Jalil Lespert : "J'ai rêvé mon premier enfant"

Dans "L'Enfant Rêvé" de Raphaël Jacoulot, en salles le 7 octobre, Jalil Lespert incarne un directeur de scierie qui aspire ardemment à devenir père. Perdu au centre d'un triangle amoureux incluant Mélanie Doutey et Louise Bourgoin, il séduit par une prestation brute et déchirante.

Jalil Lespert : "J'ai rêvé mon premier enfant"
© Panane Distribution

Sa présence est magnétique, intense, déchirante aussi. Dans L'Enfant Rêvé, Jalil Lespert se glisse sous les traits d'un directeur de scierie qui attend impatiemment de devenir père, en multipliant les tentatives avec son épouse (Mélanie Doutey). Sans résultat. Il le deviendra finalement grâce à une jeune femme (Louise Bourgoin) fraîchement débarquée dans son Jura natal. Pour le cinéaste Raphaël Jacoulot, il fallait toute la puissance et la fragilité de Lespert pour donner un souffle incroyablement romanesque à ce personnage d'homme perdu, épuisé et malmené par ses mauvais choix. Terrestre et magnétique, ce dernier y investit l'intériorité du héros en chopant ses blessures et ses silences. Rencontre avec un acteur accompli. 

Qu'est-ce qui vous séduit dans le cinéma de Raphaël Jacoulot et dans le personnage qu'il vous propose ?
Jalil Lespert :
Sa manière de surfer entre le cinéma néoréaliste d'auteur et le cinéma de genre, en l'occurrence le thriller. J'aime son côté un peu chabrolien, avec quelque chose d'ancré dans une forme de ruralité. J'adore sa sensibilité. C'est quelqu'un qui est très proche de ses comédiens, qui est passionné par la direction d'acteurs. A titre personnel, c'était un bonheur de travailler avec une telle personne. Mon personnage m'a également plu par sa complexité, par ce dilemme auquel il est confronté, ce chemin qu'il parcourt et ce mélange qu'il y a entre cette carapace de mec solide, entier, et, en creux, cette fragilité d'enfance et d'innocence. Je trouvais ça intéressant d'incarner un homme en contradiction, tout en douceur et violence, constamment dans l'incapacité de trouver les mots et les solutions pour se dépêtrer de sa situation. Ça le rend touchant malgré son cheminement sombre.

De quelle manière le percevez-vous ?
Jalil Lespert :
Il n'est pas encore un père. C'est surtout un enfant. Il se fait une idée de la paternité qui n'est pas la bonne. Il ne s'est jamais vraiment projeté sur ce qu'est sa vie d'homme. Il n'a fait que subir les choses et se laisser porter par le choix des autres. Il y a au-dessus de lui une espèce de poids social, familial, éducatif… Comme enfermé dans la grotte de Platon, il n'a pas conscience que le monde qui va s'ouvrir à lui est tout autre. En étant père, il ne s'attend pas forcément à voir toutes ses convictions, ses repères, ses fondements et sa morale s'effondrer. Il ne sait d'ailleurs pas comment réagir et prend peur en s'inscrivant dans une forme de tragédie. François ne sait pas comment faire. Et cet inconnu dans lequel il plonge est passionnant à ausculter.

Jalil Lespert et Mélanie Doutey dans "L'Enfant Rêvé". © Paname Ditribution

Avez-vous le sentiment que nous sommes tous victimes de nos déterminismes ?
Jalil Lespert :
Oui, bien sûr. On peut le devenir si on n'en a pas conscience. Ça m'est probablement déjà arrivé. Je dirais qu'il faut aussi accepter ça pour vivre. Tout n'est pas à jeter dans le déterminisme, en tout cas à mon sens. On est aussi des animaux sociaux, faits pour vivre ensemble, on en a besoin quelque part. Faut en avoir conscience pour l'interroger et opérer ses propres choix. Et ensuite se demander si ces choix sont déterminés ou choisis… (Réflexion) Je crois qu'on reproduit des schémas, des atavismes ou, au contraire, qu'on essaye de les casser.

François était prédestiné à tenir la scierie familiale. Et vous, avez-vous eu un chemin tout tracé que vous avez brisé ?
Jalil Lespert :
J'avais une maman juriste. J'ai fait du droit alors que je ne le voulais pas trop. La socio et la philo m'intéressaient… Mais j'ai eu peur de ne pas y trouver ma place sociale, peur de ne pas avoir de boulot à la clé… Ce déterminisme, paradoxalement, je l'ai contre-carré en faisant le même métier que mon père. Et je suis heureux de ce que j'ai en tant qu'acteur, je me sens accompli, ce qui n'est pas le cas de François, même s'il aime le monde du bois et de la scierie. Lui s'est construit à défaut. Son problème, c'est son positionnement en tant qu'homme, même au niveau de la virilité. Il se projette père d'un fils, même pas d'une fille. Pour lui, la transmission est essentielle et il se voit garant d'une virilité. Et tout ça vient de l'éducation dure qu'il a reçue de son père.

"On n'est jamais un parent parfait et c'est dans l'ordre des choses de ne pas l'être."   

Comme lui, avez-vous rêvé votre premier enfant ?
Jalil Lespert :
J'ai toujours voulu être père, donc oui, j'ai rêvé mon premier enfant. Et par chance, j'ai grandi avec lui et je continue à grandir avec mes enfants. Je pense qu'on n'est pas père en un claquement de doigt, on le devient. Au fil des années, les enfants nous apprennent beaucoup de choses sur nous-mêmes. On n'est jamais un parent parfait et c'est dans l'ordre des choses de ne pas l'être. Et c'est normal, à un moment ou un autre, de se le voir reprocher. Cela fait partie d'un point de rupture essentiel dans le parcours et la construction d'un humain. Il est primordial de remettre en question l'autorité et l'éducation qu'on reçoit ou qu'on subit. En tant que parent, malgré l'amour donné et l'impression de faire le maximum, il faut être heureux d'entendre son enfant dire qu'on est passé aussi à côté. Sans impatience, j'attends quand même ce jour (rires).   

Comment avez-vous accueilli le rallongement du congé paternité en 2021 ?       
Jalil Lespert :
C'est formidable ! C'est une avancée. En tant qu'acteur, il y a des périodes où on est sollicités et d'autres où on est chez soi. J'ai eu cette chance-là, d'être présent, de participer à l'éducation des enfants, de les amener à l'école, de passer du temps avec eux. Autour de moi, les pères de ma génération ont conscience qu'ils ne peuvent pas seulement être que l'autorité ou ceux qui regardent de loin ce que font les mères. Ces dernières sont investies plus tôt que nous dans cette mission, elles portent l'enfant, elles ont un lien qui n'est pas le même… Le nôtre se fait au fil du temps et des années et se renforce si on le veut bien. Donc tant mieux si la place du père est reconnue… Et ce rallongement va être un soulagement pour beaucoup de mères, surtout dans les premières semaines où c'est compliqué…  

Qu'avez-vous envie de transmettre à vos enfants et en tant qu'artiste ?
Jalil Lespert :
Une indépendance, une notion de liberté… Je veux qu'ils s'aiment assez pour se revendiquer. Quand on est artiste, même si c'est un grand mot, écrire une histoire ou se raconter et laisser des traces de soi est, évidemment, un moyen de transmettre quelque chose. C'est difficile de savoir quoi dans la mesure où, pour moi, faire des films était davantage une nécessité qu'une envie. J'avais besoin d'évacuer des choses. La question est de savoir quoi… Peut-être qu'à la fin de ma carrière, je le saurai enfin (rires).