Un Beau Voyou : Jennifer Decker, particule qui séduit la pellicule
Premier rôle féminin de "Un Beau Voyou", en salles le 2 janvier, Jennifer Decker électrise le film de son énergie et sa verve. Un dynamisme et une éloquence que cette pensionnaire de la Comédie-Française a acquis sur les planches à jouer les grands classiques du théâtre. Mais c'est devant la caméra qu'elle se fait remarquer en ce début d'année dans la comédie policière fraîche et bien troussée de Lucas Bernard. Focus sur ce talent.
"Si vous me dites que l'art contemporain et moderne c'est pareil, je vous casse en deux". C'est avec cette réplique cinglante prononcée de sa voix rauque et chaude que Jennifer Decker entre en scène dans Un Beau Voyou. Dans cette comédie policière, elle incarne Justine, restauratrice de tableaux et petite amie de Swann Arlaud, voleur acrobate qui se spécialise dans le vol de tableaux. Aux antipodes du personnage d'amoureuse de voyou traditionnel, elle incarne avec justesse cette jeune femme qui cherche la vérité sur l'identité de son compagnon ; "Je m'en fous des secrets, mais j'aime pas les mensonges" clame Justine à son amoureux. "Il fallait faire de Justine un personnage fort et intéressant. Elle est la seule qui n'est jamais effrayée par ce qui se passe" explique le réalisateur. C'est assurément ce rôle différent qui a séduit la jeune femme, qui n'a pas emprunté les chemins traditionnels dans sa carrière.
Un début théâtral
Assez méconnue du public des salles obscures, Jennifer Decker est cependant une habituée des planches. A 18 ans, en 2001, alors lycéenne en terminale littéraire option théâtre, elle est remarquée par Irina Brook lors d'un casting sauvage. C'est l'iconique rôle de Juliette dans Roméo & Juliette, présenté au Théâtre National de Chaillot, qui lance sa carrière en France et à l'international puisque la pièce connaitra un succès en dehors de nos frontières. Sans véritable formation, la comédienne enchaîne théâtre, apparitions à la télévision dans des téléfilms et des séries et rôles au cinéma, en France -D'amour et d'eau fraîche ou Erreur de la banque en votre faveur- comme à l'étranger, avec notamment James Franco ou Jean Reno. "Je joue les Françaises chez les Américains et l'inverse chez nous" s'amusait-elle en 2007 à Ecran Large. Au bout de 10 ans de carrière, elle fait un choix qui peut surprendre : commencer une formation. Pendant 6 mois, elle met ses projets en suspens et intègre un cours intensif à l'Ecole du Jeu. Lors d'une interview pour le blog de l'école, elle commentait : "N'avoir fait ni école, ni université me manquait. Je n'ai pas poursuivi mes études après le baccalauréat : une autodidacte souvent fainéante et en carence. Il me fallait un espace de recherche. J'étais fatiguée de me voir à l'écran, de voir ce que je proposais. Je sentais faire commerce du peu que je savais faire. Je souhaitais voyager à l'intérieur de moi et me rencontrer pour grandir un peu si possible."
Particule particulière
A la fin de cette formation, en 2011, elle devient une artiste à particule en entrant comme pensionnaire au sein de l'institution culturelle qu'est le Théâtre-Français. Jennifer Decker de la Comédie-Française y fait des débuts remarqués dans le rôle de Marianne dans L'Avare de Molière avant d'enchaîner près de vingt pièces jusqu'à aujourd'hui. C'est que le collectif est primordial pour elle : "Seule, je m'éparpille, j'évolue dans un désordre qui parfois m'éloigne de mon projet. J'ai un tempérament à préférer les cadres, je travaille mieux" analyse-t-elle, toujours pour le blog de l'Ecole du Jeu. Le cinéma réapparait dans son parcours dès 2015 avec des rôles et des apparitions dans L'Hermine, Paris-Willouby ou encore Orpheline.
D'elle, on sait peu de choses, comme le permet souvent la notoriété des acteurs de théâtre, moins exposés aux gossips. Et elle semble aimer ça ! Seule une page Facebook à son nom complet -Jennifer Gabrielle Decker- régulièrement mise à jour nous apprend que la jeune s'est coupé les cheveux et a célébré la victoire de l'Equipe de France lors de la Coupe du Monde en juillet dernier ; que le New York Times a encensé la pièce Les Damnés dans laquelle elle est dirigée par Ivo van Hove ; qu'elle a signé la pétition visant à soutenir, en 2017, Kirill Serebrennikov, metteur en scène russe d'un théâtre engagé et politique menacé de 10 ans de prison en Russie et assigné à résidence. Sur Instagram, un profil privé à son nom compte quelques centaines d'abonnements et d'abonnés mais aucune photo. Dans un récent article du Figaro, la comédienne très occupée, qui manque de temps pour s'adonner à des loisirs, dévoile ses quelques adresses préférées dans son quartier de Jourdain, aux frontières des XIXe et XXe arrondissements, qu'elle occupe depuis son entrée à la Comédie-Française. Adepte des troquets, du parc de la colline de Belleville, de vins naturels et de bols bios végétaliens, elle aime aussi beaucoup lire : "Une très bonne librairie, c'est très important. J'aime particulièrement les correspondances, les biographies et autobiographies, les bandes dessinées très graphiques, à la japonaise, et les romans classiques. Je lis beaucoup de théâtre, évidemment." Naturellement !
Acclamée unanimement par la critique en 2018 pour le rôle-titre dans Phèdre de Sénèque par Louise Vignaud, elle est présente, pour la saison 2018/2019, dans cinq pièces à Comédie-Française et débute donc l'année avec Un Beau Voyou, qui va lui offrir une belle visibilité au cinéma. Gageons que cette double exposition finira de mettre en lumière ce talent rare qui excelle sur les planches comme la pellicule.