UNE HISTOIRE D'AMOUR ET DE DESIR, un beau geste de sensualité

Six ans après "A peine j'ouvre les yeux", la cinéaste tunisienne Leyla Bouzid signe un retour triomphal avec "Une histoire d'amour et de désir", en salles le 1er septembre. Par le prisme d'une rencontre amoureuse sur les bancs de la fac, elle célèbre la découverte des corps et se frotte au pouvoir impérieux des pulsions. Superbe.

UNE HISTOIRE D'AMOUR ET DE DESIR, un beau geste de sensualité
© Pyramide Distribution

Une histoire d'amour et... un jeune homme face au désir

Dans les couloirs de la Sorbonne, Ahmed rêve aux mots, à leur pouvoir, aux territoires lointains qu'ils forment comme un pays de cocagne où il ferait bon vivre. Les murs, il les rase sous ses couches de timidité. La parole, il la prend rarement. Mais ses grands yeux noirs et curieux se projettent toujours vers le monde et lorsqu'ils harponnent la trajectoire de Farah, tout bascule en un clignement. Elle est tout ce qu'il n'est pas: libre, libérée, consciente de son corps, de son souffle et de sa jeunesse. Lui n'est que désir enfoui, bataille harassante entre instinct et réflexion. Loin de l'archétype du jeune homme arabe de cité, tributaire d'une virilité saillante, Ahmed est submergé par toutes ses fragilités, qu'il tente maladroitement de ravaler. Il est enfermé dans des schémas hérités, constamment effrayé par ses pulsions.
En brossant son portrait dans Une Histoire d'Amour et de Désir, au cinéma le 1er septembre, Leyla Bouzid change (enfin) de paradigme, s'appliquant à placer au centre d'une lumière inédite un jeune homme que des luttes intérieures empêchent d'éprouver et de jouir -quelles qu'en soient les formes. La réalisatrice pose ainsi un regard féminin sensible sur ce corps masculin étriqué, empêché, et qui, petit à petit, ouvre ses chakras pour répondre à la fusion des chairs. La première expérience sexuelle d'un garçon est d'ailleurs rare au cinéma ; elle est traitée ici gracieusement.        

Une Histoire d'Amour et de Désir de Leyla Bouzidou ou l'art de congédier les a priori

Les opposés s'attirent. Cette assertion est vieille comme le monde et Leyla Bouzid de nous le rappeler avec subtilité dans cette bien-nommée histoire d'amour et de désir.
Les parents d'Ahmed ont tourné le dos à l'Algérie
au cours de la décennie noire. Réservé et taciturne, il ne connait rien à sa terre natale, n'en parle pas la langue et n'en maîtrise pas la culture.
Farah, au contraire, débarque à Paris avec sa tunisianité en bandoulière, maîtresse de son destin et seule décisionnaire de sa vie. De compte, elle n'en rend à personne. Par-delà cette opposition des personnalités qui sert la dramaturgie du propos, la réalisatrice entend aussi briser le regard uniformisé qu'on pourrait poser sur la communauté maghrébine. Elle joue ainsi des nuances et, autour de ses deux héros, n'hésite pas à faire graviter des seconds rôles aux mentalités différentes les unes des autres (le père, le meilleur ami, etc…). Sans gros sabots, Bouzid effeuille par ailleurs les thématiques sociétales qu'elle intègre dans son récit sans jamais le rendre à charge ou moralisateur. Dans l'écriture, tout n'est que pudeur, retenue et intelligence. Et cela passe aussi par les corps et les expressions de deux comédiens au zénith: Sami Outalbali, révélé mondialement par la série Sex Education sur Netflix, et Zbeida Belhajamor.

Sami Outalbali et Zbeida Belhajamor dans "Une histoire d'amour et de désir". © Pyramide Distribution

Un grand film de cinéma... et la libération par les mots

Comment s'ouvrir ? Comment déverrouiller son propre corps et le placer dans le sens du vent du désir ? Comment casser les questions encombrantes de réputation ou d'honneur ? Comment ? Et surtout, comment toucher cette peau qui l'appelle sans être persuadé que l'acte sexuel qui pourrait s'ensuivre détruirait la pureté de l'amour ? Ces nombreuses questions, on les entend en permanence au fil de cette Histoire d'Amour et de Désir, à découvrir dès le 1er septembre.
Pour autant, elles ne sont jamais tout-à-fait formulées telles quelles. Elles s'enchevêtrent en effet dans les allers et venues d'Ahmed, dans ses hésitations, ses dérobades, lesquelles font perdre pied celle qu'il aime. A la rescousse de ses doutes ? Les mots, là, dans le ventre de tous ces livres. Lentement, ils deviendront l'épithème de ce qu'il réprime.
A la découverte de la culture arabe du Moyen-Âge et des nombreux traités d'érotologie qu'on y trouve, le jeune homme va entamer un cheminement intérieur afin de mieux comprendre ses pulsions, les appréhender, les accepter et les embrasser sans honte ou chasteté forcée. Dévouée à ce questionnement profond, la mise en scène de Leyla Bouzid s'articule au carrefour de deux langages qui vont finir par s'unir immanquablement, comme des corps impatients: celui des mots et celui des gestes. Après tout, n'est-ce pas l'essence même du cinéma que de voir ces deux musiques réunies dans une même image ?