Sameh Zoabi, réalisateur de TEL AVIV ON FIRE : "L'humour est ma voix"

Neuf ans après son premier film, "Téléphone arabe", lauréat de l'Antigone d'Or au Cinemed, le cinéaste palestinien Sameh Zoabi dégaine le 3 avril une seconde réalisation pleine d'esprit et d'humour : "Tel Aviv on Fire". L'occasion d'aborder de façon originale et glamour le conflit israélo-palestinien.

Sameh Zoabi, réalisateur de TEL AVIV ON FIRE : "L'humour est ma voix"
© Haut et Court

Un sourire chaleureux et solaire ponctue chacun de ses aveux. Le réalisateur et scénariste Sameh Zoabi, 44 ans, est né dans le village palestinien d'Iqsal, près de Nazareth. Après avoir suivi un double cursus universitaire à Tel Aviv – littérature anglo-saxonne et études cinématographiques–, il obtient une bourse et suit un Master en Réalisation à la prestigieuse Université de Columbia. Son court métrage Be Quiet (2005) a été primé à la Cinéfondation cannoise –dont il est désormais résident– et sélectionné dans de nombreux festivals (Sundance, Locarno, New York...). Quand il n'enseigne pas à la NYU Tisch School of the Arts, l'intéressé réalise des longs. Après le très remarqué Téléphone Arabe (2010), Tel Aviv on Fire marque son second passage derrière la caméra et centre son attention sur un soap opera qui réunit deux peuples ennemis. Ou quand le cinéma pacifie le dialogue entre un scénariste palestinien (un peu) raté et un officier de check-point israélien. Nous lui avons tendu notre micro. Morceaux choisis.   

Un dilemme artistique    

"J'ai grandi dans une culture très palestinienne et j'ai vite été confronté, dans le cadre de mes études, aux grandes villes israéliennes. Je viens d'un endroit unique. L'oppression, on la ressent à Gaza, dans les territoires etc… On vit une tragédie quotidienne. Mais les années passent et on évolue sans se rabâcher qu'on est dans une situation misérable. L'humour devient alors un fil conducteur de notre existence, un instinct de survie basique. Quand les choses deviennent trop sérieuses, ça soule les gens. En devenant cinéaste, je me suis donc dit qu'adopter un style plus léger me correspondrait bien. Vous savez, quand vous venez de cette région, il y a toujours une interprétation politique de vos films. Même si vous racontez des histoires intimes et personnelles, la politique vous rattrape. Avec Tel Aviv on Fire, je voulais donc couper la poire en deux en investissant un sujet fort et politique, pour contenter le public international et le monde de l'art, et en favorisant l'humour pour me faire plaisir. Ce dilemme-là est, en quelque sorte, devenu le sujet central de mon film. On a affaire, ni plus ni moins, à un auteur –le scénariste– qui essaye de faire entendre sa voix."

Le rire est une colombe

"Je parle hébreux et arabe, j'ai grandi de l'autre côté de la barrière, je suis un citoyen arabe israélien. Cette double identité me permet de savoir ce que les uns pensent des autres et mon film joue justement sur ces stéréotypes. Salam et Assi, les protagonistes, travaillent ensemble sur le scénario d'un soap opera populaire car ils ont l'humour et la créativité en partage. Sauf quand ils abordent des sujets épineux, bien sûr. On est bien jusqu'à ce qu'on parle de politique. J'aime rire de thématiques sérieuses, comme Chaplin avec Le dictateur ou Lubitsch avec To be or not to be. Prenez par exemple l'humour juif ! Il est très populaire, de Woody Allen à Seinfeld. Pourquoi ? Parce qu'il aborde des choses sérieuses avec drôlerie. On partage le même humour dans la mesure où on se sent psychologiquement comme des victimes, comme des gens coupés du monde. On appelle ça l'humour de ghetto, lequel est sarcastique. Pourquoi prendre la vie trop au sérieux ? Les européens attendent souvent des films sérieux de notre part alors qu'il y a de l'humour en nous. Les étrangers qui viennent chez nous réalisent, à leur grande surprise, qu'il y a de la joie et beaucoup de rires. C'est vraiment comme ça qu'on a grandi même si la réalité est plus tragique que jamais en Palestine. L'humour est ma voix."           

Par amour du soap

"J'ai grandi en regardant ces programmes, notamment pendant le Ramadan. Ils me sont familiers. Ma mère est du genre à en enquiller 3 à 4 par jour. Elle y est très investie émotionnellement. Elle pleure et moi, à côté, je ris car les dialogues ne sont absolument pas subtils. Les personnages disent des choses génériques et annoncent toujours ce qu'ils s'apprêtent à faire. C'est risible… Je me suis dit que ça pouvait être un super outil pour parler, avec décalage, de politique. J'ai donc imaginé un soap qui se déroule dans les années 1970, en m'inspirant d'un vieux feuilleton consacré à l'espion égyptien Rafaat Al Haggan. Mais là, j'ai mis en avant une héroïne (incarnée par Lubna Azabal, ndlr). Je voulais quelque chose de visuellement fort, entre film noir et classicisme hollywoodien, qui rompt avec le réel, mais aussi mixer la fiction et le réel ; l'idée étant de dire que le conflit israélo-palestinien est un soap opéra qui ne finit jamais. Les Israéliens et les Palestiniens ont besoin de partager leurs histories pour mieux se connecter. C'est par là que ça passe. On aime les mêmes choses de manière différente. Beaucoup de juifs qui viennent de pays arabes apprécient le houmous, la musique orientale etc… mais rejettent dans le même temps cette culture. Aujourd'hui, on vit dans des bulles distinctes : Tel Aviv, Ramallah, le Nord etc… Chacun vit selon ses règles pour ne pas se relier aux autres. C'est dommage."  

"Tel Aviv On Fire"