UNE MÈRE INCROYABLE : quand Franco Lolli dévoile son intimité

Après le remarqué "Gente de Bien", le réalisateur colombien Franco Lolli nous revient avec "Une Mère Incroyable", un drame poignant, en salles le 19 février. Il y dresse le portrait d'une avocate, mère célibataire, qui fait face à un scandale de corruption, à la maladie de sa mère et à l'émergence d'un nouvel amour.

UNE MÈRE INCROYABLE : quand Franco Lolli dévoile son intimité
© LAMACHERE/SIPA/SIPA

Le cinéaste Franco Lolli revient sur trois facettes d'Une Mère Incroyable, une oeuvre sensible, un film aux thématiques personnelles...
Mon premier film, Gente de Bien, était centré sur les hommes. En sortant de cette expérience, j'avais envie de filmer des femmes, de les portraitiser, mais je ne savais pas comment procéder. J'ai senti que la maternité et la féminité seraient au cœur du sujet. Je voulais immortaliser une héroïne d'un certain âge ; une femme qui a déjà vécu la moitié de sa vie, qui est en place et qui, en même temps, peut tout faire bousculer.

Je me reconnais en Silvia, le personnage principal. J'en suis la moitié. On peut d'ailleurs dire que c'est autobiographique. J'ai commencé à écrire Une Mère Incroyable après l'annonce de la maladie de ma mère. Avant que nous allions en vacances tous les deux, elle a fait une biopsie. A notre retour, son cancer a été diagnostiqué. Aujourd'hui, elle est en rémission, elle va mieux et le film lui a fait du bien. J'avais également à cœur de lui rendre hommage et de dire la difficulté de la maternité. Je filme un matriarcat à l'intérieur d'une société patriarcale, avec des femmes fortes et souffrantes face à un monde dur. J'ai grandi seul avec ma mère et je l'ai vue galérer. Elle a fait comme elle a pu malgré les paroles de ceux qui la jugeaient pour les mauvaises raisons.

Pour revenir à Silvia, mon souhait était de parler, à travers elle, de ces femmes qui portent sur leurs épaules un poids plus lourd qu'elles le devraient. Partout dans le monde, on leur demande d'être bonnes dans tous les domaines, belles, désirables, douces avec les enfants, compétentes professionnellement, bien habillées… On n'a pas la même pression chez les hommes. Pour elles, il y a des injonctions à plein d'endroits différents.

Silvia, colosse fragile d'Une Mère Incroyable

Silvia me touche. C'est une femme qui assume ses responsabilités, qui ne se cherche jamais d'excuses. Elle ne peut pas s'empêcher de s'occuper de sa mère malade. Quand je suis arrivé en France (Franco Lolli est marié à une Française et s'exprime dans un très bon français, ndlr), j'étais choqué de voir toutes ces personnes âgées mourir face à la canicule. En Colombie, il fait extrêmement chaud mais les vieux ne succombent pas à la chaleur. En réalité, c'est de solitude que ces gens ont été emportés. C'est quelque chose qui me violente car je suis très porté sur ma famille.

Silvia s'occupe de sa mère comme de son propre enfant. Toutes deux sont coincées dans des traditions qui les rendent fortes tout en les écrasant, aussi. Silvia ne s'y prend pas toujours dans le calme mais elle assume la responsabilité qu'elle endosse et s'oublie. Je me retrouve en tout cas dans ces valeurs car je suis comme ça avec ma mère ou avec mes grands-parents. L'honneur et le principe, c'est important pour nous. Ma mère, qui est avocate, a par exemple consacré sa vie à la loi, pour que ça en vaille la peine. Elle travaille sur une affaire où une de ses amies doit la somme de 1500€ à un tiers et ça fait des années qu'elle ne part pas en vacances à cause de ça. Par honneur -parce qu'elle estime qu'il y a injustice-, elle ne veut pas que sa cliente s'acquitte de ladite somme.

Ma mère campe le rôle de la mourante dans le film. J'avais consacré à mon oncle, en 2012, un court métrage dans lequel elle jouait déjà. Et j'ai vu sur le tournage que c'est une actrice ; elle fait 10.000 prises et elles sont toutes différentes. Les bons avocats sont aussi de grands acteurs. Je savais qu'elle en serait capable. Ce film est pour elle. Il faisait sens. Elle a toutefois eu des choses compliquées à jouer, comme le fait de se raser une nouvelle fois le crâne : c'était terrible pour moi. La filmer m'a en tout cas permis de repousser l'idée de la mort, c'était une façon de ne pas la perdre et de me confronter au moment qui me fait le plus peur au monde.

Une Mère Incroyable : une mise en scène entre réel et fictionnalisation

On ne peut pas être un réalisateur qu'on n'est pas. Moi, je suis plutôt porté sur une réalisation discrète. L'image du film a une couleur et une texture particulières qui lui donnent un côté expressionniste dans un socle réel. Filmer les femmes, c'est un autre endroit d'attention par rapport aux hommes. J'avais toujours refusé les maquilleurs sur les plateaux mais là, sur Une mère Incroyable, il y en avait. Ça rend gracieux sans pour autant effacer les petites rides -car je fais justement ce film pour les petites rides ! J'opte pour un cinéma réaliste où les personnages sont des héros et pas de simples gens.

Les femmes s'étonnent que ce soit un homme qui ait fait ce film. Carolina Sanín, l'actrice, qui est écrivaine et féministe, -c'est aussi ma cousin au deuxième degré-, m'a dit que j'avais compris et que je savais regarder les femmes. Pour cela, je m'aide de toutes celles qui m'ont entouré dans cette expérience : mes deux coscénaristes, la productrice Sylvie Pialat, ma mère… Mon travail dans la vie, c'est de regarder, d'être là, de comprendre mon environnement. J'essaye de travailler à l'intuition pour trouver des choses profondes. J'ai en tout cas beaucoup pleuré pendant le tournage ; j'ai perdu 8 kilos en 8 semaines, de quoi dire la violence et la difficulté du processus. Ma psy trouve ça génial que j'aie fait ce film. Elle m'a dit : "Tu as la chance de pouvoir remettre en scène des choses pour mieux les comprendre, déstructurer pour mieux structurer". Le film m'a fait énormément de bien.

Notez par ailleurs que j'ai voulu éviter les clichés de ce qui représente habituellement la Colombie. C'est un film très universel et en même temps très local. Les Colombiens se sentent plus connectés avec un tel film qu'avec Narcos. Il est cependant vrai qu'on vit en contact avec des morts violentes. Du coup, on fait toujours la fête comme si c'était la dernière fois. Dans des pays plus aseptisés, on a moins ces réflexes vitaux. Ici, on cohabite avec ça. Quand la mort est là, on a envie que ça circule, que ça vive. J'ai écrit ce scénario par pulsion de vie quand ma mère est tombée malade. C'est comme Silvia qui, dans le film, se met à vivre et à aimer quand le spectre de la mort se profile.         

"Une mère incroyable // VOST"