capable, mais je ne la projetais pas forcément dans le personnage. Pour Emilie, je voulais une femme d'une cinquantaine d'années, belle, sensuelle, crédible en intellectuelle. Valeria Bruni Tedeschi était une évidence. Et puis je l'admire beaucoup comme cinéaste, ce n'est pas pour rien que je voulais l'attirer dans mon univers.

Denis Podalydès a-t-il accepté facilement l'aventure ?
Charline Bourgeois-Tacquet : Après l'écriture j'ai tout de suite projeté Daniel en lui. Mes producteurs m'avaient déconseillé de le contacter car il est booké sur trois ans. N'étant pas du genre à renoncer avant d'avoir essayé, j'ai quand même envoyé mon scénario avec une lettre. Il m'a répondu le lendemain, avec beaucoup de compliments, pour me dire qu'il était honoré et qu'il acceptait. C'était le monde à l'envers ! Je l'admire énormément, c'est un littéraire, comme moi. C'était un bonheur d'avoir ces trois grands comédiens sur le tournage.

L'amour et le désir sont au cœur de l'histoire. Pourquoi avoir mis Anaïs face à un couple plus âgé ?
Charline Bourgeois-Tacquet : Le film est une auto-fiction. Le personnage d'Anaïs est très largement nourri de ma personnalité, de mes questionnements, de mes rêves, de mes fantasmes... Il y a beaucoup de choses qui viennent de moi et il se trouve que j'ai souvent été attirée, amicalement et sentimentalement, par des personnes plus âgées. Depuis petite, j'ai beaucoup de curiosité et d'appétit pour les échanges avec des profs, des amis de mes parents, des rencontres qui ont 20 ou 30 ans de plus que moi. Je ne peux pas le justifier. Cela me stimule intellectuellement et me trouble amoureusement.

"La trentaine est un âge très angoissant"

Ce qui se passe entre Anaïs et Emilie semble au-delà de l'attirance…
Charline Bourgeois-Tacquet : J'avais envie d'une relation très forte entre les deux femmes et qu'elles soient à deux âges différents. Cela m'intéressait d'avoir une trentenaire un peu perdue, qui ne sait pas vraiment comment elle veut mener sa vie. Elle est à un âge très angoissant : il faut faire des choix, s'engager dans une vie de couple ou pas, décider si l'on veut des enfants, savoir comment l'on souhaite se réaliser dans son métier... Face à elle, il fallait une femme plus accomplie, avec une carrière aboutie, une vie conjugale sans maternité par choix. Le personnage d'Anaïs se projette dans Emilie. Elle se dit sûrement "j'aimerais être comme elle plus tard, comprendre comment cette femme a construit tout ça". Il y a quelque chose de l'ordre de la transmission entre elles.

On sent que si Anaïs s'arrête, elle tombe. Est-elle plus fragile qu'elle n'y paraît ?
Charline Bourgeois-Tacquet : C'est un personnage qui survit. Elle suit ses désirs. C'est une course perpétuelle, motivée par la fougue, la vitalité, la soif d'absolu et d'intensité. C'est le cœur du film. Pourquoi est-elle comme ça ? C'est sa manière de faire face à l'adversité. Elle ne peut pas se permettre de s'arrêter de contempler sa vie, sinon elle serait débordée par les émotions et elle s'effondrerait.

Comment avez-vous trouvé l'équilibre entre humour et questions existentielles ?
Charline Bourgeois-Tacquet : C'était l'enjeu principal et sans doute la plus grande difficulté. Il fallait conserver la drôlerie et la vitesse du court-métrage, tout en apportant une gamme d'émotions. Je voulais explorer des questions existentielles, le désir et l'amour, en atteignant le premier degré, le domaine du sentimental voire du romanesque. J'ai ajouté des personnages comme le frère et l'homme à tout faire pour apporter de la comédie tout le long. J'ai revu des films comme César et Rosalie de Claude Sautet afin de me donner du courage. Ce mélange de registres me passionne parce qu'il reflète la vie. On n'est pas que désespéré à un moment, comme on ne nage jamais entièrement dans le bonheur. Il y a toujours des contrastes.

Souhaitez-vous rester dans l'auto-fiction pour vos prochains projets ?
Charline Bourgeois-Tacquet : J'ai vécu des situations rocambolesques si drôles ces dernières années, que j'ai assez de matière pour imaginer une sorte de suite des Amours d'Anaïs. Ce n'est pas exclu pour un projet futur, mais ça m'intéresserait aussi beaucoup d'explorer des choses nouvelles avec un personnage loin de moi. J'ai commencé à réfléchir à un portrait impressionniste d'une femme d'une cinquantaine d'années, sans narration linéaire. L'idée c'est de m'intéresser à toutes les sphères de sa vie à la manière d'une étude. C'est hyper stimulant intellectuellement, mais c'est intimidant parce que c'est un exercice moins facile pour moi. 

Valeria Bruni Tedeschi dans "Les Amours d'Anaïs" © Les Films Pelléas / Année Zéro / Haut et Court

D'où vient votre envie de réalisation ?
Charline Bourgeois-Tacquet : J'ai grandi à Royan. A 14 ans, j'ai eu une révélation devant Isabelle Huppert qui jouait Médée au théâtre à La Rochelle. Je me suis dit que moi aussi je voulais incarner des grands textes sur scène. A 17 ans, je suis partie à Paris pour faire hypokhâgne, toujours avec l'objectif de devenir actrice. Après avoir raté l'agrégation de Lettres, j'ai accepté un stage chez Grasset, puis un CDD, un CDI… toujours en disant à tout le monde que j'allais devenir comédienne ! Quand ma mère est tombée très gravement malade, j'ai pris conscience de l'urgence. J'ai tout quitté. J'avais 26 ans, je ne connaissais personne, j'ai remué ciel et terre pour décrocher des rôles et ça n'a pas fonctionné. Je me suis mise à écrire des films pour jouer dedans et me constituer une bande démo. Un producteur, Philippe Carcassonne, m'a dit qu'il ne me voyait pas actrice et m'a demandé de lire ce que j'avais écrit… Et puis j'ai rencontré une comédienne qui pouvait être mon alter ego et c'est devenu encore plus intéressant.

Aucun regret ?
Charline Bourgeois-Tacquet : Aucun! Mon rapport au cinéma vient de la volonté d'être actrice, de mon amour de la littérature et de la langue. Ce sont mes portes d'entrée. J'ai toujours eu ce rapport de passion. Je travaille ma mise en scène en jouant toutes les séquences moi-même en répétition, avant le tournage. Je me déplace dans les décors, je tâtonne, c'est une manière de faire très proche du jeu. Après, si un réalisateur intéressant me proposait un rôle, je ne dirais pas non !

La consécration, ce serait de faire tourner Isabelle Huppert ?
Charline Bourgeois-Tacquet
: J'ai eu la chance de jouer dans L'Avenir de Mia Hansel-Løve, sur lequel j'avais deux jours de tournage avec elle. J'ai pu lui dire tout mon amour, elle a été extrêmement sympathique. C'est un rêve de l'avoir dans un de mes films, je ne pourrais pas être plus heureuse. Sauf que je n'ai pas de personnage pour elle là tout de suite…