UN VRAI BONHOMME : Benjamin Parent en confessions intimes

En salles le 8 janvier, "Un Vrai Bonhomme" est le premier long-métrage de Benjamin Parent, co-scénariste notamment de "Mon Inconnue". Le cinéaste s'y raconte, en filigrane, à travers le parcours d'un ado réservé qui doit apprendre à trouver sa place dans le monde et à congédier les injonctions à la masculinité.

UN VRAI BONHOMME : Benjamin Parent en confessions intimes
© Ad Vitam

Benjamin Parent, le réalisateur d'Un Vrai Bonhomme s'est confié au Journal des Femmes sur le genèse de son premier film...

Un Vrai Bonhomme, un projet personnel

Adolescent, j'étais petit de taille. J'ai grandi tardivement, à l'âge de 18-19 ans. Je n'étais ni viril ni très fort. C'était les années 80 : j'étais fan de films d'action avec Stallone, Schwarzie ou Van Damme, des hommes à qui je ne ressemblais pas. Pour les besoins de ce film, je me suis inspiré de choses que j'ai vécues, comme par exemple le fait d'être souvent refoulé au cinéma. On me demandait systématiquement ma carte d'identité, c'était embarrassant.

Ce qui m'intéresse, c'est la manière dont on élève les jeunes garçons et la souffrance à laquelle ils peuvent être confrontés à cause des rôles qu'on les pousse à endosser. Je voulais montrer comment, avec la culture, le cinéma, les histoires des grands hommes, les contes, on nous pourrit le crâne via des notions d'héroïsme, d'excellence, de devoir, de courage… J'aime en tout cas parler de mon expérience de l'adolescence. C'est une période où on se cherche, où on veut savoir et montrer qui on est. On veut se singulariser tout en aspirant à intégrer un groupe. Comment faire partie d'un ensemble et, en même temps, exister seul ?

Moi, je me mettais à l'écart des autres. Je me sentais rejeté car j'étais différent, geek, nerd… Même si je ne l'aborde pas de façon frontale, je parle aussi du deuil d'une certaine masculinité, qui est toxique et qui s'accroche. Le héros dit au revoir à ce que représente son frère plus qu'à son frère lui-même. Par prolongement, j'ai peut-être fait mon propre deuil de l'homme que je ne serai jamais, en me disant que ce n'est pas grave.

Thomas Guy et Tasnim Jamlaoui dans "Un Vrai Bonhomme". © Ad Vitam

Un Vrai Bonhomme ou le poids de la virilité

Le monde adolescent me faisait peur ; en 6e, je me suis fait gifler par un mec et ça m'a calmé. J'étais le fan de super-héros, de jeux vidéo, de BD, qui venait à l'école avec son cartable, ça a été rude. Très tôt, j'ai appris à me méfier des ados, des garçons… Il y a toujours le rapport à la violence dans mon travail. J'ai aussi été victime de celle des hommes : ça m'a marqué et troublé.

Je n'avais pas de grand frère mais c'est mon petit frère, très bagarreur, qui me protégeait. Il était vaillant, courageux et rentre-dedans. Je ressemblais un peu au personnage de Tom. Il m'a rappelé qui j'étais, bien que je sois assez différent. Lui est timide. Moi, j'étais beaucoup plus drôle que lui. En 4ème, j'ai développé l'humour comme système de survie pour faire rire les gros durs. J'étais dans l'imaginaire, je racontais des histoires. J'étais plus en colère et moins en retrait que Tom. Lui est réservé, sensible, et veut devenir comme son frère pour que son père lui porte de l'intérêt. Il va comprendre, in fine, que c'est à ce dernier de s'adapter et que ce n'est pas à lui d'entrer dans des cases…

Les ados se mettent en danger assez facilement pour prouver qu'ils sont virils ; on le constate avec les conduites à risque par exemple. Entre eux, les garçons, les ados, les hommes vont souvent sur le terrain de la violence physique pour prendre l'avantage sur l'autre. Trouver son chemin, ça fait des dégâts, on peut tourner le dos à des gens… L'affirmation de soi peut créer des meurtrissures.

Un Vrai Bonhomme Porter le deuil 

Je ne mets pas de côté le fait que j'ai perdu des personnes proches, notamment lors des attentats de Paris, du Bataclan. Je pense que ça a beaucoup joué… Je sais que les gens ne sont plus là mais je sens toutefois leur présence et je continue de voir leurs sourires. Je voulais peut-être illustrer mon rapport à ceux qui nous ont quittés. La perte d'un frère, je ne l'ai pas vécue mais je peux imaginer ce que ça soulève. J'en ai un, je l'aime, j'ai grandi avec lui. J'ai été à ses côtés une quinzaine d'années. Et je suis parti de là. 

J'ai le sentiment que dans tous mes projets, il y a une histoire de père et de frères. La fraternité me touche. Je ne voulais pas que Tom soit triste dans le film. Il est à noter que le fantôme de son frère est toujours à côté de lui : c'est un cache-misère, une protection, un déni. C'est intéressant de figurer le déni en montrant deux frères qui sont unis par la présence et non pas par l'absence. Je ne me pose pas la question de la mort comme un sujet mais comme un mécanisme dramaturgique. 

J'incarne la psyché du personnage, son inconscient, sa masculinité mal placée. Il se dit toujours : qu'est-ce que mon frère aurait fait ? En termes de mise en scène, mon ambition était de filmer Thomas Guy comme s'il était seul dans le cadre, comme si son frère, incarné par Benjamin Voisin, s'incruste à chaque fois en essayant de se rappeler à nous. Il est derrière lui, derrière son oreille, comme une mauvaise pensée soufflée, comme un démon derrière l'épaule.