Sandrine Bonnaire : "Je ne crains pas de me cogner contre la vie"
Dans "Voir le Jour" de Marion Laine, en DVD le 1er décembre (et déjà en VOD), Sandrine Bonnaire émeut sous les traits d'une auxiliaire dans une maternité de Marseille. Un rôle touchant qui sied à cette humanité qu'elle sait naturellement mettre au service des nombreux personnages qu'elle a embrassés au fil de sa carrière. Rencontre.
C'est une de nos plus grandes actrices. Après les récents Prendre le Large, Une Saison en France ou Le Ciel Attendra, Sandrine Bonnaire persiste et signe dans un sillon humaniste à forte résonance sociétale. Dans l'émouvant Voir le Jour de Marion Laine, qu'elle retrouve ici pour la troisième fois, la comédienne incarne en effet une auxiliaire de puériculture qui doit faire face à un drame au sein de son hôpital, au départ prochain de sa fille et à un ressac violent du passé. Le moment est alors venu de se reconstruire et d'harmoniser ses contours dentelés. Pour le Journal des Femmes, Sandrine Bonnaire revient sur cette expérience hospitalière qui fait forcément écho à la crise actuelle.
Comment avez-vous vécu le confinement ?
Sandrine Bonnaire : Je suis restée à Paris et ça ne s'est pas trop mal passé. Je suis quand même une privilégiée. Je n'habite pas dans un petit appartement. J'ai le confort qu'il faut. Pour plein de gens, c'est compliqué de reprendre une vie normale… Surtout ceux qui ont du mal à joindre les deux bouts.
J'imagine qu'après votre expérience sur Voir le Jour, qui pointe du doigt les conditions de travail difficiles des médecins, vos applaudissements ont revêtu un caractère particulier…
Sandrine Bonnaire : Ah oui, c'est clair ! (rires) Les soignants sont très courageux d'œuvrer dans des conditions pareilles. La période de confinement a montré de belles solidarités… C'était en tout cas émouvant de les applaudir à 20h. Ce rituel a forcément fait écho au film parce qu'il y a une grosse fatigue qui est là, avec ce corps médical qui travaille plus que d'habitude, sur des horaires phénoménaux… Le milieu hospitalier, je le connais sous différentes formes. En 1997, j'ai joué dans la série Une Femme en Blanc. J'y incarnais une chirurgienne qui se battait pour garder les hôpitaux de proximité. (Réflexion) Les soignants font deux journées en une, ou une journée en une nuit… Dans les maternités, ils doivent lutter pour accoucher par voie naturelle, et non pas par césarienne, une pratique qui permet de libérer des lits.
"Choisir un projet, c'est éveiller les consciences"
On sent votre désarroi... Vous dites que vous vouliez faire ce film pour sa portée politique…
Sandrine Bonnaire : Absolument. Il s'agit du constat d'un dysfonctionnement autour d'un élément essentiel de l'humanité: la santé. On met parfois plus de moyens dans des choses moins essentielles. La période qu'on vit nous montre, plus que jamais, qu'on est tous égaux par rapport à la Covid. On a tous eu peur de mourir. Faire ce film est une manière d'être sur le terrain. Notre notoriété sert à ça. Si je m'y suis engagée, c'est que j'ai le même discours que son propos. Choisir un projet, c'est éveiller les consciences, sensibiliser. Mon côté militant est là. C'est intéressant de porter un sujet important, qui nous apprend ou pour lequel on défend des idées fortes.
Comment êtes-vous concrètement allée vers ce métier d'auxiliaire de puériculture ?
Sandrine Bonnaire : Une sage-femme nous a aidés sur place. Elle nous a montrés les gestes à avoir quand on sort un bébé… Elle a évoqué son expérience, ses souvenirs… Je ne suis pas obstétricienne dans le film mais j'avais besoin de voir tout ça pour encore mieux entrer dans le rôle. On a aussi travaillé avec des faux bébés, qu'on a manipulés avec le plus de réalisme possible.
De la réalisatrice aux actrices, ce projet est presque 100% féminin… Que pensez-vous de l'expression "film de femmes" ?
Sandrine Bonnaire : Je ne suis pas trop dans le discours "C'est un film de femmes…" On dit rarement : "C'est un film d'hommes". C'est une forme de sexisme de dire "film de femmes", comme si, en plus, c'était fait contre l'homme.
"J'ai chanté avec Jacques Higelin dans de grandes salles"
Au-delà du milieu hospitalier, le film parle des liens du sang, avec ce rapport mère-fille très fort...
Sandrine Bonnaire : Oui… Vous savez, outre l'engagement politique, il y a eu plein de choses qui m'ont attirée dans ce projet, dont une en particulier: le fait de chanter. (rires). J'avais d'autant plus hâte que c'est une première au cinéma pour moi. J'ai chanté avec Jacques Higelin dans de grandes salles et c'est quelque chose de jubilatoire. Mon parcours et mon entourage font que je vais de plus en plus vers la musique. Je suis accompagnée par elle et j'aime m'exprimer par son biais. Il y a là quelque chose de plus libérateur qu'au cinéma. J'ai beaucoup moins le trac quand je fais des lectures musicales ou quand je chante avec Higelin qu'au théâtre ou cinéma. Dans la musique, on a un rapport au souffle différent qui fait que, peut-être, le corps est plus détendu.
Dans le récent Trois Jours et une Vie, vous campez une mère qui comprend que son fils a tué un autre enfant mais se refuse à le dénoncer. Est-ce que l'amour filial a des limites pour vous ?
Sandrine Bonnaire : (Réflexion) C'est une bonne question. Je crois qu'on aimera toujours son enfant jusqu'à la mort et ce, quoi qu'il fasse. Après, il y a des questions de morale et d'éthique… Si j'apprenais qu'une de mes filles a tué quelqu'un, je ne sais pas comment je réagirais.
"Je suis une mère qui privilégie aussi la femme"
Lors de la promotion de Mommy, Xavier Dolan parlait d'une petite mort entre la vie de jeune femme et celle de mère. Comme l'enterrement de projets, de rêves, de désirs… Etes-vous d'accord avec cette vision ?
Sandrine Bonnaire : Pas du tout. Au contraire, je trouve que c'est un changement très enrichissant, pas un abandon. (Réflexion) Peut-être parce que je suis une mère qui privilégie aussi la femme, et c'est ce que j'inculque à mes enfants. Ma grande de 26 ans l'a compris: je lui dis toujours "N'oublie jamais de rester femme". Si on ne fait pas de sacrifice, on peut mieux donner. Le sacrifice est une résignation ; on accompagne mal les autres quand on dit qu'on s'est sacrifié pour eux. Si on pense d'abord à soi, on peut mieux s'occuper des autres, mieux leur donner. On est plus sereins, plus équilibrés, plus en place et donc plus disponibles.
Qu'est-ce que l'expérience de la maternité a changé dans votre vie ?
Sandrine Bonnaire : C'est d'avoir donné la vie, de l'avoir relayée, de partager. Avoir un enfant, c'est être deux, comme dans un échange amoureux, et aborder ensemble plusieurs moments et étapes de vie. Dans Voir le Jour, il y a beaucoup de visions différentes sur le rapport à la maternité… Une femme n'est d'ailleurs pas obligée de faire des enfants ou d'aimer les hommes. Il n'y a pas d'injonction à ça.
"On n'avait pas beaucoup d'argent, on était 11 enfants..."
Comment préservez-vous vos enfants de la violence environnante ? Une violence que votre personnage affronte d'ailleurs au sein-même de l'hôpital…
Sandrine Bonnaire : Grâce au regard qu'on pose sur l'autre. J'ai eu la chance, même si ce n'était pas toujours simple, de grandir dans une grande famille. Qu'on le veuille ou non, ça nous apprend à penser à l'autre: il s'agit de partager sa chambre, ses jouets, ses fringues… On n'avait pas beaucoup d'argent et on était 11 enfants. Ça demande à faire avec l'autre, à le regarder. Les premiers instincts d'éducation que j'ai eus pour mes enfants, c'est ça. Mes filles l'ont compris rapidement et s'intéressent énormément aux autres. Considérer son prochain, ça ôte pas mal de violence. De toutes les manières, on est obligés de composer avec l'autre. Un sourire, c'est quand même plus joli que le dédain ou le silence. De nos jours, les gens se méfient de plus en plus. L'autre est un poison. Avec la Covid-19, de surcroît, tout le monde est susceptible d'être un virus, un polluant, et on regarde l'autre comme un microbe potentiel… Ça me rappelle quand j'étais petite et que j'ai eu la gale. Je ne suis plus allée à l'école pendant plusieurs semaines; à une époque où l'expression "J'ai pas la gale" revenait beaucoup.
"Ma mère m'a donné ma liberté, de penser et d'être"
Votre mère est un sujet que vous dites inépuisable. Pourquoi ce qualificatif et qu'est-ce qu'elle vous a donné de plus précieux ?
Sandrine Bonnaire : Elle m'a donné ma liberté, de penser et d'être. Elle n'a pas eu la vie facile mais m'a toujours dit: "L'impossible est possible". J'y ai repensé récemment car je veux tardivement me mettre à la guitare (rires). C'est merveilleux, ça veut dire qu'on peut avoir toutes les bonnes audaces qui font avancer. Grâce à elle, je n'ai pas peur de grand-chose –sauf celle de prendre l'ascenseur car je m'y suis bloquée 7 fois et celle de la maladie. Je ne crains pas de me cogner contre la vie. Il y a toujours des possibilités de se battre, de s'en sortir, de trouver des alternatives. La seule chose qui pourrait me détruire, c'est de perdre un enfant.