Alex Lutz : "On n'enseigne pas suffisamment l'art d'échouer"
Dans "5ème Set" de Quentin Reynaud, en salles le 16 juin, Alex Lutz creuse un merveilleux sillon dramatique en campant une ex-gloire du tennis qui s'apprête à disputer le dernier Roland Garros de sa carrière. Un rôle qu'il endosse avec un engagement déconcertant.
Deux ans après avoir remporté le prestigieux César du meilleur acteur pour sa performance de chanteur has been dans Guy, son second long-métrage de réalisateur, Alex Lutz persiste et signe dans le drame. Et ça lui va ! Dans 5ème Set, le premier film solo de Quentin Reynaud, le comédien livre une prestation intense, physique et émotionnellement dense sous les traits d'un tennisman en fin de carrière qui s'accroche à son dernier Roland Garros. Catherine, ses rôles comiques ou ses spectacles sur scène disparaissent totalement. Lutz se mue sous nos yeux ravis en grand champion du septième art. Rencontre avec un bosseur lucide et passionné.
Le personnage de Thomas est riche et complexe. Il a une dimension tragique. Par quel truchement avez-vous accédé à lui ?
Alex Lutz : Disons que j'ai eu une impression très forte à la lecture du scénario. Il m'a ému et c'est à partir de cette émotion que je suis allé dans sa direction. J'avais confiance dans ce que j'ai ressenti pour lui, pour son histoire. Il a effectivement les contours d'une véritable figure tragique de théâtre. Il y a même un souffle homérique dans son chemin. La trame renfermait également quelque chose de fort sur le rapport au temps. Ce chant du cygne avant l'heure, je le trouve touchant.
Comme lui, seriez-vous capable de tout pour un dernier round ?
Alex Lutz : Oui, je le crois. Ce sens du combat pour faire les choses, je l'ai dans la vie. Si on parle de l'art, il n'est pas vraiment question de combat mais plutôt de persévérance. J'ai mis toute mon âme pour monter Guy car, au départ, c'était un pari curieux…
Être oublié, est-ce que ça vous effraie ?
Alex Lutz : Pas vraiment, même si ça peut être douloureux de se dire -d'une certaine manière- qu'on a peut-être échoué à un endroit… Ce qui m'effraie et qui me ferait même du chagrin, c'est de ne pas continuer à faire mon métier. J'ai intégré très tôt dans mon parcours que si mon travail rencontre le public, c'est une chose. Le cas échéant, ce n'est pas forcément dramatique. J'aime l'acte créatif et sa concrétisation, quelle qu'elle soit.
"Il faut de l'amour propre bien placé afin d'être en bienveillance avec soi-même"
En tant qu'artiste, qu'est-ce qui vous pousse à remonter sur le ring de la création quand le doute s'installe ?
Alex Lutz : Faire quelque chose d'artistique n'est pas toujours lié à une idée ou à un sentiment précis. Cela ne vient pas forcément d'un doute, d'une colère ou d'une joie identifiés. Souvent, on crée des œuvres inconscientes qui sont la somme de plein de choses qui ressortent d'un coup. Je ne sais pas à quoi je réponds en faisant de l'art. Est-ce la peur de l'abandon ? L'envie d'exister ? Une réaction au doute et aux atermoiements de la vie qui passe ?… Je crois que ça doit être tout ça à la fois.
Qu'avez-vous ressenti quand, après avoir revêtu votre tenue de tennis, vous avez foulé la terre battue de Roland Garros ?
Alex Lutz : Le costume est important pour mon travail d'acteur. Avec la terre battue, le sac, l'accréditation qui pendouille, on devient tout à coup tennisman. Être à Roland Garros, quelle émotion ! (Réflexion) Je suis assez marqué par les salles de spectacle où j'ai eu la chance de faire… C'est un peu comme la première fois à l'Olympia, aux Folies Bergères… C'est très fort…
Etes-vous sportif ?
Alex Lutz : Je le suis depuis quelque temps. Plus jeune, je n'aimais pas la compétition. Les engueulades pendant les matchs de foot me stressaient. Les sports collectifs ne me plaisaient pas. Je dessinais des heures durant et je pratiquais des sports solitaires comme la natation, l'équitation ou le jogging…
Quand on est dans la lumière, comme une star du tennis ou du cinéma, l'égo est-il le pire ennemi ?
Alex Lutz : Il en faut mais il faut le doser. Il s'agit de ne pas tricher avec ça, de ne pas faire le faux modeste, aller vers une fausse contrition, une fausse modestie par rapport à son niveau de travail. J'ai eu le César du meilleur acteur. Pour autant, je ne me prends pas pour le meilleur acteur. C'est un prix pour un film qui, à un moment donné, a plu aux gens. Ça m'a touché, ça a mis de la douceur à mon âme. La question de la légitimité qui se pose tout le temps dans notre métier s'en est trouvée temporairement apaisée. Maintenant c'est fini, il est sur une étagère. Il faut à chaque fois raison gardée et continuer comme si on avait tout à inventer. Pour répondre à votre question, je dirais qu'il faut de l'amour propre bien placé afin d'être en bienveillance avec soi-même dans des moments de doute.
Vous êtes prolifique. Etes-vous hyperactif ?
Alex Lutz : Non, je ne crois pas. Je travaille beaucoup ; c'est un métier que je pratique passionnément. Je continue le dessin et j'adore ça. La pratique artistique oblige tous les sens : l'ouïe, le goût, le mouvement… Il faut beaucoup écouter son premier instinct. Cela ne veut pas dire qu'on ne fait pas quelque chose de réfléchi. Ça m'est arrivé de vouloir calculer les choses. Il y a même un temps où c'est nécessaire d'avoir une cohérence éditoriale dans ce qu'on fait, mais c'est souvent fatigant. Les calculs ne sont pas comme des algorithmes. Ils sont peut-être rassurants mais pas toujours justes à la clé. Et souvent vains.
"Ce sont les échecs les mieux surmontés qui donnent le droit de réussir", disait Jean Mermoz. Etes-vous d'accord ?
Alex Lutz : Oui ! On n'enseigne pas suffisamment l'art d'échouer à l'école. Le fait de se tromper est une chose inconstante. J'ai redoublé au lycée et ce n'est pas dramatique. En équitation, pour mieux monter, ce n'est qu'une addition de plantades. Les gens qui ont un rapport compliqué à l'échec ont un rapport contrarié avec eux-mêmes.