Woody Allen : "Je voulais être reporter, écrire sur les gangsters… et sur le sport"

Le 18 septembre prochain sortira sa nouvelle pépite : "Un Jour de Pluie à New York". Avec Timothée Chalamet et Elle Fanning en tête d'affiche, Woody Allen, 83 ans, immortalise sa ville de cœur tout en entremêlant, avec pétillement, la nostalgie et le romantisme. Rencontre.

Woody Allen : "Je voulais être reporter, écrire sur les gangsters… et sur le sport"
© Luca Bruno/AP/SIPA

Il a mis du temps à arriver. Et pour cause, les choses n'ont pas été de tout repos. En salles le 18 septembre, Un Jour de Pluie à New York de Woody Allen avait vu sa sortie gelée par son distributeur, le studio Amazon. En cause ? Le renouvellement des accusations d'agression sexuelle portées par la fille adoptive du réalisateur, Dylan Farrow. A l'image des comédiennes Selena Gomez et Rebecca Hall, Timothée Chalamet, qui y campe le héros, avait décidé, au cœur des mouvements Time's Up et Me Too, de désavouer Allen pour reverser son cachet à plusieurs associations de soutien aux victimes de viol, de harcèlement et aux personnes LGBTQ+.
Après les remugles (Woody Allen a été acquitté), voilà que cette nouvelle réalisation au charme fou est désormais prête à être savourée pour ses qualités d'écriture et d'interprétation. On y suit deux étudiants, Gatsby (Timothee Chalamet) et Ashleigh (Elle Fanning), dans une escapade new-yorkaise qu'ils espèrent magnifique. Mais leur week-end en amoureux, ultra pluvieux de surcroit, ne se passe vraiment pas comme prévu. Ils seront séparés par les aléas et les surprises de la vie et devront, en 48h, essayer de mieux se connaître et se réaliser.
Nous avons rencontré un Woody Allen détendu et souriant, toujours enclin à parler de la Grosse Pomme, de jazz et de romantisme.   

Être à Paris, est-ce quelque chose de spécial pour vous ?                   
Woody Allen : C'est toujours un bonheur… Si je ne vivais pas à New York, j'aurais choisi Paris. Parfois, j'ai même cette idée de déménager ici. Mon seul souci, c'est que j'ai déjà toutes mes habitudes à New York. Tout y est : mes amis, mon groupe de jazz, mes médecins...(sourire). Ce n'est donc pas une décision si simple à prendre. Mais si un jour, pour quelque raison que ce soit, je venais à quitter New York, le choix serait vite fait. L'une des plus belles expériences que j'ai vécues dans ma vie, ça a été de tourner Minuit à Paris dans votre magnifique capitale. J'étais logé à cet endroit-même (l'hôtel Bristol, ndlr) pendant quatre mois. Au bout du compte, toutes les excuses sont bonnes pour venir à Paris !

Pleuvait-il quand vous avez écrit le scénario d'Un Jour de Pluie à New York ?
Woody Allen : (sourire) Peut-être… La pluie a toujours été une inspiration pour moi. J'aime me réveiller le matin et l'apercevoir par la fenêtre. Je savoure aussi le ciel gris. C'est toujours agréable. Quand je tire les rideaux et qu'il fait beau, je trouve ça très ordinaire : les gens se baladent et, souvent, le soleil est fort et déplaisant. A l'inverse, quand il pleut, les parapluies sont de sortie, les trottoirs brillent… C'est beau et romantique. Ce constat est également vrai pour Paris et plein d'autres villes. Pour la petite histoire, on n'a pas réussi à avoir une seule goutte de pluie pendant tout le tournage du film. Il n'a jamais plu. Jamais. Chaque goutte que vous voyez est manufacturée par nous.     

"La nostalgie, c'est comme un piège séducteur."

Que faites-vous pendant les jours de pluie ? Vous écrivez ?
Woody Allen : Je me laisse porter par les obligations ou les envies du moment. J'écris, je me balade sous les gouttes, je vais voir des gens…

iTimothee Chalamet dans "Un Jour de Pluie à New York". © Mars FIlms

Gatsby aime le cinéma hollywoodien classique, qu'il défend bec et ongle. Il voue un culte à Gershwin. Il est romantique et rêveur… C'est carrément vous, en fait ?
Woody Allen : J'aurais clairement incarné ce personnage si j'étais plus jeune… Je partage beaucoup de points communs avec sa jeunesse. Je me rappelle que je voulais être un joueur de cartes professionnel. Je me prêtais à cette activité tout le temps et de manière très sérieuse. J'adorais aussi les piano-bars qui proposaient du Gershwin, Kern, Berlin, Porter… J'aimais Charlie Parker… Il y a beaucoup de lui en moi.

Qu'est-ce qui vous a poussé à choisir Timothee Chalamet pour ce rôle ?
Woody Allen : Mon directeur artistique m'a parlé de lui, de son talent. Il m'a suggéré de le rencontrer. Ce que j'ai fait. Il m'a paru d'emblée très bon. Il collait parfaitement au personnage. J'ai passé un excellent moment à le diriger sur le tournage. Il a fait un super boulot.

La nostalgie infuse dans le film. Mais elle intervient toujours avec cette légèreté qui vous est propre. Qu'est-ce qu'il y a de si confortable à figurer ce sentiment ?
Woody Allen : Albert Camus en parle très bien. C'est comme un piège séducteur dans lequel il est préférable de ne pas être aspiré ou coincé. C'est agréable, ça ne mène nulle part, ça ne sert aucun but, ça ne veut rien dire : c'est juste une escapade rêveuse et plaisante dans des jours du passé qu'on imagine beaucoup mieux que ceux du présent. Alors que c'est faux. Certaines choses étaient peut-être meilleures mais, au moment où on les a expérimentées, on n'a pas su en tirer de plaisir.

Elle Fanning incarne une journaliste qui interviewe un de ses réalisateurs préférés, Roland Pollard (Liev Schreiber à l'écran). Lequel est extrêmement torturé quand vient le moment où son œuvre se concrétise. Êtes-vous comme lui ?
Woody Allen : Oui. Ça m'arrive tout le temps. Je commence un film en pensant que ça va être grand, l'équivalent de La Grande Illusion, Huit et demi, Le voleur de bicyclette… Les journées de tournage se passent bien, je regarde les rushes qui me plaisent, je les mets de côté et arrive le moment fatidique où je connecte tout. Et là, ça ne me plait pas, la surprise est terrible, ce n'est pas aussi bon et intelligent que je le croyais, j'ai commis des erreurs…

Et comment gérez-vous l'angoisse qui vous assaille à ce moment ?
Woody Allen : Je recommence. Je détricote le tout pour reprendre d'une autre manière. Je refais le montage, je coupe, je change de musique, je fais du mieux que je peux... Et parfois, c'est étrange, mais le public aime un film que je n'aime pas.  

Auriez-vous pu être journaliste dans une autre vie ?
Woody Allen : Oui, bien sûr. Plusieurs de mes amis étaient intéressés par ça. Pareil pour moi. Je voulais être reporter et écrire sur les meurtres, les trucs de gangsters… Peut-être aussi sur le sport. C'était l'un des métiers que j'avais dans le viseur si je n'avais pas fini par écrire des fictions.

Ce n'est plus forcément un métier qui fait rêver, comme avant… La presse cristallise souvent les rancœurs et les détestations…
Woody Allen : Maintenant, c'est un problème, c'est vrai... Aujourd'hui, tous les journaux avec lesquels on a grandi et qu'on aime émotionnellement sont en train de disparaître. Comme certaines salles de cinéma. Le plaisir d'aller au coin de la rue pour acheter son journal se perd… C'était agréable d'aller au kiosque et rentrer consulter tout ça à la maison, avec l'odeur du papier, de l'encre. Hélas, ça s'efface. Les gens prennent désormais leur petit-déjeuner devant des écrans.

"La race humaine pourrait être annihilée par l'irresponsabilité de ses leaders."

Tous les personnages de votre film cherchent une forme de reconnaissance. Est-ce une des clés du bonheur selon vous ?
Woody Allen : Je pense que la reconnaissance est une partie de l'ambition. Ashleigh veut être journaliste et être reconnue. Les gens du cinéma ont besoin de la reconnaissance pour continuer à bosser. Mais Gatsby ne cherche pas ça, il veut s'amuser aux cartes, jouer au piano, traîner dans les bars… Il ne sera jamais heureux sur un sentier balisé. Il veut être libre et apprendre à travers les diktats de son cœur…

Timothee Chalamet et Elle Fanning dans "Un Jour de Pluie à New York". © Mars Films

Il y a toujours une inquiétude chez vos héros. Quelle est celle qui vous anime actuellement ?
Woody Allen : Le fait d'avoir 83 ans (sourire). Je suis dans la dernière phase de ma vie… Je suis aussi inquiet que l'univers s’abîme à une vitesse hallucinante. Un jour -pas dans l'immédiat-, il n'y aura plus rien. Plus de Terre, plus de cosmos, plus de galaxie. Rien. Plus de Shakespeare, plus de Beethoven, plus de Mozart, plus de Picasso, de Renoir ou de De Vinci. Tout ce qu'on connait sera mort et destitué de tout sens. Tout va partir. Toute trace de vie, quelle qu'en soit sa forme.

Vous êtes très pessimiste, non ?
Woody Allen : Disons qu'on sait que c'est scientifiquement prouvé. Du coup, ce n'est pas une attitude de pessimiste. Les choses ne sont pas dénuées de sens à l'échelle d'une vie, d'une existence, mais, in fine, à l'échelle des temps, tout est voué au non-sens. Ça m'inquiète et je suis pessimiste quant à l'humanité à court terme. Entre la prolifération des armes nucléaires ou les changements climatiques, qui pourraient être violents, il y a de bonnes chances que ça vrille. La race humaine pourrait être annihilée par l'irresponsabilité de ses leaders et l'hostilité qui la peuple. Ce n'est pas garanti que ça se passe comme ça mais c'est une possibilité.

A supposer que ça arrive, quelle œuvre artistique choisiriez-vous de sauver pour témoigner de l'existence des hommes ?
Woody Allen :
(rires) Peut-être un enregistrement de Bud Powell jouant Polka Dots and Moonbeams… Quelque chose comme ça…

C'est la future fin du monde qui vous pousse à écrire et à réaliser à une cadence aussi soutenue ?
Woody Allen :
(sourire) J'aime travailler car, autrement, je ne fais que penser : aux gens, au monde, où il va, à des questions sur le but de tout ça… Ces pensées ne mènent nulle part ou, pire que ça, poussent parfois à des mauvaises conclusions. C'est donc mieux de bosser et de me demander si j'aurais cet acteur ou s'il va pleuvra demain. Ce sont de meilleurs problèmes à avoir.

Quel film conseilleriez-vous à quelqu'un qui ne connait pas votre œuvre ?
Woody Allen :
Si je devais en choisir, même si c'est dur, ce serait La Rose Pourpre du Caire. C'est l'un des meilleurs que j'ai fait. Parce qu'il dit une bonne chose, en l'occurrence que dans la vie, on doit choisir entre l'échappée, le fantasme et la réalité. Au contraire, notre santé mentale nous oblige à une option : la réalité. En faisant ça, on se sait susceptible d'être blessés. Il y a plein de douleurs dans le réel.