Quand Florian Henckel von Donnersmarck peint une OEUVRE SANS AUTEUR 

Dans le diptyque "L'oeuvre sans auteur", en salles le 17 juillet, Florian Henckle von Donnersmarck met en scène Tom Schilling sous les traits du peintre Kurt Barnet, traversant plusieurs années de l'histoire de l'Allemagne. Une nouvelle réussite, douze ans après "La Vie des Autres".

Quand Florian Henckel von Donnersmarck peint une OEUVRE SANS AUTEUR 
© Diaphana Distribution

Son érudition est saisissante. Posez-lui une question et Florian Henckle von Donnersmarck vous fera une réponse argumentée, riche d'informations, de références et de malice. Un peu plus de dix ans après le succès de La Vie des Autres, Oscar et César du meilleur film étranger en 2007, le cinéaste allemand revient aux sources avec son brillant diptyque L'Oeuvre sans Auteur dans lequel il s'est inspiré du peintre Gerhard Richter pour brosser le portrait, sur une trentaine d'année, d'un artiste campé par Tom Schilling. Pour Le Journal des Femmes, il commente trois aspects de son labeur. Avec intelligence et bonhomie.    

Kurt Barnet : inspiré par Gerhard Richter

"J'ai toujours senti dans la peinture de Gerhard Richter quelque chose de rare. Il y a chez lui une volonté de créer une vraie beauté et de ne pas en avoir peur. Cela m'impressionne car chercher ce qui est beau, fort et émotionnel demande du courage. Ses oeuvres m'ont en tout cas hanté. La première fois que j'ai entendu parler de lui, j'avais 15 ans. C'était dans le cadre d'une conversation entre mon père et son ami, un collectionneur d'art. Ils avaient évoqué un tableau dans lequel il s'était représenté bébé au bras de sa tante, laquelle fut tuée par les nazis. Je me suis toujours demandé ce qu'il avait ressenti en le peignant : un exorcisme ? un cri de douleur ? C'était quoi ? Les oeuvres de Richter chantent une mélodie forte que l'on n'oublie jamais. J'ai beaucoup vécu avec ses images. In fine, Kurt Barnet est inspiré par Richter mais c'est aussi un amalgame de beaucoup de grands artistes que j'ai rencontrés dans ma vie. Ce personnage représente un génie de la sensation, de l'émotion, de l'observation. Sans jamais être dans l'intellect, il exprime avec son pinceau ce qu'il éprouve, ses souffrances, ses peines." 

Le choix de Tom Schilling

"J'ai vu en lui ce que j'aime chez les artistes, ce sens de l'observation du monde. Dès le début, je voulais un jeune acteur qui regarde bien les autres, dont on peut lire les pensées sur le visage. Le personnage de Kurt est très taiseux. J'ai découvert Tom Schilling à l'âge de 15 ans dans Crazy de Hans-Christian Schmid. Je l'ai ensuite rencontré dans un festival et il m'a fait forte impression. Vous savez, quand on croise un grand comédien, on ne l'oublie jamais. Du coup, j'ai toujours regardé ses films et j'ai pensé à lui pour le rôle principal de L'Oeuvre sans Auteur. Il a raté son casting. Contre l'avis de tous, j'ai demandé un autre essai. C'était encore pire. J'étais pourtant intimement persuadé qu'il avait quelque chose. J'ai insisté… Personne n'était convaincu. Il a fini par me donner une lettre écrite à la main. Il m'y expliquait que ce rôle compliqué et intérieur était pour lui, qu'il fallait que je lui fasse confiance et qu'il ne me décevrait pas. Il désirait se sentir accepté et aimé. J'ai suivi mon instinct originel et j'ai eu raison. C'est un garçon extrêmement sérieux. Cerise sur le gâteau : il a passé la plus grande partie de sa jeunesse à vouloir devenir peintre. Ses dessins, qu'il m'a montrés, sont incroyables."

Sa relation à l'art

"A l'époque, mon père travaillait pour la compagnie aérienne Lufthansa. Nous bougions beaucoup mes parents et moi. A deux ans, nous nous sommes installés à New York où nous avons vécu de 1975 à 1981. A 8 ans, nous sommes revenus à Berlin. Et c'était un choc. Nous étions face à une ville d'après-guerre, pauvre, grise et détruite. J'y étais extrêmement malheureux, je voulais retourner aux Etats-Unis. Et il y a eu l'exposition sur l'art dégénéré, avec ses tableaux extrêmes et absurdes. A côté, les travaux de Warhol et des américains me paraissaient traditionnels, vieillots. L'Allemagne faisait montre d'une impressionnante radicalité artistique. Quelques temps après, j'ai assisté à une énorme expo consacrée aux 10 ans de la mort de Picasso. Cette obscénité m'a scié, moi qui ai grandi dans une famille très catholique où le sexe était tabou. J'ai découvert que l'art était un domaine libre pour la sexualité. Dans mon enfance, j'avais d'ailleurs l'impression d'être la réincarnation de Picasso. (rires) L'art m'a donné du confort dans ma jeunesse et je voulais transmettre ça dans mon film. Plus largement, ce que j'aime dans l'art, c'est l'espoir d'atteindre quelque chose qui va au-delà du moi, de se mettre complètement au service de ses propres sens et de ne pas essayer de juger ce qu'on éprouve mais de le transformer en oeuvre."

"L'Oeuvre sans Auteur"