PAUVRE GEORGES! : Claire Devers décrypte son portrait de prof

En salles le 3 juillet, "Pauvre Georges !" met en scène le prodigieux Grégory Gadebois dans la peau d'un professeur qui perd pied. Sa réalisatrice Claire Devers commente avec passion trois aspects de ce nouveau long-métrage.

PAUVRE GEORGES! : Claire Devers décrypte son portrait de prof
© Jour2Fête

Sept ans après l'avoir dirigé dans Rapace, la cinéaste Claire Devers retrouve Gregory Gadebois dans Pauvre Georges !, adaptation du roman homonyme de Paula Fox. Le comédien, toujours aussi puissant, y incarne un professeur de français fraîchement installé, avec sa femme, dans la campagne québécoise. Un soir, en rentrant du collège de Montréal où il enseigne, il tombe sur Zack, un ado déscolarisé qui fait irruption chez lui et qu'il va tenter de remettre sur le droit chemin. Quitte à provoquer l'effondrement de son petit monde. Pour le Journal des Femmes, Claire Devers revient sur trois facettes de ce projet.   

Le roman de Paula Fox

"C'était le deuxième roman de Paula Fox que je lisais. Personnages désespérés m'avait déjà enthousiasmée, avec cette histoire d'un couple qui va imploser, s'effondrer sur soi et se disloquer. Quand j'envisage une adaptation, je pense avant tout aux acteurs : quels personnages je leur propose, quelles seront les gammes émotionnelles qu'ils transmettront ? Plus elles sont complexes, riches, parfois contradictoires, plus il me semble nous nous approcherons de l'humain et créerons du vivant. Pauvre Georges ! fut écrit en 1970 mais il avait été visionnaire. Il pointe, avec cinquante ans d'avance, la société des bienpensants, cette gauche qu'on voit s'effondrer aujourd'hui à force d'embourgeoisement et d'éloignement de leurs valeurs fondatrices. De nombreux thèmes sont abordés : la bienveillance, l'installation à la périphérie des villes, l'éducation, les rapports intergénérationnelles, l'exil à l'étranger et bien sûr la peur qui contamine les personnages. Georges n'est pas le portrait d'un enseignant de plus mais celui d'un adulte qui a eu peur d'un adolescent dès leur première rencontre. Qu'un enfant transmette ce sentiment de peur et inverse les rapports de force entre les générations me paraît très contemporain. Et n'oublions pas pour Georges la nécessité d'être toujours en quête d'un 'projet de vie' malgré l'effondrement des utopies du XXème siècle. Grâce à ce ton tragi-comique, on évacue deux choses que je goûte peu et fuis : le pathos et le vérisme. Lesquels écrasent et rendent passif le spectateur."

Le choix de Grégory Gadebois

"Après Rapace où je l'ai dirigé une première fois sous les traits d'un trader sans scrupule, je crois avoir imaginé Grégory dans tous les rôles masculins que j'écrivais, les principaux comme les secondaires. Au fur et à mesure que son talent s'est imposé, notamment après Des fleurs pour Algernon, j'ai pu convaincre le producteur qu'il serait un formidable Georges. Ce qui me plait chez lui, c'est son intelligence du texte et de la situation, quels qu'ils soient. Même sa lecture du bottin est une expérience humaine et génératrice d'émotions. Il crée le vivant. C'est en cela qu'il est un grand acteur. Nous partagions la même vision sur Pauvre Georges ! : celle d'un type bien qui va déraper. Pour moi, le personnage de Zack est un petit caillou dans sa chaussure. Mais pour Georges, c'est plutôt une plaque de verglas. Pour définir ce héros, je citerais un vers d'Apollinaire du Pont Mirabeau : 'Que la vie est lente, que l'espérance est violente.' Georges, c'est ça : un calme, une bonhomie un peu grise, un peu ennuyeuse. Et puis, soudain, il va se révéler puissant, galvanisé, intransigeant dans son projet jusqu'à la violence, avec sa femme notamment. On l'a suivi pas à pas avec Grégory. Chaque étape tendait à une autre, il n'y avait pas de répétition mais une montée en tension."

La faillite de l'éducation

"C'est au cours de l'enfance que se joue le goût des autres, du monde, de la découverte et donc de la vie. J'ai tenu à garder tous les enfants du roman car ils en disent plus sur les adultes que les adultes eux-mêmes. Georges est un professeur qui n'a pas su préserver l'enthousiasme, l'ardeur et le talent qui étaient les siens à ses débuts. La régression de la pensée chez ses élèves l'attriste. Ce faisant, Georges s'est appauvri à son tour. Il est devenu un 'pauvre' Georges ! Il sent bien qu'il ne transmet pas suffisamment et que les connaissances, tels des trésors, vont disparaitre dans l'oubli. Pour moi, autant le personnage tragique du 20ème siècle fut le militant communiste, autant celui du 21ème est le professeur. Il est en première ligne face à l'effondrement des consciences et de la culture. Cependant, je suis moins pessimiste en ce moment, il y a partout à travers le monde toute une nouvelle génération –les 15, 16 ans– qui nous sortent de notre léthargie : Greta Thunberg, Emma Gonzales… En définitive, Georges refuse d'abandonner la transmission, de devenir cynique ou dépressif. C'est d'ailleurs ce qui m'a enthousiasmé chez lui, et qui le rachète à mes yeux. C'est en cela que je peux m'identifier à lui. On le sent en attente de quelque chose… C'est quelqu'un qui n'abdique pas non plus la pensée, l'intelligibilité du monde. Quand on se met à réfléchir à partir des effets et non des causes, on finit par marcher sur la tête et à penser avec ses pieds." 

"Bande annonce du film Pauvre Georges"