Suzanne Lindon : "Mes parents m'ont regardée de la bonne manière"

A 21 ans, Suzanne Lindon livre sa première réalisation avec "Seize Printemps". En salles le 16 juin, cette parenthèse d'amour, légère et inspirée, lui donne l'occasion de se raconter en creux de son héroïne, une lycéenne qui s'entiche d'un homme plus âgé qu'elle. Rencontre.

Suzanne Lindon : "Mes parents m'ont regardée de la bonne manière"
© Paname Distribution

Labellisé Cannes 2020, Seize Printemps devait permettre à sa réalisatrice et actrice, Suzanne Lindon, de monter l'an dernier les marches du festival le plus prestigieux du monde. La Covid est passée par là et la jeune femme, 21 ans, d'offrir enfin sa première réalisation aux salles obscures.
La fille de Sandrine Kiberlain et Vincent Lindon s'y met en scène avec une grâce certaine et une consistante légèreté dans la peau d'une lycéenne qui s'ennuie ferme et qui trouve chez un homme plus âgé l'amour (platonique) lui permettant de redynamiter son quotidien. Pour le Journal des Femmes, la cinéaste en herbe évoque ce projet ultra personnel. 

C'est la question qu'on a dû vous poser en boucle : est-ce que l'héroïne, c'est vous ?
Suzanne Lindon :
(rires) Il y a beaucoup de moi là-dedans, oui. J'ai écrit le film à quinze ans, en essayant d'être la plus honnête et sincère possible. Je suis partie de ce que je connais, de moi, pour laisser ensuite de la place à mon imaginaire… Pour inventer autre chose... Mais ça part en tout cas de moi, de mon ressenti, de la manière dont j'ai été élevée, de mes états d'âme, de mes amis, de la mélancolie que j'avais…

Deuxième question attendue, puisque la comparaison est sur toutes les lèvres… Seize Printemps est-il le nouveau L'Effrontée ?
Suzanne Lindon :
A mes yeux, non (rires). Petite, j'ai été influencée par beaucoup de films comme A nos Amours, L'effrontée, Diabolo Menthe… Le côté héroïne me fascinait, de voir ces jeunes femmes devenir aussi tôt des actrices… C'est peut-être ça qui m'a poussé à me lancer et qui m'a permis d'oser enfin formuler à moi-même cette envie. Je n'avais en tout cas jamais vu de ressemblance particulière avec Charlotte Gainsbourg mais je suis trop proche de moi pour m'en rendre compte. J'étais admirative du fait que ce soit elle aussi une "fille de" mais qu'on l'a vue arriver pour ce qu'elle était : une super actrice. Ça m'a donné du courage.

Suzanne Lindon et Arnaud Valois dans "Seize Printemps". © Paname Dsitribution

Vous avez écrit le scénario à 15 ans pour raconter un "âge". Comment on s'y prend-on pour saisir un tel moment ?
Suzanne Lindon :
J'ai écrit le scénario pour deux choses. D'abord, parce que j'avais envie de jouer dans des films. J'ai une famille qui fait ça ; j'avais donc besoin de me sentir légitime et choisie pour les bonnes raisons. Ensuite, je voulais raconter les seize ans, cet âge décisif et inspirant, celui de la jeune fille des poèmes de Ronsard, de la rosée du matin… A cet âge, il y a un truc entre le conscient et l'inconscient. On comprend ce qui nous arrive sans forcément le formuler. C'est dur de se faire confiance, de ne pas se laisser influencer, il y a une lutte contre le regard de l'autre, contre les remises en question incessantes... On n'est pas forcément ancrés dans la vie alors que c'est le moment où on nous demande de choisir ce qu'on va devenir. Il y a tout un mythe autour de l'adolescence, selon lequel il constituerait les meilleures années de nos vies. Je me rappelle de m'être sentie un peu coupable en découvrant que je m'ennuyais… Je me suis dit que j'étais peut-être à part… Mais en fait, c'est un sentiment vraiment universel. C'est le moment des changements physiques, des premières fois, des premières amours, des premiers fantasmes… A cet âge, j'étais davantage intéressée par ce que je fantasmais que par ce qui se passait dans ma vie. Je désirais grandir plus vite ou revenir au stade d'avant. Mais je n'avais pas envie d'être là !  

"Je me sentais plus libre avec les gens plus âgés"

Diriez-vous que vous avez écrit le scénario comme un journal intime ?
Suzanne Lindon :
Plus qu'un journal intime, c'est un geste qui me ressemble. J'ai écrit ce film dans un carnet et pas sur un ordinateur. Ça m'a confortée dans le fait que c'était mon film et que je le ferai exactement comme ça me plaisait. Il s'agit d'ailleurs d'un objet plus que d'un film. Je ne savais pas exactement ce que ça allait devenir. C'est un élan, un cri qu'on pousse.  

Vous êtes-vous ennuyée avec les gens de votre âge, comme l'héroïne du film ?
Suzanne Lindon :
Un peu, oui… J'étais naturellement amenée à être avec les plus vieux. J'ai des copains de mon âge que j'aime, mais je me sentais plus libre avec les gens plus âgés. J'avais moins le trac en leur compagnie. Il y avait quelque chose de plus naturel d'être avec eux. Je ne sais pas d'où ça vient.   

Pourquoi l'amour platonique vous intéresse-t-il tant ?
Suzanne Lindon :
Ado, j'ai eu beaucoup d'histoires platoniques. Quand on tombe amoureux à cette période, ce n'est pas forcément réciproque. Il y a un démarrage qui est difficile car le trac empêche. Les histoires d'amour platoniques ne se résolvent jamais et marquent beaucoup. Elles laissent sur notre faim. On se demande ce qui aurait pu se passer. Je les trouve intéressantes et plus douloureuses car elles nous poussent à faire le deuil de quelque chose qui aurait pu être bien.  

"Tous les hommes ne sont pas des monstres"

Votre héroïne tombe amoureuse d'un homme plus âgé qu'elle… J'imagine que dans un monde post #MeToo, vous avez fait attention à traiter cette histoire avec la bonne distance…
Suzanne Lindon :
Jamais il n'y a eu de directions particulières pour Arnaud Valois ou moi… On ne s'est jamais dit : "Ne faisons pas ça parce que Me Too". Je refuserai toute ma vie de penser comme ça. Je ne veux pas m'empêcher de dire ou de faire un truc parce que ce n'est pas comme ça qu'il faut penser aujourd'hui. Moi, je m'en fous. Je pense qu'il y a des cris qui ont été poussés et tant mieux. Maintenant, j'espère qu'on va arrêter de crier et qu'on va construire les choses ensemble, les hommes avec les femmes et pas les femmes contre les hommes. Je ne veux pas que ce soit la revanche des femmes. Si on entre dans l'ère des femmes qui détestent les hommes, ça ne va pas le faire. C'est complètement idiot. Je veux bien qu'on crie une fois et qu'on se lève pour se faire entendre mais, après, il s'agirait d'être égaux et l'égalité n'est pas de rabaisser l'autre. Ce n'est pas comme ça qu'on va y arriver. Tous les hommes ne sont pas des monstres.

Suzanne Lindon dans "Seize Printemps". © Paname Distribution

"Une rencontre, c'est la vie qui s'en occupe"

Pourquoi vous semblait-il si important de raconter cette histoire sans repères temporels ?
Suzanne Lindon :
Je crois que n'importe quel ado de n'importe quel âge est confronté à cette quête : se chercher sans forcément se trouver. Du coup, pour illustrer ça, je voulais zéro marqueur d'époque, pas de réseaux sociaux, rien… Pour moi, les rencontres se passent dans la vie. Je ne suis pas contre les applis, que je trouve super pour beaucoup de gens, mais ce n'est pas pour moi, ce n'est pas ma rencontre rêvée. Pour moi, une rencontre, c'est la vie qui s'en occupe.

Le cinéma est l'endroit où vous vous sentez libre. A quel point ?
Suzanne Lindon :
Je peux tout oser au cinéma, je n'ai pas peur du ridicule, d'être trop ou pas assez, je me sens plus vivante que dans la vie. Et ce, en tant qu'actrice ou spectatrice. Des films m'ont fait avancer dans la vie comme Kramer contre Kramer, qui m'a émue, ou A Bout de Course qui a été fou pour moi.  

"Mon désir était profond"

Vous avez mis beaucoup de temps à imposer votre envie de faire du cinéma. Qu'est-ce qui vous bloquait tant ?
Suzanne Lindon :
J'étais inhibée par le fait que mes parents fassent ça. J'avais envie de le faire et cette espèce de quiproquo de "c'est une fille de" m'a bloquée. Je l'ai pris pour une malchance, un frein pendant longtemps. Je voulais qu'on comprenne que mon désir était profond.

Avez-vous songé à sortir ce film sous un autre nom ?
Suzanne Lindon :
Non, jamais. Mon nom, c'est moi. Je ne peux pas faire un film en essayant d'être sincère sans y mettre mon nom. Je ne veux pas me justifier. La fautive ce n'est pas moi mais ceux qui pensent que… Je ne vais pas m'excuser d'être née là où je suis née, ce n'est pas de ma faute (sourire).  

Qu'est-ce que vous avez pris de mieux de vos parents ?
Suzanne Lindon :
Un truc qui n'a rien à voir avec le cinéma. L'amour… Ils m'ont donné de la force pour vivre. Je n'ai rien appris, je n'ai rien chopé d'eux, j'ai juste été regardée de la bonne manière.