Céline Sallette : "Une mort est toujours une naissance à venir"

Céline Sallette prouve une nouvelle fois dans "Mais vous êtes fous" d'Audrey Diwan -en salles le 24 avril- qu'elle est l'une de nos plus grandes actrices. Sous les traits d'une épouse en perdition, elle étincèle. Rencontre avec une artiste aussi douce qu'indomptable.

Céline Sallette : "Une mort est toujours une naissance à venir"
© Laurent VU/SIPA

Lorsqu'elle vous regarde, Céline Sallette vous inonde de mystère. Ses yeux, clairs et troublants, sont probablement les plus beaux du cinéma français. D'aucuns lui attribuent, à raison, une ressemblance avec Simone Signoret, qu'elle finira forcément par incarner un jour à l'écran. Libre et passionnée, en marge des paillettes, Céline Sallette mène une carrière discrète et éclatante, faite de choix souvent judicieux. Depuis ses premiers pas chez Sofia Coppola dans Marie-Antoinette en 2006, la bordelaise de 38 ans est devenue une des coqueluches du cinéma d'auteur français. "Sur un plateau, mes pensées s'apparentent à un voyage au cœur du personnage", confie-t-elle, recroquevillée sur le canapé d'un hôtel parisien. "J'aime aller à la rencontre de l'altérité et c'est bien pour ça que je fais ce métier."
Et elle l'exerce particulièrement bien, ce métier, qu'elle soit prostituée dans L'Apollonide de Bertrand Bonello ou éducatrice spécialisée dans Geronimo de Tony Gatlif. Une présence magnétique, un regard puissant et une palette de jeu qui continuent de faire le bonheur des cinéastes. Il y a une dizaine d'années, Audrey Diwan, alors journaliste, l'interviewe dans le cadre la promotion d'un film, sans savoir qu'elle lui offrirait plus tard un rôle en or. "Je me souviens que la discussion a continué après que le micro a été coupé. On avait des appréhensions communes, on se retrouvait à bien des égards… On est devenues amies et elle m'a toujours tenu informée de ses projets." Résultat ? Sallette tournera dans deux films que Diwan a coécrits avec son compagnon Cédric Jimenez : La French et HhHH. Une collaboration artistique qui se poursuit cette année avec le formidable Mais vous êtes fous.

Sidération payante

"La sidération que j'ai eue à la lecture du scénario était incroyable", explique-t-elle. "Si l'histoire racontée n'était pas vraie, il m'aurait été presque impossible d'y croire." Et pour cause, ce premier long-métrage très prometteur d'Audrey Diwan relate le récit avéré d'une femme dont le mari, accro à la cocaïne, drogue sa famille par contamination (et inadvertance). Sallette révèle avoir été saisie par "cette façon d'évoquer l'inexplicable, le trauma, le choc" avant d'accepter de prêter ses traits à l'épouse de Pio Marmaï. Tous deux, d'abord angoissés par le défi qu'impose de tels rôles, se serrent alors les coudes pour composer un couple intense, sublime jusque dans la tourmente. "J'y suis allée pour le challenge car je n'étais pas sûre d'être à la hauteur. J'ai préféré ne pas rencontrer la femme à qui c'est arrivé pour me concentrer sur ce qui me parlait : la dépendance affective, le manque de l'autre, le besoin d'être constituée par l'amour…", précise l'intéressée.

Céline Sallette dans "Mais vous êtes fous". © Wild Bunch Distribution

Mais vous êtes fous scanne justement les sentiments de ses héros et revêt parfois les contours d'un polar claustro ; les unités de lieux étant resserrées. Un dispositif qui a beaucoup plu à Céline Sallette, très attachée aux histoires organiques, dans lesquelles rien n'est surligné ou sur-expliqué. La talentueuse comédienne, remuante dans ses accalmies comme dans la nervosité de ses doutes, a puisé dans le présent pour transformer l'essai. "Pour jouer les sentiments qui traversent mon personnage, je me suis appuyée sur le rapport de confiance avec Pio, Audrey et toute l'équipe sur le plateau… La somme de détails, de regards, de bienveillance, de silences et d'attention donne la possibilité d'offrir à l'écran la bonne émotion. C'est ce qui permet les moments de grâce au cinéma, sur ce film, comme sur d'autres…"

Vers le progrès et au-delà

Pour cette fan de Bette Davis, dont elle adore la prestation dans Qu'est-il arrivé à Baby Jane ?, et de Tilda Swinton, qu'elle salue pour sa faculté à dévoiler la monstruosité de l'âme humaine, la technique est (presque) toujours la même : laisser l'imaginaire travailler sans se reposer sur ses propres expériences. "Face à la caméra, je ne pense pas aux choses que j'ai vécues mais à ce que je vivrais si j'étais le personnage que j'incarne. Dans Mais vous êtes fous, j'ai été sensible à la question de la co-dépendance, qui est souvent le contraire de l'autonomie. Le film rappelle qu'une mort est toujours une naissance à venir." Son incarnation d'une mère-courage qui perd pied, victime de la toxicomanie d'un mari à la dérive, est proprement épatante. Elle pourrait très clairement lui valoir une nomination aux prochains César.  

A l'issue de l'entretien, on n'a pas résisté à lui demander, en rapport avec la thématique en question, quelle était la plus grande addiction de sa vie. Réponse ? "C'est la première fois qu'on me demande ça…" Et, après une longue réflexion : "Je dirais ma fille, mes amours… et ma volonté de toujours progresser. Un jour, j'ai compris que j'étais responsable de ce que je vivais et j'ai entamé un chemin de progrès qui, j'espère, ne s'arrêtera jamais. " Autre grand axe de son quotidien, qui rejoint celui de son personnage : protéger sa fille. "Je voudrais lui inculquer cette confiance nécessaire pour s'emparer de sa vie et commettre ses propres erreurs. Lui faire comprendre que rien n'est possible sans entraînement.", conclut la comédienne, à l'affiche actuellement de la série Vernon Subutex et qui campera prochainement une militante écolo sous la direction de Farid Bentoumi face à Zita Hanrot et Sami Bouajilah.

"MAIS VOUS ÊTES FOUS // VF"