Deauville, Papicha, l'Algérie... : la cinéaste Mounia Meddour se livre

César du meilleur premier film en 2020 pour son épatant "Papicha", la réalisatrice franco-algérienne Mounia Meddour fait partie cette année du jury du 46e Festival du Cinéma Américain de Deauville, présidé par Vanessa Paradis et qui s'ouvre ce vendredi. Le journal des Femmes est allé à sa rencontre. Morceaux choisis.

Deauville, Papicha, l'Algérie... : la cinéaste Mounia Meddour se livre
© LAURENT VU/HAEDRICH JEAN-MARC/SIPA

Deauville et le jury

Deauville a pour moi une symbolique très forte. Ce lieu, qui a vu éclore ou passer de grands talents, constitue une véritable ouverture pour tant d'œuvres indépendantes américaines qui n'arrivent pas forcément à trouver leur chemin vers les salles de cinéma françaises. Je suis heureuse de son cru 2020 puisque, sur les 15 films sélectionnés en compétition, il y a 8 premières réalisations et 8 films mis en scène par des femmes. J'ai hâte de les découvrir et d'écouter les points de vue au sein du jury présidé par Vanessa Paradis.

Le fait que ce festival ait lieu, c'est déjà quelque chose d'assez extraordinaire eut égard à la situation que nous traversons. Sa bonne tenue participe dans cette entreprise de redynamisation du cinéma. Accepter d'en être, c'est accepter d'être dans une salle de cinéma, avec du monde, avec des festivaliers passionnés. C'est comme une sorte d'engagement, de résistance face à la pandémie. J'y vais sereine ; on va garder nos masques et regarder des films. Vous savez, on s'habitue à tout, même à la guerre civile que j'évoque dans mon film Papicha (elle y raconte l'histoire de Nedjma, une jeune femme qui se bat pour sa liberté, bravant les interdits religieux dans les années 90 pour organiser un défilé de mode, ndlr). 

Chez l'humain, il existe des mécanismes de survie qui se mettent en place pour s'adapter au pire comme au meilleur. Cette crise sanitaire aura engendré d'autres fonctionnements, notamment en termes de consommation de cinéma, avec davantage de films locaux, indépendants… Il est en tout cas important d'encourager l'existence de cette 46ème édition, pour laquelle de très nombreuses personnes ont œuvré d'arrache-pied.

L'influence algérienne

On peut dire que j'ai trois identités : russe, algérienne et française (son père est le réalisateur algérien Azzedine Meddour et sa mère est d'origine russe, ndlr) ; avec une primauté pour la franco-algérienne. Bien que née en Russie, je ne suis pas forcément imprégnée de sa riche culture. Ça en étonne beaucoup mais les coutumes russes ressemblent à celles qu'on a en Algérie, avec par exemple un patriarcat très présent.

Pour revenir à l'identité, je crois que le cinéma en est le territoire. C'est là que je partage des récits forts et personnels. Je suis attachée aux histoires algériennes et au statut des femmes dans ces sociétés.

Après Papicha, je prépare d'ailleurs un autre film qui met en scène une femme très forte. En parlant d'Algérie, j'ai très hâte de découvrir ADN de Maïwenn (labellisé Cannes 2020 et projeté à Deauville cette année, ndlr). Je suis attachée à ce pays, qui est si cinématographique. Tout m'y inspire: les gens, la linguistique, l'humour, la gestuelle, le vécu, la débrouille, la population qui garde l'humour et se bat pour des choses élémentaires et fondamentales… Tout y est compliqué, tout tient de l'obstacle, n'importe quelle démarche administrative est un enfer… J'aime par ailleurs l'incroyable architecture d'Alger, malgré sa vétusté. J'ai résidé dans ses quartiers populaires. Etant kabyle, je connais aussi très bien le côté de Béjaïa. J'admire enfin le courage de cette population qui a affronté une guerre civile, laquelle a aussi ricoché sur ma vie. J'ai été profondément implantée dans ce conflit que j'ai vécu de l'intérieur.

Le miracle Papicha

L'action se déroule à un moment où on évoquait la guerre civile en Algérie à coup de statistiques. Le monde ne recevait que des images d'incendies, d'attentats, d'égorgements, de choses sordides. On n'a jamais vu de l'intérieur la ténacité et la résistance de la population, surtout celle des femmes, lesquelles ont continué à être médecins, à enseigner… Je voulais montrer ce combat à travers le point de vue d'une jeune femme qui vit légitimement ses aspirations.

Le film a connu un très beau parcours (260.000 entrées, 2 César, 2 Valois à Angoulême…, ndlr). On était loin de l'imaginer puisque son existence-même est un miracle. On a eu du mal à le monter : je n'avais jamais fait de long-métrage, l'actrice Lyna Khoudri n'était pas identifiée, l'Algérie avait peur car le film n'est pas évident, c'était écrit en arabe donc ça compliquait les financements français… Tout était fichu d'avance. On l'a donc construit sur un montage financier associatif et solidaire. On y a mis de l'énergie et de la sincérité. Cette histoire autobiographique n'appelait aucun artifice. Nous sommes contents que le récit ait touché par son universalité. Le personnage de Nedjma est vraiment le symbole de la liberté.

Papicha est sorti la semaine dernière en Espagne et en Italie ; l'identification à l'héroïne a été très forte. La Colombie et le Brésil se sont réappropriés aussi, à leur façon, cette histoire algérienne, tout comme le Japon, où l'approche se faisait plutôt sur la mode.

Malheureusement, le blocage par l'Algérie est encore en cours, c'est un pays très paradoxal. Il y a un côté schizophrène : le ministère de la culture l'a financé et, à sa sortie, il y a eu cette trouille liée à sa thématique. Il a été ajourné et mis de côté tout en étant choisi pour représenter l'Algérie aux Oscars. Personne ne sait d'ailleurs qui le bloque. Les personnes qui l'interdisent ne le savent même pas.  

"PAPICHA // VOST"