Léa Drucker : "J'évite de jouer des rôles qui me ressemblent trop"

Léa Drucker nous bouleverse subtilement dans "La Sainte Famille", de Louis-Do de Lencquesaing, dans lequel elle joue l'épouse distante d'un universitaire confronté à ses problèmes familiaux, qui devient ministre... de la famille. Un long-métrage intelligent et impertinent, en salles le 25 décembre. Entretien avec l'actrice.

Léa Drucker : "J'évite de jouer des rôles qui me ressemblent trop"
© LAURENT VU/HAEDRICH JEAN-MARC/SIPA

Dans La Sainte Famille, de Louis-Do de Lencquesaing, en salles le 25 décembre, Léa Drucker incarne une mère de famille dont les relations avec son époux sont confuses. L'amour, la tendresse, la séparation, y sont abordés sans jugement. Le film est servi par les prestations excellentes des acteurs, tels que Louis-Do de Lencquesaing, Laura Smet, Marthe Keller, Thierry Godard, Inna Modja mais aussi Léa Drucker. Entretien avec une comédienne de talent, récompensée du César de la meilleure actrice l'année dernière.

Qu'est-ce qui vous a plu dans le scénario ?
Léa Drucker :
J'avais croisé Louis-Do de Lencquesaing sur un long-métrage il y a quelque temps et nous avions sympathisé. C'est un acteur et un homme très atypique et intéressant. Il a une sensibilité et une vision des choses assez singulières. J'aime les gens audacieux. Il voulait faire un film sur la famille, traité d'une certaine manière et dans un milieu que l'on ne voit pas tant que ça au cinéma. Le scénario était très bien écrit et racontait des choses qui me touchaient. Je ne me suis pas trompée parce que c'était passionnant de tourner avec lui. J'aime bien me faire embarquer dans des univers qui ne ressemblent pas à ce qui a été fait avant.

Le tournage a été très court pour vous. Comment avez-vous capté le personnage si rapidement ?
Léa Drucker :
Ce n'était pas simple à interpréter, mais le scénario était bien écrit. Quand on a peu de scènes, c'est plus difficile de faire exister un personnage et bien le raconter. Toutefois, Louis-Do était très vigilant et attentif, d'autant que ce personnage était très important pour lui. Nous avons donc travaillé ensemble pour rendre Marie d'autant plus intéressante. Ce que cela raconte est très important dans le film : l'histoire d'un couple qui est ensemble depuis longtemps, qui s'entend plutôt bien, veut se séparer, mais n'y arrive pas. Ils ne sont pas sûrs si c'est raisonnable, à leur âge, de sauter le pas. Ce sont des questions qui concernent pas mal de monde aujourd'hui ! 

"La contradiction et la pudeur sont des choses que je comprends"

Quels traits de caractère partagez-vous avec votre personnage ?
Léa Drucker :
Elle croit qu'elle maîtrise sa vie, mais en fait pas tant que ça. Je me reconnais plutôt dans cela. La contradiction et la pudeur sont des choses que je comprends. Le ton de mon personnage est assez léger, caustique, et en même temps très profond. Il fallait jouer sur l'ironie, j'en sui familière dans la vie. 

Léa Drucker dans "La Sainte Famille" © Pyramide Films

Votre personnage est plutôt en retrait, on sent qu'elle évite les conflits. Est-ce quelque chose auquel vous pouvez vous identifier ?   
Léa Drucker :
Non, je ne suis pas du tout en retrait en ce qui concerne ma famille. Je ne fuis pas, quand je pars de chez moi pour aller travailler loin, c'est plutôt quelque chose que je dois résoudre, ce n'est pas simple. Je ne dis pas que c'est le cas pour le personnage de Marie, mais nous sommes différentes sur beaucoup de points. En général, j'évite de jouer des rôles qui me ressemblent trop. 

Que vous a transmis votre famille ?
Léa Drucker :
La famille est très importante pour moi. Chaque famille a son identité, son esprit. La mienne m'a transmis, humour et tendresse qui m'accompagnent encore aujourd'hui.

"Enfant, il me manquait une présence"

Vous avez grandi en tant que fille unique. En quoi cela a-t-il influé sur votre personnalité, votre ambition, votre parcours ?
Léa Drucker :
J'ai été fille unique jusqu'à mes 18 ans. Je me suis donc construite en tant que telle. Puis, mes parents ont chacun refait leur vie et mon père a eu deux filles que je considère comme des soeurs. Camille est née lorsque j'avais 18 ans, et Eva, lorsque j'avais 20 ans. Mais je n'ai jamais partagé le quotidien familial avec quelqu'un d'autre de mon âge. J'étais donc très solitaire, bien que ma mère, très fantaisiste, me faisait faire plein de choses. Je ne m'ennuyais pas à la maison, mais je me souviens qu'il me manquait une présence. Comme nous déménagions beaucoup, il fallait reconstruire un petit monde à chaque fois. Mon désir de créer des personnages est certainement venu de là. Dans ma chambre, je me confectionnais des personnages imaginaires pour qu'ils "jouent" avec moi. À chaque fois que je pénétrais dans une école différente, il fallait renouer des liens. C'est difficile pour un enfant, la réalité est parfois cruelle, mais j'avais des outils. Je sentais que j'étais capable de faire rire les autres et c'est quelque chose que j'ai développé pour me faire des amis durant mon enfance et mon adolescence.

Y'a-t-il un fardeau du passé dont vous souhaiteriez-vous débarrasser ?
Léa Drucker :
Si je pouvais me débarrasser de l'anxiété, de la projection en permanence dans l'avenir, je serais plus tranquille. J'ai beaucoup de mal à vivre dans le présent. Le jeu m'a beaucoup aidé, mais quand je ne travaille pas, j'ai tendance à mouliner, à trop réfléchir. Même si je vais mieux qu'avant, je ne suis pas sûre que j'arriverai à me débarrasser de l'anxiété un jour ! 

Léa Drucker dans "La Sainte Famille" © Pyramide Films

Craignez-vous l'avenir ?
Léa Drucker :
Plus le temps passe, plus cela m'est bénéfique, mais je ne peux pas m'empêcher de penser à ce qui va se passer après, à essayer de tout scénariser. Quand je suis avec ma famille, que je fais des activités ou des jeux avec ma fille, (Martha, 5 ans, ndlr) ou que je travaille, cela va mieux, mais il faut que je me concentre sur autre chose pour me libérer de l'angoisse du futur.

Vous avez passé plusieurs années sur les planches. Qu'est-ce que cette expérience vous a appris ?
Léa Drucker :
Sur le plan humain, c'est très riche. Se représenter devant des gens tous les soirs est une folie, cela fait peur, c'est très difficile, même si c'est aussi un grand plaisir... J'aime le côté collectif, le fait de construire des choses ensemble, du début à la fin. J'aime aussi le fait que l'on est, malgré tout, son propre capitaine. Personne ne vient monter ou couper une scène pendant que l'on joue. On est plus maître de notre jeu qu'au cinéma.

Bientôt un an que vous avez été récompensée du César de la meilleure actrice (pour Jusqu'à la Garde, ndlr). Comment s'est passée votre année ?
Léa Drucker :
Cela a été très dense. Le lendemain des César, émotionnellement très puissants, je repartais travailler en Angleterre et c'était la première fois que je travaillais sur un tournage international. Cette récompense a fait plaisir à toute ma famille ! Mon parcours de comédienne n'a pas été facile du tout. Le chemin a été long avant que je puisse vivre de ce métier. Les dix premières années ont été difficiles et douloureuses car je n'arrivais pas à avoir l'assurance que je pourrais devenir comédienne, or c'était vraiment ce que je voulais faire. On est jamais assis sur un fauteuil confortable, cela ne va pas avec notre profession. 

Avez-vous des regrets sur cette période ?
Léa Drucker :
Je pense que je n'étais pas assez indépendante. Je conseillerais à chaque jeune acteur d'être aussi son propre moteur, d'écrire… C'est le théâtre qui m'a donné ma liberté. C'est par là que les portes se sont ouvertes.

Découvrez La Sainte Famille (1h30), de Louis-Do de Lencquesaing, en salles le 25 décembre

Découvrez la bande-annonce du film :

"La sainte famille // VF"