Quentin Reynaud (5e SET) : "Un match pourrait cristalliser toute une vie"

Véritable touche-à-tout, Quentin Reynaud signe son premier long-métrage solo avec "5ème Set", en salles le 16 juin. Pour l'occasion, il met en scène Alex Lutz sous les traits d'une ancienne gloire du tennis qui se lance dans un dernier tour de piste. Avec emphase et générosité, il revient sur trois thématiques propres à cette œuvre.

Quentin Reynaud (5e SET) : "Un match pourrait cristalliser toute une vie"
© Jean Michel Nossant/SIPA

Rien ne le prédestinait au cinéma. Issu d'une famille de médecins, Quentin Reynaud nourrit depuis le plus jeune âge l'amour du clap et des images. Môme, il pique volontiers les caméras de son grand-père pour créer ses récits. Après un bac S à Bordeaux, il tente les Cours Florent mais abdique rapidement à la faveur d'études d'architecture. Un métier qui, de son propre aveu, rejoint les mêmes problématiques de structure, de créativité et de narration que le septième art.
Aujourd'hui, il ne sait d'ailleurs pas trop où se ranger. Qu'importe ! Son premier long-métrage solo, 5ème Set, brosse le portrait tourmenté d'un champion de tennis à bout de souffle qui tente un dernier Roland-Garros. Reynaud a lui-même manié la balle jaune à haut niveau -classé 3-6 à 15 ans- avant d'abandonner. Pour Le Journal des Femmes, il commente trois thématiques liées à cette discipline sportive.

La figure du tennisman  

Les modèles, c'est toujours chiant. J'ai tendance à vouloir, au contraire, les détricoter pour mieux les recoller à l'envers. Mais si je dois vous répondre, je dirais qu'on en a aujourd'hui deux versions optimales : Nadal et Federer.

Dans l'état d'esprit et le style, ces deux champions sont parfaits. Voyez leurs palmarès incomparables! Après, il y a certainement plus de complexité chez un Djokovic. A titre personnel, je l'aurais choisi pour en faire un film. C'est le moins lisse, il se bat contre quelque chose, il est mal compris, il est sur le fil de la colère…

Plus globalement, il y a au tennis quelque chose de l'ordre de l'entre-deux : c'est à la fois un sport de gens très chics mais qui donne aussi sa chance au quidam. Et c'est aussi une discipline qui a un lien très fort avec l'Histoire, depuis le Jeu de Paume. Pour revenir à cette potentielle figure idéale, on serait sûrement entre un Jimmy Connors hargneux et des talents plus posés comme Federer. Le tennisman est en tout cas cinégénique quand on en travaille l'aspect psychologique.

Le tennis est réputé comme étant le sport le plus violent après les sports de combat. La solitude, la frappe, la souffrance physique et psychologique… On est face à un adversaire qu'on ne peut pas frapper. Que dire de cette frustration d'être seul dans son monde, d'être le seul et unique responsable de ce qui arrive sur le court ? Un match pourrait cristalliser toute une vie.        

Être femme de tennisman

La femme du tennisman -comme plus largement la femme du sportif- a un rôle crucial dans la gestion du quotidien familial et sportif. Un sportif a besoin d'être épaulé. C'est un soleil autour duquel tout tourne en permanence. Des constellations de personnes gravitent autour. Prenez Djokovic : toute sa famille vit par et à travers lui. Et ces gens-là, on n'en entend pas toujours parler.

L'épouse est en tête de ce groupe de personnes inhérentes au champion. Elle est incontournable dans son intimité et sa carrière. On parle toujours de Roger Federer, mais il est tout aussi important de noter que c'est son épouse Mirka qui le pousse, qui l'a aidé, qui gère sa presse… Quand elle est arrivée dans sa vie, elle a canalisé cette énergie. La phrase est un peu bateau mais derrière chaque grand homme, il y a une grande femme.

L'inverse est aussi vrai comme le montre par exemple le film Une Femme d'exception (lequel montre le rôle qu'a tenu Martin Ginsburg dans l'ascension de son épouse Ruth Bader Ginsberg, ndlr). Dans mon film, l'épouse, qui est incarnée par Ana Girardot, avait les mêmes aspirations que le héros. De quoi raviver la dramaturgie et augmenter les frustrations.

Mon film a été vu par de nombreux champions de tennis et de rugby et ils étaient contents que j'y traite des difficultés, quasi sacrificielles, rencontrées par les conjoint.e.s dans la vie d'un sportif de haut niveau.

Ana Girardot dans "5ème Set" © Apollo Films

Être tenniswoman    

Les choses ont l'air d'évoluer dans le bon sens, notamment sur les tournois du Grand Chelem qui rééquilibrent les sommes reversées aux gagnants et aux gagnantes. Mais ça reste intrinsèquement et naturellement plus dur pour une femme. Il y a quand même eu des avancées. On va vers plus d'égalité avec une véritable prise de conscience globale. L'an dernier, Naomi Osaka a par exemple gagné des sommes astronomiques par rapport aux hommes, via les sponsors. Aujourd'hui, avec le succès du football ou du handball féminins, il y a un intérêt plus égalitaire pour le tennis féminin.

Cela dit, j'ai quand même le sentiment que le tennis féminin a toujours été exposée… Le film Battle of the Sexes revient bien sur l'enjeu triplement politique, social et égalitaire de cette discipline chez les femmes. Des championnes comme Seles, Graff ou Sanchez ont eu un rôle majeur aussi. En tout cas, je regarde aujourd'hui le tennis féminin avec quasiment le même intérêt que le masculin. En fin de compte, on aime surtout les confrontations entre fortes personnalités et c'est ce qui a manqué ces dernières années chez les femmes. Les gens ne sauraient pas dire facilement qui est numéro 1 mondial WTA. Le turnover est si élevé qu'il y a un problème d'identification. Moi, j'avais à l'époque des posters de Stefi Graff dans ma chambre. Moi je m'en fous que ce soit une femme ou un homme tant que la compétence est là. A Wimbledon je préfère d'ailleurs les matchs de femmes car il y a plus d'échanges.