Laetitia Dosch, sexe fort de PASSION SIMPLE : "On nous sert toujours la même soupe"

Dans le fiévreux "Passion Simple" de Danielle Arbid, disponible en DVD et VOD, Laetitia Dosch se met à nu et donne corps au texte d'Annie Ernaux en habitant de tout son être une jeune femme dévorée par son amour. La comédienne nous ouvre les portes de son rôle le plus intime.

Laetitia Dosch, sexe fort de PASSION SIMPLE : "On nous sert toujours la même soupe"
© Pyramide Distribution

En 2013, Justine Triet révèle son talent et sa lumière dans La Bataille de Solferino. Huit ans plus tard, Laetitia Dosch s'est taillé une place de choix dans le cinéma français, en privilégiant des collaborations artistiques inspirées et diversifiées. Si elle était déjà formidable d'énergie et de sensibilité dans Jeune Femme de Léonor Serraille ou Nos Batailles de Guillaume Senez, c'est devant la caméra de Danielle Arbid qu'elle trouve son meilleur rôle. Probablement le plus difficile aussi, tant il exigeait un don de soi et un lâcher-prise. Dans Passion Simple, adapté du texte d'Annie Ernaux, elle incarne en effet une amoureuse transie qui perd totalement la raison face à un homme insaisissable. Entretien. 

"J'attendais que quelqu'un me regarde comme ça". C'est ainsi que vous évoquez la réalisatrice Danielle Arbid. Comment vouliez-vous qu'on vous regarde ?  
Laetitia Dosch :
Elle m'a offert un cadre dans lequel je pouvais jouer des choses plus intimes, plus secrètes. J'ai été pomponnée, coiffée… Même si ce n'était pas mon envie de départ, on m'a regardée comme un bel objet… J'ai pourtant lutté dans ma vie contre l'idée d'être une jolie femme. Je veux être indépendante, avoir du caractère, ne pas être dans la séduction… Et cette facette de moi s'est construite en opposition à une certaine idée de la féminité… Une fémininité qui me manquait aussi.

"On m'a traitée comme un objet glamour"

Pourquoi rejetiez-vous cette idée de renvoyer une image de beauté et de féminité ?
Laetitia Dosch :
Parce que je pensais que c'était ce qu'on me demandait et qu'on m'y emprisonnait. J'avais l'impression qu'il fallait répondre à beaucoup de codes. Moi, je voulais être libre. Et je veux toujours l'être. Je crois que ça peut m'aider dans ma liberté d'être très soignée. Sur le tournage de Passion Simple, on m'a traitée comme un objet glamour. Ça a donné plus de douceur et d'intériorité à mon jeu. La langue d'Annie Ernaux et la façon dont Danielle Arbid m'a dirigée sont assez similaires. Ils renferment quelque chose de précis, de précieux…

Vous avez lu Ernaux… Qu'est-ce qui vous saisit tant dans l'expression qu'elle fait du sentiment amoureux et du désir qu'il implique ?
Laetitia Dosch :
Plein de choses… J'avais lu toute son œuvre. Pour une actrice, c'est de la bombe. Elle est tellement précise dans les sentiments qu'elle décrit ! Elle met des mots sur des états d'âme et des détails de comportement. Quand on est actrice, on aime tout ça ; on s'en inspire pour créer à l'intérieur d'un scénario. C'est une mine de renseignements géniale. Passion Simple est une histoire déchirante, comme on en a toutes et tous connue. C'est un endroit caché, dont on peut parfois avoir honte et c'est super qu'il soit raconté dans un livre et dans un film. Cela donne la possibilité de revivre nos propres secrets et apporte une dignité et une beauté à cette envie de romance qui nous manque tant en ces temps difficiles. On ne peut pas rencontrer d'inconnus en ce moment…     

"C'est important ce qui se joue entre un corps masculin et féminin dans les relations physiques"

Pour arriver à une telle mise à nu, il faut une foi dingue dans le projet et le regard de la cinéaste. A quel moment avez-vous su que vous seriez filmée avec le beau regard, la bonne distance ?
Laetitia Dosch :
La première fois que j'ai rencontré Danielle Arbid, elle m'a prévenue qu'il y aurait beaucoup de nudité. Elle voulait vraiment traiter les scènes en question comme du jeu, d'en parler comme d'un thermomètre de l'amour. J'ai trouvé cette approche magnifique. Je n'ai pas forcément de plaisir à jouer des scènes de nu. Mais c'est très important aujourd'hui de décortiquer ce qui se joue entre un corps masculin et féminin dans les relations physiques, à plein de moments différents. On nous sert toujours la même soupe au cinéma avec cette scène de sexe de trente secondes où il se passe toujours la même chose. C'est dégradant pour les sentiments amoureux, pour le rapport au corps de l'autre et ça donne au spectateur une mauvaise image de l'amour. Encore une fois, Danielle Arbid fait ici du corps un territoire de cinéma, au même titre que le manque et l'attente. 

Laetitia Dosch et Sergei Polunin dans "Passion Simple". © Pyramide Distribution

Ici, on en vient presque à de la danse… Le langage du corps supplante celui de la parole. Est-ce que vous vous êtes sentie vite à l'aise -pas forcément dans la nudité- mais dans le déploiement de ce corps au service de ce qui traverse l'héroïne ?
Laetitia Dosch :
Oui ! Daniele était très précise sur le choix des gestes, sur la manière d'enlever ma montre, de marcher… C'était très choisi. Les moments d'attente, on les construit en pensant à des choses. C'est comme si on travaillait en impression. Ce que je cherche, comme beaucoup d'acteurs, c'est jouer avec le cœur et l'âme, que ça transparaisse sans qu'on contrôle tout.

Diriez-vous que l'héroïne est victime consentante de son amour ?
Laetitia Dosch :
Elle vit le reste de sa vie comme derrière un voile parce que seul cet homme occupe ses pensées. Elle est dans l'imagination, les fantasmes, elle a la tête ailleurs, elle la perd... Elle est son bourreau consentant aussi. Cet amour lui enlève des choses mais lui en apporte également : elle s'épanouit quelque part, elle redécouvre son cœur et son corps à un endroit où elle perd de la puissance, elle rencontre un imaginaire fort…  

Comme vous l'avez dit plus tôt, cette histoire est universelle, elle parle à tout le monde. Et vous ? Que tirez-vous de ce type de relation ? Est-elle nécessaire ou toxique ?
Laetitia Dosch :
Je n'en sais rien… Un peu les deux, j'imagine. Ce sont des amours dont on se souvient toute sa vie et que l'on porte avec des secrets profonds. Ce qui fait peur, c'est de rester dans les hauteurs, de s'imaginer cet homme en le voyant si peu… L'attente, il faut l'arrêter un jour. Attendre mille ans, ce n'est pas possible car la réalité perd sa place.   

Souscrivez-vous à l'idée selon laquelle il vaut mieux souffrir en amour que ne pas le connaître du tout ?
Laetitia Dosch :
Carrément ! Après, mieux vaut être heureux en amour (rires). C'est agréable de rêver, c'est important.

"Je cuisine, je suis beaucoup dans la nature, je traine..."

Est-ce que ça vous fait du bien de briser cette image de trentenaire bouillonnante et borderline ?
Laetitia Dosch :
Je me suis en effet sentie un peu enfermée dans les rôles de jeune femme en galère et bouillonnante. J'étais donc contente qu'on m'emmène ailleurs. Dans la vie, je suis assez complexe et toutes ces couleurs, je les avais en moi. Mais je n'avais pas forcément la place de les exprimer. C'est aussi pour ça qu'on joue des rôles. Je mets des choses de gens que je connais dedans, je m'amuse à ça. J'adore aussi les acteurs comme Depardieu qui sont toujours eux-mêmes, à l'écran comme à la ville. J'aime le mélange de soi-même et de composition…

Vous dites que vous êtes changeante. Mais est-ce aussi, dans le fond, une volonté d'entretenir un mystère ? Car plus le mystère suscité par une actrice est grand, plus le pouvoir de fascination qu'elle exerce est intact…
Laetitia Dosch :
Je ne sais pas. Même sur les photos, mon visage change. On ne me reconnait pas tout le temps. Et ça a plutôt tendance à me désoler. On me disait ça souvent (rires). Je ne le vis pas forcément bien.

Laetitia Dosch et Sergei Polunin dans "Passion Simple". © Pyramide Distribution

"J'ai eu une éducation assez stricte et conservatrice, mais..."

Qui vous a inculqué ce goût de la liberté que l'on retrouve dans vos choix artistiques ?
Laetitia Dosch :
Je ne sais pas, tiens. J'ai toujours rêvé et aspiré à la liberté. Être libre d'avoir un avis, d'avoir son libre arbitre, de penser par soi-même. Je crois qu'on m'a frustrée à ne pas l'avoir. J'ai eu une éducation assez stricte et conservatrice, mais avec de la folie dedans. Je vivais avec beaucoup d'animaux. Il y avait aussi de la fantaisie dans les gens qui m'ont entourée. Ils m'ont laissé faire du cinéma et ça n'a pas du être évident pour eux. Faudrait peut-être que je demande comment ils l'ont vécu.

Que faites-vous quand vous ne tournez pas ?
Laetitia Dosch :
J'écris, je fais des choses avec mes amis, mes voisins, je cuisine, je suis beaucoup dans la nature, je traine… Je prends du plaisir à marcher dans les rues et à m'assoir sur un banc. Des choses simples. Je passe aussi beaucoup de temps avec des animaux pour un projet.