Maxime Chattam : "J'écris pour fuir la réalité et me sentir moins seul"
Roi du thriller made in France et artisan de nos nuits blanches, Maxime Chattam est membre du jury de la 28e édition du Festival International du Film Fantastique de Gérardmer qui se tient en ligne jusqu'au 31 janvier. L'écrivain, ultra cinéphile, nous a ouvert les portes de ses délectables ténèbres. Entretien.
Maxime Chattam au jury de Gérardmer, c'est d'une logique implacable, non ?
Maxime Chattam : (rires) J'ai eu le plaisir de participer à de précédentes éditions (il a reçu un prix en 2003 pour son roman Le Cinquième Règne, ndlr). Ça va être la 3ème ou 4ème fois que j'en suis, avec la déception, bien sûr, de ne pas être sur place cette fois-ci. Surtout quand on sait combien l'ambiance de Gérardmer est unique ! Mais nous verrons au moins des films en ligne et ça, c'est cool. Tout comme la perspective de parler de cinéma avec les autres membres du jury.
Est-ce qu'un écrivain de livre d'horreur est forcément fan de films d'horreur ?
Maxime Chattam : Ce n'est pas une évidence même si ça semble facile de le croire. Je ne suis déjà pas certain que tous les écrivains soient fans de films. Le cinéma de genre a des codes que la littérature n'a pas nécessairement. Pour ma part, j'adore la littérature et le cinéma de genre et je le revendique. Ça fait partie de mes références. Je me suis construit en tant qu'adolescent cinéphile et qu'homme romancier grâce au cinéma et à travers lui. Il fait partie des choses qui m'ont donné envie d'écrire. D'ailleurs, si je n'avais pas été romancier, j'aurais adoré réaliser. Aujourd'hui, je peux clairement dire que je suis davantage inspiré par ce que je vois que par ce que je lis. Le cinéma et les séries offrent plein de possibilités pour raconter une histoire. Alors que, finalement, la littérature se renouvelle peu dans la forme.
"Adolescent, je me promenais seul la nuit dans la forêt""
Souvent, on dit que la peur est un frein, qu'il ne faut pas vivre sous son joug. Trouvez-vous, au contraire, qu'elle peut avoir de belles vertus ?
Maxime Chattam : La peur peut aussi être un moteur. Quand on ne fait que la subir, elle est négative. Quand, en revanche, on arrive à la prendre, à l'encaisser et à en tirer une énergie, c'est mieux. La littérature et le cinéma horrifiques disposent d'un cadre défini; on sait qu'on va se faire peur de façon mesurée pour en tirer quelque chose du domaine du plaisir. Ce n'est pas être maso de faire ça. Au contraire, c'est un moyen de jouer avec nos interdits, nos tabous, nos limites, de voir jusqu'où on peut aller tout en sachant qu'on peut arrêter à tout moment. C'est une forme de peur sous contrôle, plus agréable, qui permet d'apprendre sur soi-même.
Qu'avez-vous appris sur vous grâce à la peur ?
Maxime Chattam : Adolescent, j'ai trouvé des tonnes de façons de me faire peur. J'allais visiter tout ce qu'il pouvait y avoir de grottes abandonnées, d'égouts ou de catacombes. Je me promenais seul la nuit dans la forêt. C'était un bon moyen de comprendre ce qui me faisait le plus peur. Était-ce l'inconnu ? Et il y avait surtout ce que j'y apportais : ce fond de cinéphile geek des années 80… Je pense à L'empire contre-attaque : tu as peur de ce que tu amènes dans cette grotte (rires). Tout ça m'a en tout cas permis, plus tard, d'identifier mes limites et ma part d'ombre. Et pour écrire des romans noirs, il faut connaître sa part d'ombre pour y puiser de la matière. C'est ce que la peur m'a appris.
"Si on est trop dans la réalité, on ne fait plus de la fiction mais de l'autofiction"
Avez-vous des limites dans la création ?
Maxime Chattam : On va dire que je n'aime pas le gore. Il implique une notion gratuite qui ne m'amuse pas trop. On me dit souvent : "Vous écrivez des trucs très durs, très noirs." Mais je ne sombre jamais dans le gore car rien n'est gratuit dans mon travail. En revanche, la promesse que je fais à mes lecteurs en les embarquant dans mes récits, c'est de les prendre par la main pour vivre des montagnes russes émotionnelles. Et quand on arrive à une scène de crime, je ne vais pas dire que ça sent mauvais mais je vais raconter ce qu'est l'odeur d'un cadavre en putréfaction. Parce que, justement, j'ai fait ce travail en tant que romancier. Je suis allé respirer l'odeur sur une scène de crime pour coller des mots, des adjectifs, des périphrases qui serviront à la lecture.
Quel regard portez-vous sur le monde actuel et la pandémie ? Avez-vous l'impression que la vie a osé plus que la fiction ?
Maxime Chattam : C'est un grand classique. La fiction sera toujours à la traîne parce qu'il est impossible d'être à la mesure de la réalité. Dès qu'on fait de la fiction qui veut se mesurer à la réalité, les gens nous disent que ce n'est pas plausible. La réalité démontre toujours que les choses peuvent aller beaucoup plus loin qu'on le croit. Il faut donc se contenter de faire de la bonne fiction, c'est-à-dire, trouver le juste équilibre entre réalité et fiction. Mark Twain disait: "La fiction, contrairement à la réalité, se doit d'être crédible, elle."
Croyez-vous que les auteurs et réalisateurs, à la lumière sombre de l'époque, iront encore plus loin quand il sera question d'imaginer les mondes d'après ?
Maxime Chattam : Je ne sais pas si ça les poussera à aller plus loin. La question que je me pose, c'est de savoir ce qu'ils tireront de ce qu'on vit aujourd'hui. Il y en a qui vont s'en servir pour essayer de raconter la société à travers la pandémie et ceux qui vont tenter d'anticiper ce que sera l'après. Moi, perso, je trouve ça tellement pas drôle ce qu'on vit et subit que je fais comme si ça n'existait pas. J'écris en ce moment un roman pour fuir la réalité. Je vis dans un cadre assez isolé et tranquille, dans une maison située au milieu d'un parc, avec une forêt… Pandémie ou pas, de toutes les façons, si on est trop dans la réalité, on ne fait plus de la fiction mais de l'autofiction.
"Faustine intervient sur les personnages"
Faustine Bollaert, votre épouse, a l'air super fan de votre univers… Quel est son rôle dans votre processus artistique ?
Maxime Chattam : Globalement, c'est un travail de réflexion que j'ai sur le long-terme. Ça se fait beaucoup dans ma tête. En revanche, pendant la phase d'écriture, je lui fais souvent lire des chapitres et elle intervient sur les personnages. Son truc, c'est les relations humaines entre eux. Elle va me dire ce qu'il manque pour que tel ou tel moment soit plus crédible, là où je dois développer, creuser… C'est une véritable discussion.
Est-ce que, par moment, vous l'effrayez avec votre imaginaire ?
Maxime Chattam : Un jour, elle lisait un de mes livres et j'ai vu son regard complètement changer. Elle m'a regardé et m'a dit: "Réponds-moi franchement : est-ce que tu as déjà tué quelqu'un ?" (rires) Je lui ai répondu que si elle posait cette question, c'est que j'avais réussi mon boulot. C'est le travail du romancier ça: arriver à rendre crédible quelque chose qui n'est pas vrai. Quelqu'un qui écrit un roman sur l'espace n'a pas besoin d'y aller pour décrire les choses. Pareil : pour écrire sur un tueur en série, il n'est pas obligatoire d'en avoir côtoyé un ou d'en avoir été un (rires).
" Je n'écris pas pour être vu dans le regard de mes enfants comme un type bien"
Vos enfants sont petits… J'imagine qu'ils n'ont pas encore conscience de toutes les horreurs que vous imaginez. Comment allez-vous leur en parler ?
Maxime Chattam : Ce n'est pas parce que leur papa écrit un roman qu'ils sont obligés de le lire. Ce que je veux avant tout -et on les élève comme ça avec Faustine-, c'est qu'ils soient curieux de tout, des autres, de la vie… S'ils sont curieux de mon travail ou qu'ils me demandent un livre à lire, je leur parlerai. Mais je ne vais pas leur mettre la pression pour lire ou, pire, aimer ce que j'ai écrit. Ça viendra d'eux ou ça ne viendra pas ; ce n'est pas bien grave. De toutes les manières, je n'écris pas pour être vu dans le regard de mes enfants comme un type bien. J'écris pour d'autres raisons: me faire plaisir et être moins seul.
Quelle est la zone la plus inconfortable qu'il vous plait de visiter par le prisme du genre ?
Maxime Chattam : Il y a d'abord ce qui a trait aux phobies d'enfance… et il y a aussi le terrain du ludisme. J'adore les films de monstres. S'il y en a un dans un film, le réalisateur gagne 50% de mon adhésion. Parce que ça m'amuse, ça m'intrigue… Il y a une part d'eux incomprise, ils sont presque rassurants. La société et l'être humain n'ont pas de prise sur eux. Ce qui me fait le plus peur, c'est l'humain et la société comme rouleau-compresseur. Alors que le monstre, une fois qu'on le prend pour ce qu'il est - une création-, il y a un processus plus intéressant. Pourquoi les crée-t-on et sur quoi les construit-on ? J'aime le genre pour des raisons ludiques et personnelles : Shining, Alien, The Descent. Les Maître des Illusions… Le cinéma organique me dérange mais me plait : je cours vers Cronenberg. J'ai toujours aimé la peur et la zone d'ombre qu'il y a en nous. La part d'ombre, on ne la montre pas facilement, elle n'est pas consciente chez chacun et je me demande toujours ce qu'elle raconte de nous et de nos sociétés. J'aime ce qu'on ne voit pas, ce sur quoi on se construit… Quelles sont les caves de la personnalité de chacun ?
"Si vous trouvez que la situation est anxiogène, plongez-vous dans un film qui fait peur"
Que diriez-vous à ceux qui, sous prétexte que le climat actuel est trop anxiogène, refusent de voir des films d'horreur ?
Maxime Chattam : C'est une forme d'évasion. Se plonger dedans, c'est un moyen de jouer à se faire peur dans un cadre rassurant. La réalité est effrayante car on n'a aucune prise sur elle. Au cinéma, on a prise sur nos peurs. On joue avec elles et on ressort plus rassurés. Si vous trouvez que la situation est anxiogène, plongez-vous dans un film qui fait peur et vous verrez qu'on se sent mieux après. On s'abandonne à quelque chose qui ne nous fait pas réellement de mal. Il n'y a aucun pacte avec la réalité, elle ne nous garantit pas de nous épargner.