Cécile de France : "Les hommes ont aussi été victimes du patriarcat"

Avec Audrey Lamy et Yolande Moreau, elle est l'une des trois "Rebelles" du cinéaste Allan Mauduit. Cécile de France s'exprime sans filtre sur ce projet et les thématiques sociétales qu'il renferme.

Cécile de France : "Les hommes ont aussi été victimes du patriarcat"
© BENAROCH/VU/SIPA

Il y a quelques jours, elle était nommée aux César dans la catégorie Meilleure Actrice pour sa prestation truculente dans Mademoiselle de Joncquières d'Emmanuel Mouret. Dès le 13 mars, Cécile de France sera à l'affiche de Rebelles, la première réalisation (solo) culottée et azimutée d'Allan Mauduit. Elle y incarne une Miss Pas-de-Calais déchue qui revient dans sa ville natale, Boulogne-sur-Mer, pour travailler à la conserverie. Quand son patron tente de la violer, elle le tue accidentellement avec la complicité de deux collègues campées par Audrey Lamy et Yolande Moreau. Et le défunt de laisser derrière lui un sac de billets qu'elles décident de garder. Fan du scénario, qui prône girl power, Cécile de France revient sur cette aventure où les hommes n'ont qu'à bien se tenir.

Qu'est-ce qui vous a séduit dans ce projet ?
Cécile de France : J'ai aimé le côté atypique du scénario. On me propose généralement des rôles de bobos dans des appartements lumineux de Paris. Là, ça se passe enfin dans le monde prolétaire, à Boulogne-sur-Mer, et ce n'est pas filmé de manière misérabiliste. En tant que spectatrice, j'adore les polars, les films d'action et toutes ces œuvres qui ont inspiré Allan Mauduit pour Rebelles, à l'instar des Tarantino, des frères Coen… Avoir la possibilité d'être l'une des trois héroïnes aux commandes de son histoire, c'était une chance. Et mon personnage est génial. Je savais que j'allais m'amuser à le créer de toutes pièces et c'est ce qui me plait dans ce métier. Plus il est éloigné de moi, plus ça m'amuse.

Vous créez avec des morceaux de vous ?
Cécile de France :
 Je donne déjà beaucoup de moi : ma voix, ma peau, la forme de mon visage… J'aime travailler et échanger avec les costumiers, les maquilleurs, les coiffeurs… Pour Rebelles, j'ai directement senti, en découvrant Sandra, qu'il y avait de la place pour cette fantaisie-là, pour pousser un peu le curseur et créer un look de cagole niçoise (rires). Elle est très méprisante et antipathique au départ. Elle a été Miss Pas-de-Calais et revient dans sa ville natale 15 ans après. C'est un échec que de devoir travailler à l'usine. L'attachement à elle se fait progressivement.

Elle se reconnecte en quelque sorte à ses racines, à sa région, à son passé…
Cécile de France : Elle a d'abord honte de revenir chez elle et le vit comme une régression. Au fil du récit, elle va comprendre qu'elle est l'une des leurs et se réconcilier avec ses origines prolétaires. Et ça, c'est beau. Le scénario est joyeux, plein d'espoir et fait la part belle à des héroïnes battantes.  

"J'ai joué, en majorité, les faire-valoir de rôles principaux masculins"

Qu'y a-t-il de jouissif à incarner l'aigreur, la prétention et l'antipathie ?
Cécile de France : Je ne l'ai pas souvent fait, c'est vrai. J'ai davantage eu des rôles de filles plutôt saines, sympas… Vous savez, je suis très attirée par les personnages qui ont une part d'ombre dense, qui ne sont pas proprets. J'aime essayer des choses différentes.

Allan Mauduit voudrait que les hommes et les femmes soient égaux. Dans la réalité comme dans la fiction. Est-ce le cas selon vous ?
Cécile de France :
 Non, pas du tout. On n'est pas égaux. Si vous vous penchez sur ma filmographie, vous noterez que j'ai joué, en majorité, les faire-valoir de rôles principaux masculins : femme de, copine de, maîtresse de, voisine de… Dans la fiction, on a davantage d'histoires d'hommes hétérosexuels. Maintenant ça change un peu, les femmes ou les homosexuels sont plus mis en avant dans les scénarios. C'est à nous, artistes, d'avoir une empreinte sur l'inconscient collectif.

Rebelles a été écrit avant le mouvement #MeToo. Il se fait, d'une certaine manière, rattraper par le contexte actuel. Jugez-vous que le cinéma soit un univers machiste ?
Cécile de France : Disons qu'il est en train de changer. J'ai l'impression qu'il y a des mutations. J'y vois un parallélisme avec le siècle des Lumières où les intellectuels réfléchissaient sur les inégalités, sur la notion de liberté… Avant, je ne me demandais pas pourquoi je n'avais pas le rôle principal. Désormais, j'ai envie de porter des histoires sur mes épaules, chose que je me refusais il n'y a pas si longtemps. Il est important de bousculer les mécanismes dans lesquels nous sommes conditionnés dès notre plus jeune âge. Ce sont des siècles d'habitude à casser.

Qu'y a-t-il de plus féministe chez vous ?
Cécile de France : Avec mon métier, j'ai peut-être l'occasion de faire avancer les mentalités à travers des personnages qui peuvent résonner dans les foyers et les esprits, faire réfléchir… On parle des femmes mais pour les garçons ce n'est pas évident non plus d'être toujours durs, héroïques, de mettre de côté sa sensibilité. Les hommes ont aussi été victimes du patriarcat. Les femmes ont leur rôle à jouer, celui d'atténuer la pression sur eux, de leur faire confiance pour les tâches ménagères, pour l'éducation des enfants… Ensemble, on doit remettre en cause les vieux schémas et carcans paternalistes.

Les injustices entre les hommes et les femmes demeurent fortes. Y en a-t-il une qui vous agace plus ?
Cécile de France : L'inégalité salariale… Je trouve ça moyenâgeux. Au cinéma, on a toujours été moins bien payées que les hommes. On n'y peut rien, malgré l'engagement de nos agents. Toutefois, ces derniers temps, lça bouge. Pour Madame de Joncquières, j'ai obtenu, pour la première fois de ma carrière, le même salaire qu'Edouard Baer.

"Rebelles"