Guillaume de Tonquédec : "ROXANE m'a rappelé ma solitude d'enfant"
Dans "Roxane", en salles le 12 juin, Guillaume de Tonquédec incarne un éleveur qui lit Cyrano de Bergerac à ses poules et lutte contre la concurrence industrielle. Rencontre avec un acteur d'une rare affabilité.
Sa carrière au cinéma a débuté au milieu des années 80. Mais ce n'est vraiment qu'en 2012 que le grand public l'adoube enfin grâce à son rôle marquant dans Le Prénom de Matthieu Delaporte et Alexandre de La Patellière. A 52 ans, Guillaume de Tonquédec est devenu, plus que jamais, une figure incontournable du cinéma français. Sa bonhomie et la gentillesse sincère de son regard ont fait de lui un véritable chouchou du public. Et la tendance risque de croître grâce à son rôle dans Roxane de Mélanie Auffet. Il y incarne avec humanité un éleveur de poules bio introverti qui doit bientôt affronter les méfaits de l'industrialisation. Entre ses lectures de Cyrano de Bergerac à ses oiseaux chéris et son combat acharné pour maintenir à flot son gagne-pain, son personnage se révèle touchant. Et proche de lui. Entretien.
On sent, à votre manière de camper votre personnage, que vous avez eu une véritable tendresse à son endroit. Non ?
Guillaume de Tonquédec : C'est vrai… J'ai eu un coup de foudre absolu pour lui. Et pour l'histoire. J'ai senti quelque chose de très authentique dans la façon dont la réalisatrice Mélanie Auffret voulait s'emparer d'un tel sujet de société. C'est assez gonflé, à seulement 27 ans, pour un premier film qui plus est. J'avais donc envie de défendre ça à ses côtés. Le personnage qu'elle m'a proposé m'a bouleversé de manière personnelle. Vous savez, j'ai eu beaucoup de mal à apprendre à lire et à écrire. Raymond et moi avons des points communs que Mélanie ne pouvait pas connaître. Mon rapport à la littérature n'a par exemple pas été aisé. J'ai eu des difficultés avec l'orthographe, la grammaire, la lecture à voix haute ou basse. Et ce, jusqu'en 3ème, année où je me suis mis à tout réapprendre en commençant le théâtre.
D'où venaient ces difficultés ?
Guillaume de Tonquédec : J'étais astigmate et on ne me l'a diagnostiqué qu'en fin de CM2 : en l'occurrence, à la fin des apprentissages fondamentaux. J'avais très mal à la tête et je me mettais au fond de la classe par timidité. Quand on est enfant, on n'a pas de point de comparaison, on ne peut pas savoir qu'on voit mal. C'est mon prof de CM2, qui est toujours vivant et que j'ai revu il n'y a pas très longtemps, qui m'a rendu service en m'enjoignant de consulter un ophtalmologiste. Il a ainsi sauvé une partie de ma vie culturelle. Ce qui m'a aidé aussi, c'est l'imaginaire des auteurs et le fait de réapprendre tant de mots à l'âge 14-15 ans grâce à eux. Il y a donc des ponts avec mon personnage dans Roxane, lequel quitte l'école à 15 ans pour reprendre l'exploitation familiale, ce qui est une noble décision au demeurant. Le fait qu'il ne se sente pas légitime en tombant amoureux de la littérature résonne par ailleurs en moi. Les mots ont changé sa vie mais ça reste un secret qu'il ne révèle pas à sa propre femme. Ça m'a intimement bouleversé. Je pense vraiment que c'est un personnage auquel tout le monde peut s'identifier.
Il est presque trop pur pour ce monde. Il lit Cyrano de Bergerac à ses poules avec lesquelles il partage presque une forme d'innocence…
Guillaume de Tonquédec : C'est hyper joli que vous le disiez comme ça, c'est vrai. Il faut savoir que ce film est tiré d'une histoire vraie. Mélanie est tombé sur un éleveur qui récitait des poèmes à ses vaches et qui l'a caché à sa femme. J'ai rencontré cet homme dans le cadre de ma préparation. Je pensais qu'il m'en parlerait mais il n'en a rien été. Je n'ai pas cherché à en savoir plus. C'était émouvant de partager plusieurs journées avec lui sans qu'il ne déflore son secret. Il m'a touché par son côté hors du monde. Ça m'a rappelé ma solitude d'enfant qui s'enferme, qui ne vit pas avec les autres mais à côté d'eux.
"Quand on renonce à son activité agricole, on perd une identité."
Qu'est-ce qui vous plaît le plus chez les animaux ? Leur pureté ?
Guillaume de Tonquédec : Churchill disait quelque chose comme ça : "Si vous voulez des caresses, ne faites pas de politique. Adoptez un chien !" C'est tellement vrai. Un animal ne trahit pas. Son instinct ne trompe pas, on ne peut pas le corrompre. La difficulté pour moi était d'être aussi bon que les poules, car elles sont toujours justes. Il faut être à leur écoute... Raymond est persuadé d'appartenir à leur monde. Il se confie plus à elles qu'à sa femme. Il cache ce territoire secret comme s'il avait peur d'être mis en péril par un jugement de valeur. Et il veut surtout sauver l'exploitation par les textes qu'il leur lit. Raymond s'entête comme tous les Bretons. Un Breton entêté, c'est un pléonasme.
Étiez-vous familier de la vie à la ferme ? Et est-ce que ce rôle vous à un peu décrassé des citadins parisiens que vous avez pu camper ?
Guillaume de Tonquédec : J'avais très envie d'apprendre les gestes et de rencontrer les agriculteurs. Je leur ai posé plein de questions : Comment partent-ils en vacances ? Où ? Quels sont leurs horaires ? Que font-ils au réveil ? Comment ont-ils rencontré leurs femmes, leurs maris ? Comment font-ils pour la scolarité des enfants ? Autant de questions très pratiques… En France, un agriculteur se suicide tous les deux jours. Pour moi, cette statistique était un chiffre de fait divers, notamment dans les colonnes du journal Ouest France que je lis en allant en Bretagne. En parlant aux agriculteurs, j'ai compris que quand on perd son exploitation, on ne perd pas seulement son métier mais l'héritage qui vient du père et du grand-père…. Les gens ont sué sang et eau pour transmettre leurs fermes dans le meilleur état possible, en inculquant l'amour de la terre et le respect des animaux. Quand on renonce à son activité agricole, on perd une identité. C'est injuste d'être dans la génération où la lignée se brise. Je comprends qu'on puisse perdre la tête et avoir envie de se supprimer car on n'a plus de raison d'être. En les rencontrant, j'ai compris ça physiquement, charnellement.
Les agriculteurs vous jugent-ils avec ce film comme dépositaire de leurs doléances, de leurs difficultés ? Etes-vous leur vecteur ?
Guillaume de Tonquédec : Ceux qui ont participé au film ont lu le scénario. Mélanie s'est inspirée de leurs vies. Ils ne m'ont jamais donné de conseil. En revanche, moi, je me suis nourri de ce que j'ai vu. Je me suis senti une responsabilité. C'est beau que vous parliez de vecteur car je me suis vu comme ça sans qu'ils m'imposent quoi que ce soit. Ces rencontres m'ont touché. Je voulais être à la hauteur d'eux et ne pas être un acteur citadin déguisé en agriculteur. Il fallait m'approcher de leur vérité et être leur représentant, sans caricature.
Roxane montre aussi que le monde rural est bien plus connecté que certains pourraient le croire… Raymond essaye d'ailleurs de sauver son exploitation grâce à un buzz sur le Web…
Guillaume de Tonquédec : Oui ! C'est sa tante qui veut qu'il fasse le buzz sur Internet. C'est super qu'il utilise les moyens de l'époque pour garder l'exploitation familiale. Le personnage est sauvé par les femmes : sa tante, sa femme qui est là contre vents et marais, sa voisine, sa fille qui le pousse à faire des vidéos…