Rodrigo Sorogoyen (MADRE) : 3 films d'un grand cinéaste

En trois ans, il a mis le cinéma mondial à ses pieds. Le metteur en scène espagnol Rodrigo Sorogoyen, 38 ans, s'est brillamment démarqué grâce à des œuvres viscérales, à la réalisation virtuose et inspiré. A l'occasion de la sortie en salles, le 22 juillet, de son sublime MADRE, retour sur ses trois derniers-nés.

Rodrigo Sorogoyen (MADRE) : 3 films d'un grand cinéaste
© JAVIER ROJAS/EFE/SIPA

QUE DIOS NOS PERDONE (2017)

Lauréat du prix du scénario au Festival de San Sebastian en 2016 et salué chaudement au Festival de Beaune un an plus tard, Que Dios Nos Perdone est venu assoir, à la suite de 8 Citas et Stockholm, la solide réputation du cinéaste madrilène Rodrigo Sorogoyen. En détournant sciemment les codes traditionnels du polar, il signe là un film noir comme les ténèbres qui prend sa source à Madrid, dans la moiteur de l'été 2011.
La ville, fragilisée dans ses fondations par une crise économique, vit des heures tendues en raison de l'émergence du mouvement des Indignés et de la visite approchante du Pape Benoît XVI dans le cadre des Journées mondiales de la jeunesse. C'est là que deux flics –époustouflants Antonio de la Torre et Roberto Alamo–, peu enclins aux relations humaines de surcroit, vont mener une enquête, façon course contre la montre, pour tenter d'arrêter avec discrétion un serial-killer ultra flippant.
En partant d'un sentier balisé, Sorogoyen opère à mi-chemin (comme dans ses premiers films) un glissement. Rupture de ton d'ailleurs visible à la mise en scène, puisque le maestro passe du format scope en caméra à l'épaule à quelque chose de plus stylisé.
Figure emblématique d'une nouvelle vague espagnole, cette œuvre, qui interroge avec naturaliste la violence systémique chez l'homme, se révèle in fine être une stupéfiante réussite.  

EL REINO (2019)

Prix de la Critique au Festival de Beaune, qui en a fait l'une de ses coqueluches, et récipiendaire de 7 Goyas (l'équivalent espagnol de nos César), dont ceux du meilleur réalisateur et du meilleur acteur (décerné à l'immense Antonio De La Torre, que le brillant cinéaste a retrouvé pour l'occasion), El Reino –le royaume en français– a achevé de catapulter Sorogoyen vers les étoiles du cinéma.
Plongée littéralement vertigineuse au cœur des mécanismes du pouvoir, cette œuvre paranoïaque et haletante suit les turpitudes de Manuel López-Vidal, un influent homme politique dans sa région. Tandis que tout semble lui sourire, et qu'il s'apprête à faire son entrée à la direction de son parti (on ne saura jamais de quel bord il est), le voilà rattrapé par un scandale de corruption menaçant un de ses amis proches.
A partir de là, la terre se fracture et le cinéaste de nous faire trembler au rythme d'un monde qui s'effondre sous nos yeux. Condamnant, de son propre aveu artistique, cette Espagne où le mensonge serait devenu un art de vivre, Sorogoyen signe un brûlot politique imparable qu'il ancre avec habilité dans les maillages du cinéma noir.
Raconté du point de vue du corrupteur, avec une tension continue qui atteint son acmé lors d'un final étourdissant, El Reino est un spectacle intelligent et terriblement percutant.

MADRE (2020)

Trois films de maître d'affilée, il fallait le faire. Avec Madre, présenté l'an dernier en compétition au Festival de Venise, Sorogoyen livre en effet un tiercé gagnant, se hissant comme une figure incontournable des grands festivals. Il ne serait d'ailleurs guère étonnant de le retrouver très bientôt en sélection officielle à Cannes.
Ce nouveau long-métrage, en salle le 22 juillet, est précisément adapté de son court-métrage homonyme, qu'il utilise ici en séquence d'ouverture. On comprend sans peine que le cinéaste ait eu envie de retrouver son personnage d'Elena, cette femme qui reçoit un coup de fil traumatique de son petit garçon, ayant égaré son père et en passe de se faire kidnapper au bord d'une plage des Landes. Un moment de tension héroïque et éreintant. Puis, soudain, une ellipse de dix ans. Décennie durant laquelle la maman n'a plus jamais retrouvé son enfant. Baptisée "la folle de la plage" par les habitant du site de la disparition, elle longe la côte quotidiennement, le regard triste, vidé, en quête d'un miracle. Jusqu'au jour où elle croise la route d'un ado sur lequel elle projette l'image de son propre fils, au point d'initier et d'alimenter une relation émouvante, dérangeante et forte. Marta Nieta, dans le rôle-titre, y signe une composition magistrale qui lui a d'ailleurs valu un prix d'interprétation à Venise. Sacre mérité !