Portrait de Hend Sabri, la Julia Roberts du Nil
Elle court vers son 40e printemps et a déjà 25 ans de carrière à son actif. La sublime actrice Hend Sabri, icône du monde arabe, est à l'affiche de "Noura Rêve" de Hinde Boujemaa, en salles le 13 novembre. Elle y incarne une femme qui se bat pour divorcer et aimer librement son amant. Retour sur une trajectoire de panache et de liberté.
"Je suis une introvertie qui fait un métier d'extravertie". Hend Sabri, 39 ans, ponctue son aveu d'un sourire magnifique, celui qui lui vaut d'ailleurs le surnom "si flatteur" de Julia Roberts du Nil. Icône du monde arabe, suivie respectivement par 5,4 millions et 2,6 millions de followers sur Twitter et Instagram, la comédienne tunisienne est à l'affiche en cette fin d'année du drame social Noura Rêve de Hinde Boujemaa. Elle y incarne une mère de famille des quartiers populaires de Tunisie qui cherche à divorcer d'avec son taulard de mari avant que sa relation extra-conjugale éclate au grand jour et l'envoie derrière les barreaux. Car oui, selon l'article 236 du Code Pénal en vigueur dans ledit pays, l'adultère est passible d'une peine de 5 ans de prison. "C'était un rôle passionnant, car à contre-emploi", explique Sabri. "Noura est une combattante. Les femmes doivent être les gardiennes du temple et ne pas s'endormir sur des lauriers qui sont fait d'épines. Il faut s'engager, faire des films, rien n'est définitivement acquis. Je ne veux pas voir des femmes raser les murs dans le monde arabe ou cacher leur force. Je n'ai jamais eu à m'excuser d'en être une."
Derrière la voix, un feu sacré. Une aura aussi, laquelle a éclairé le monde un 20 novembre 1979, à Tunis. Née d'un père directeur commercial d'une cimenterie et d'une mère prof de français, Hend Sabri grandit, "un peu seule", en tant que fille unique. Elle se réfugie dans l'écriture d'un journal intime, dans la lecture également, se passionnant dès l'âge de 14 ans pour Gabriel García Márquez ou Noam Chomsky.
La précocité est, de son propre aveu, un trait de caractère. "Sans frère et sœur, j'ai passé beaucoup de temps à dialoguer avec moi-même et avec mes amis imaginaires. J'aimais le calme, être loin des ambiances bruyantes. Ça m'aide d'ailleurs maintenant dans ma carrière, notamment pour me concentrer, me recentrer." Brillante à l'école, du genre à être première de la classe chaque année tout en étant la copine des voyous des derniers rangs, Hend Sabri pense d'abord être diplomate, puis psychiatre. "J'ai toujours été fascinée par la nature humaine, par ses beautés et ses laideurs. J'aime observer les gens et inventer leurs vies. C'est un jeu auquel je joue avec mon père."
Finalement, quoi de mieux que l'actorat pour assouvir cette soif de connaissance de l'autre ? Ses parents soixante-huitards, gauchistes, libertaires, fans de Visconti et de Fellini, lui ouvrent quelque part une brève vers cette vocation ; ne serait-ce qu'en l'amenant par exemple aux Journées Cinématographiques de Carthages.
A 14 ans, tout bascule. Alors qu'elle accompagne son père et sa mère à un anniversaire, le cinéaste et scénariste tunisien Nouri Bouzid la repère. Quelque temps plus tard, elle rejoint le casting des Silences du Palais de Moufida Tlatli. Le film rencontre un succès à l'international, avec notamment une mention spéciale à Cannes pour la Caméra d'Or, un prix Fipresci à Toronto et un prix d'interprétation pour la jeune intéressée à Carthages (boucle déjà bouclée). Pour autant, Hend Sabri n'y voit pas l'occasion de faire carrière et continue ses études. Le bac L obtenu avec la mention bien, elle refuse une bourse pour Sciences-po à Paris parce que ses parents se séparent au même moment. Elle choisit d'étudier le droit. "Je me suis fait plein d'amis et ce sont des études qui me permettent d'être éclectique car ça touche tous les domaines."
Techniquement, Hend Sabri est donc avocate mais ne pratique pas : " je ne peux pas courir deux lièvres à la fois ". Le cinéma et la télévision la rattrapent définitivement il y a une vingtaine d'années alors qu'elle présente un film au Caire. Elle y rencontre la cinéaste égyptienne Inas Al Deghidi qui lui propose, quelques mois plus tard, un rôle dans le film Journal d'une adolescente (2001). "J'y suis allée pour tenter l'expérience au cœur du Hollywood de l'Orient. J'ai enchainé les tournages. C'est un grand pays avec des studios adaptés comme on n'en trouvait pas à Tunis. Je pouvais vivre de mon métier."
Elle rencontre son mari sur place et réside désormais au Caire, au milieu du tourbillon que portent 25 millions d'habitants. Sa popularité régionale explose grâce à ses multiples contributions dans une dizaine de séries télévisées regardées de Tunis à Djeddah par 350 millions de personnes pendant le mois du Ramadan. Une expérience qui la forge et la transforme.
Naviguant entre la télévision et le cinéma avec aplomb, -on se souvient encore de sa remarquable performance dans L'immeuble Yacoubian de Marwan Hamed-, Hend Sabri est par ailleurs une fervente combattante pour le droit des femmes. Elle est aussi l'égérie L'Oréal au Moyen-Orient, un rôle "gratifiant" qu'elle endosse avec fierté. "Ils ne cherchent pas forcément des personnalités avec un joli visage mais qui ont plutôt une relation forte et privilégiée avec leur public", explique-t-elle. Banco, car l'intéressée est connue pour sa simplicité –complètement discernable en interview– et le revendique : "Je ne me prends pas pour une star, je suis très accessible, je suis restée vraie. Les gens me prennent pour leur cousine, leur sœur ou leur amie." Éblouissante dans Noura Rêve, Hend Sabri compose un portrait de femme organique et marquant, qui la propulse parmi les meilleures actrices vues à l'écran au (quasi) terme de ce cru 2019.