Virginie Efira : "Je suis partisane de la dictature de la non-angoisse"

Après avoir brillé dans "Victoria", Virginie Efira étincèle une seconde fois pour la réalisatrice Justine Triet avec "Sibyl", en salles le 24 mai et en compétition à Cannes. Rencontre avec une actrice qui est devenue grande. Très grande.

Virginie Efira : "Je suis partisane de la dictature de la non-angoisse"
© La Pacte

Après une belle carrière à la télévision, Virginie Efira, 42 ans, a embrassé le cinéma avec un talent manifeste. Excellente dans les comédies (20 ans d'écart, Le Grand Bain) comme dans les drames (Un amour impossible, Continuer), la pétillante franco-belge explose cette année dans Sibyl en retrouvant la cinéaste Justine Triet, qui l'avait déjà magnifiée pour les besoins de Victoria. Impressionnante de bout en bout, elle incarne une psychothérapeute dévastée par un chagrin d'amour et fragilisée par un passé difficile, qui entame l'écriture d'un livre inspiré des confidences de Margaux (Adèle Exarchopoulos), une comédienne enceinte de l'acteur (Gaspar Ulliel) du film dans lequel elle tourne. Pour le Journal des Femmes, Efira revient par le menu sur une aventure libératrice et jubilatoire, qui l'a propulsée au rang de grande actrice.

Après Victoria, était-ce une évidence de retrouver Justine Triet ?
Virginie Efira :
De mon côté, oui. Mais je ne voulais pas qu'elle pense que ça devait l'être pour elle. Entre nous, il s'est passé quelque chose de très fort : une rencontre personnelle, un coup de foudre... Victoria s'est fait dans des conditions idéales. Nous étions proches et connectées ; nous le sommes restées après le tournage, au point de devenir très amies. On partage énormément de choses dans la vie, dans les films qu'on regarde… Nos enfants se voient chez nous et chez elle… Je ne voulais pas qu'elle soit embarrassée par l'idée de ne pas m'offrir le rôle de Sibyl. Je lui disais souvent, en insistant de manière suspecte : "Non, là tu pourrais travailler avec telle actrice… Elle est super !" Quand elle me l'a finalement proposé, c'était sous-tendu par une certaine logique… Nous savions de manière insidieuse qu'il y avait encore des choses à creuser.

Qu'est-ce qui favorise une telle symbiose artistique et cimente votre lien ?
Virginie Efira :
Il existe parfois des personnes qu'on peut comprendre très intimement. On n'en rencontre pas beaucoup, ni amoureusement, ni amicalement. Justine en fait partie. Entre nous, rien n'est dissimilé, transformé ou caché. Je la comprends personnellement et artistiquement. Je sais ce qu'elle attend de moi avant qu'elle ait à le dire. J'ignore pour quelles raisons : on ne vient pas du même milieu, on n'a pas le même parcours professionnel... C'est de l'ordre de l'irrationnel. Après, on n'est pas pareilles pour tout… Elle aime bien créer dans une forme de chaos, avec toujours 4-5 personnes derrière le combo qui donnent leurs avis… Pour ma part, au contraire, je suis partisane en tournage de la dictature de la non-angoisse. Je dis toujours "On va y arriver !" et je sais que ça l'aide. Je dédramatise, je relativise, ce que j'aime aussi faire dans la vie. Il faut corriger et travailler son rapport à la peur, au doute… sinon c'est trop vertigineux.

Virginie Efira dans "Sibyl". © Le Pacte

Puisque vous évoquez la peur… L'avez-vous ressentie avant d'accepter ce rôle casse-gueule et très névrotique ?
Virginie Efira : Bien sûr qu'on peut douter de notre capacité à faire, à jouer… Mais les acteurs ne sont pas seuls au cinéma. C'est important mais loin d'être tout. On est aidés par une grande équipe, par tout un tas de personnes qualifiées. Et ça détend de se dire que, justement, tout ne repose pas sur soi. Sur Benedetta de Paul Verhoeven (actuellement en montage et dans lequel Virginie Efira incarne une nonne sulfureuse, ndlr), il y avait 300 personnes autour de moi lors du premier jour de tournage. Est-ce que j'ai eu le trac ? Evidemment ! Mais, à un moment, l'image devient plus grande que soit… J'essaye de ne pas trop me regarder et de faire mon travail sans trop penser… C'est exaltant d'aller là où on sait pas trop.

Au-delà de la prise de risque, avec notamment des scènes émotionnelles et de nudité, on sent que quelque chose s'est déverrouillé en vous avec Sibyl… Le lâcher-prise semble n'avoir jamais été aussi total…
Virginie Efira :
Ça me touche que vous parliez de déverrouillage. Je dois tellement à Justine. Je l'aime. Avec Victoria, elle a posé sur moi un regard qui a inspiré des cinéastes et qui m'a permis d'aller à la rencontre d'autres personnages. C'est grâce à elle si des gens du métier me regardent différemment, avec, à la clé, des rôles plus profonds, complexes et particuliers. En tournant Sibyl, je savais qu'elle pouvait tout me demander et j'étais à l'écoute. Rien qu'en la regardant, je pouvais plonger : c'était presque un catalyseur humain. J'ai confiance en son talent et je m'abandonne à elle sans savoir parfois ou je vais.  

"J'ose plus facilement aujourd'hui que plus jeune."

Vous êtes-vous retrouvé dans les névroses de Sibyl ?
Virginie Efira :
Il y en a plein qui ont ricoché en moi. De toutes les façons, elle en a tellement que vous pouvez bien en choper deux-trois au passage en vous y retrouvant (rires). C'est un film sur les névroses, sur la chute… Le film, comme la psychanalyse, nous dit que ce qui compte, c'est ce qu'on vit et comment on le perçoit… Pendant tout le tournage, j'étais habitée par la pensée que tout finit toujours par passer. C'est la question principale de la philosophie et la psychanalyse : comment aborder la mort pour rendre le vivant intéressant ? C'est un bon moyen de se faire un bon bain de mélancolie. Parfois, j'étais d'ailleurs envahie par des émotions fortes, par des choses qui me rattrapent…

Vous évoquez la perception… Vous avez commencé par la télévision avant de rejoindre le cinéma, deux milieux où la fiction est forte, où on joue des rôles… Est-ce que cela biaise justement votre vision du réel ?
Virginie Efira : (longue réflexion) C'est sûr que parfois, on peut en être déconnectés. Et ça rend dingue. Pour ma part, je suis très lucide sur ça. Contrairement à beaucoup d'actrices qui ont commencé leur carrière jeunes, avec une identité souvent construite par rapport au regard des autres, sans prendre le temps de se connaître vraiment, je suis arrivée plus tard au cinéma. Je n'ai pas eu à vivre cette distorsion. Quant à la télévision, j'ai débuté tôt en Belgique en hurlant avec deux couettes "Vive les Spice Girls !". C'était autre chose (rires). Je ne gagnais pas beaucoup d'argent, je travaillais à côté, j'étais entourée de ma famille, de mes amis. J'avais une perception du réel. (…) En faisant de la télé, vous savez que tu devais correspondre à une forme d'image, surtout quand vous êtes une animatrice de divertissement d'une chaîne privée. J'avais l'impression de jouer un rôle. On a pu trouver ça suspect de me voir au cinéma après la télé. Il n'y a pas une vérité dans la vie. J'ai pris vite de la distance par rapport à ça.

Virginie Efira dans "Sibyl". © Le Pacte

Sibyl dépeint le cinéma comme un univers hystérique. Pensez-vous que tous les acteurs ont besoin d'une psychanalyse ?
Virginie Efira :
Peut-être… Parce qu'ils ont parfois le temps de le faire… Chez les acteurs, il existe un rapport psychanalytique fort par rapport à soi-même… Par rapport au fait de ne pas avoir une idée trop concrète et défini de soi… Si quelque chose s'est déverrouillé en moi, comme vous l'avez dit plus tôt, c'est que j'ose plus facilement aujourd'hui que plus jeune.

Sibyl vole des choses à sa patiente pour nourrir son projet littéraire. C'est pareil pour vous et le cinéma ?
Virginie Efira :
Oui, je chope des choses chez des gens, des acteurs, des actrices –j'admire Gena Rowlands–, des réalisateurs… Avec Victoria, je piquais des trucs comportementaux à Justine. Il y a aussi des choses de l'ordre de l'inconscient. Après, je ne m'assois pas non plus à la terrasse des cafés pour scruter les autres pendant des heures. François Damiens fait ça, je crois (rires).

Dans le film, Stromboli semble être l'endroit où mettre ses névroses à plat… Quel est votre lieu de prédilection en la matière ?
Virginie Efira :
Ça ne correspond pas à un endroit… Après, à Naples c'est mieux qu'à et l'avenue Charles de Gaulle de Neuilly (rires). Ce que j'aimerais, c'est arriver à pouvoir être seule un moment. Il y a des vies où on n'arrive pas à l'être car on est toujours en réponse à quelque chose d'autre : quand on est parent, en couple etc… J'adore le calme.

"SIBYL // VM"