Jaime Morales, le réalisateur de PETRA, décrypte son portrait de femme

En salles le 8 mai, "Petra" est le sixième long-métrage de Jaime Morales. Pour l'occasion, le cinéaste espagnol offre à Bárbara Lennie le rôle d'une jeune artiste qui tente de comprendre son passé.

Jaime Morales, le réalisateur de PETRA, décrypte son portrait de femme
© Condor Distribution

Il est passé cinq fois par la case du Festival de Cannes : La soledad (2007) et La belle jeunesse (2014) ont été présentés au Certain Regard tandis que La horas del dia (2003), Rêve et Silence (2012) et Petra, son dernier long-métrage, ont connu les faveurs de la Quinzaine des Réalisateurs. La réputation du cinéaste catalan Jaime Morales n'est donc clairement plus à faire. Dans ce nouvel opus, dont le titre est celui du prénom de l'héroïne, incarnée par Bárbara Lennie, il brosse le portrait âpre d'une peintre en quête d'identité (et de vérité). Laquelle intègre une résidence d'artiste pour améliorer son coup de pinceau auprès de Jaume, un plasticien célèbre, tyrannique et cruel. Pour le Journal des Femmes, le metteur en scène commente avec passion trois facettes de son labeur.

Au service de l'identité

"L'identité est quelque chose que nous créons en tant qu'humain. La famille, le voisinage ou le pays dans lequel on vit jouent un rôle important dans sa construction. Que se passe-t-il toutefois quand il manque un de ces aspects à quelqu'un ? Petra ne sait pas qui est son père mais doit quand même bâtir son identité. Aller à sa recherche est une nécessité psychologique et métaphysique. C'est aussi une quête nécessaire pour faire avancer les choses. Nous sommes qui nous sommes, toujours extrêmement influencés par nos parents. Une mère a un impact énorme sur le plan émotionnel. Le père l'est tout autant, sinon plus. Nous devenons souvent ce qu'il aurait aimé que nous devenions. L'amour de la mère est inconditionnel. L'amour du père ne l'est pas : il faut le gagner. Comment ? En devenant souvent ce qu'il aime. Avec Petra, je voulais explorer le langage du cinéma, repousser les limites, comprendre quelque chose d'insaisissable sur notre nature humaine et partager avec le spectateur des sujets importants de notre époque. J'ai conçu le film de manière à ce qu'un public plus large puisse y accéder –avec des personnages et des intrigues surprenants, des acteurs de qualité, des décors naturels magnifiques…– tout en gardant une écriture filmique personnelle, qui se traduit par des plans séquences, une caméra subjective, une musique chorale, une histoire non linéaire..."

Le rapport à l'art

"Je pense que l'art est moralement, psychologiquement et politiquement inutile. On ne devient pas une meilleure personne après l'avoir expérimenté. C'est d'une telle évidence. Pour tout vous dire, c'est génial qu'il en soit ainsi. Parce que sa beauté réside dans le fait qu'il s'agit d'une expérience personnelle et unique, qui apporte du plaisir à une personne. J'aime faire des films pour que d'autres puissent ressentir ça. Mais je ne veux changer la société ni par l'art ni par le cinéma. Je déteste quand les politiciens ou les cinéastes prétendent qu'il est primordial parce qu'il a un impact positif sur la société. C'est absurde. Nous devrions simplement y investir de l'argent pour sa beauté. Ici, j'ai été principalement influencé par l'art moderne, celui qui a émergé au cours de la dernière moitié du XXe siècle. C'était un mouvement contre les idéaux classiques, contre l'esthétique morale et politique de l'art classique. Au cinéma, ça correspond au néoréalisme et à la Nouvelle Vague. Pour Petra, je voulais revenir en arrière, intégrer des influences classiques (Ford, Wilder, Hitchcock, Sophocle ou Shakespeare) sans pour autant égarer toutes mes influences modernes, comme Tarkovski. Par ailleurs, mes fortes influences en termes de fiction sont mes lectures d'adolescence : Dostoïevski et Camus. Côté philosophie et essais, Deleuze, Barthes et Aristote ont influé sur la manière dont je pense l'esthétique de mon travail, notamment dans son aspect plus métaphysique."

Par amour pour Barbara

"J'ai mené un long processus de casting et Bárbara Lennie semblait être la meilleure actrice pour incarner Petra. Elle a une beauté naturelle sophistiquée que j'aime. Elle n'est ni super sexy ni parfaite. Elle est quelque chose entre les deux. Elle a une grande confiance en elle, en tant que femme et comédienne. Elle rit tout le temps et très ouvertement. C'est extrêmement attrayant. Elle est intelligente et intuitive. Elle n'a pas peur de dire non. Encore une fois, toutes ces qualités ont pesé sur mon choix. Petra est un personnage fort. Elle est une artiste. Son art est centré autour de son corps. Elle entre dans un monde dangereux, celui de Jaume, son père possible. Bárbara et Petra partageaient de nombreuses qualités psychologiques. Quand on me demande ce que symbolise ce personnage, c'est difficile car je ne travaille pas en termes symboliques. Le symbolisme est une sorte de langage esthétique avec lequel je ne compose pas. Par conséquent, dans mes films, les choses sont ce qu'elles sont, elles ne symbolisent rien, ou pas, à ce que je sache. Pour moi, Petra est l'héroïne centrale, celle qui pousse l'action. Ce n'est pas nécessairement le plus important ou le plus complexe. En fait, sur le plan psychologique, le plus complet est Jaume. Il est celui qui fait tourner le monde. Petra, elle, nous emmène dans l'histoire de Jaume. Elle est aussi le personnage capable de pardonner. A ce propos, le projet gravite autour de l'idée de mensonges et de vérités. On dit beaucoup de mensonges à des fins positives, pour essayer de protéger quelqu'un. Mais au bout du compte, ils s'avèrent être négatifs. In fine, Petra réalise qu'il est très difficile d'aller vers le pardon et la rédemption."

"Petra // VOST"