Les Filles du Soleil : Emmanuelle Bercot et Golshifteh Farahani, éclairées [INTERVIEW]

Emmanuelle Bercot et Golshifteh Farahani révèlent toute leur lumière dans "Les Filles du Soleil", au cinéma le 21 novembre. Ce film de guerre sur le courage d'agir nous a permis d'évoquer la vocation et les leçons de vie avec elles. Interview de deux âmes brillantes.

Les Filles du Soleil : Emmanuelle Bercot et Golshifteh Farahani, éclairées [INTERVIEW]
© Wild Bunch

Le Journal des Femmes : Qu'est-ce qui vous a touchées dans le film ?
Emmanuelle Bercot :
C'est assez rare de recevoir ce genre de scénario. On sent qu'on a à faire à un projet d'envergure, par son ambition artistique, mais aussi par son message. L'esprit militant et les valeurs d'Eva Husson prouvent sa sincérité. On est embarquée dans quelque chose qui va plus loin que du divertissement. En tant qu'actrice, on est engagée de tout son être pour témoigner, informer… On a l'impression d’être un peu plus utile, de servir à quelque chose.

Golshifteh Farahani : J'ai toujours attendu que quelqu'un parle des yézidies. Quand Eva est venue avec cette histoire, le scénario n'existait pas encore, mais j'étais partante. Ce film est nécessaire pour l'époque. C'est merveilleux que Nadia Murad ait obtenu le prix Nobel. Il est temps que les gens se rendent compte de ce qui se passe avec ces femmes.

Quand on a un rôle aussi fort, est-ce plus difficile d'incarner ?
E. B. : On se dit toujours qu'on n'a pas le droit à l'erreur, même pour une comédie. Le processus est toujours le même, il faut s'abandonner, ne pas jouer, être. On doit se débarrasser de toutes les idées parasites qui nous empêchent de nous oublier.

G. F. : Tous mes rôles sont les rôles de ma vie. Je pense à chaque fois que c'est le premier et le dernier. C'est comme si j'aimais toutes mes maîtresses également. Physiquement, j'ai beaucoup donné parce que ce film était plus difficile. Il fallait porter plein de trucs. Un peu comme les enfants qui demandent plus d'attentions que d'autres.

Qu'avez-vous appris de ces Filles du Soleil ?
E. B. : Cette idée du courage, de ne pas subir. Beaucoup de gens, surtout en France, se contentent d'un statut de victimes et ne résistent pas. On attend beaucoup que les choses soient réglées par les autres, par la politique, par l'Etat… Quand je vois des personnes qui s'engagent, partent au combat, ça m'inspire une admiration folle. Je ne sais pas comment je me comporterais dans cette situation, mais risquer sa vie pour s'en sortir c'est au-delà du cran, c'est presque abstrait.

G. F. : J'ai compris l'absence de limite de la capacité humaine et j'ai compris mes limites physiques à moi-même. On peut tous aller très loin, plus qu'on ne le pense. Et puis j'ai rencontre l'amour de ma vie (rires) ! Emmanuelle est une actrice pas possible… Je n'ai jamais eu de partenaire de jeu d'une telle qualité.

Emmanuelle vous êtes réalisatrice. Comment redevenez-vous actrice ?
E. B. : C'est comme si j'avais un bouton switch dans mon cerveau. L'un n'interfère absolument pas avec l'autre. J'apprends de tout. Regarder les autres jouer me sert quand je dirige les acteurs. Eva Husson a un calme que je n'ai pas. Je me suis pris une leçon. Sur mon prochain tournage, je chercherai plus de sérénité. Je suis à bout de nerfs quand je fais des films.

G. F. : Elle n'y arrivera jamais (rires) ! Même quand elle est là en tant qu'actrice, elle fait la bonne élève. Elle se met devant la caméra pour la lumière, pour le focus. Elle est sur le plateau tout le temps !

Eva Husson a comparé les critiques cannoises à un sursaut misogyne autour du film. Qu'en pensez-vous ?
G. F. :
Il y a surtout un lien géographique. Quand on parle d'un endroit sur la planète auquel on n'a pas accès, on n'a pas envie de voir un film, on a envie d'un documentaire. Je crois que c'est ce qui a irrité les critiques. Comme pour l'Iran, l'Afghanistan... On veut des images moches, crues, des lumières ternes, des gens laids. Surtout pas de la beauté, de la mise en scène. Si c'est esthétique, c'est forcément manipulé et faux.

E. B. : Il y a eu un rejet de la vision d'Eva. Pourtant elle ne prétend pas faire un cliché géopolitique de la région, elle raconte une histoire de son point de vue. Je crois aussi qu'il y a l'apathie liée au fait que c'est un des premiers films sur le sujet. S'il y en avait eu pléthore, on aurait accepté cette nouvelle vision parmi d'autres.

Dans le film, la reporter parle de sa vocation à raconter le monde… Cette vocation, c'est ce qui vous pousse à faire du cinéma ?
E. B. : Pas du tout. Je me sens comme un artisan qui fait des films, pas comme quelqu'un qui fait des choses essentielles. Je suis passionnée par ce que je raconte, mais je ne ressens pas de devoir. Les reporters de guerre qui risquent leur vie tous les jours sont dévorés par la volonté de témoigner. Ca doit être viscéral chez eux. Je ne peux pas faire de parallèle parce qu'on ne risque rien du tout dans le cinéma. Je pourrais très bien faire autre chose.

G. F. : Moi si, je risque ma vie. On met en danger notre famille, nos enfants pour cette mission de cinéma. Je vis dans la solitude et ce que j'encaisse, face aux détracteurs notamment, est très violent pour continuer à faire mes choix. Ce n'est pas "à la vie à la mort" comme la guerre, mais c'est aussi critique. Et puis j'ai vu en Iran comment un film peut influencer le peuple, devenir culte, créer des vagues extraordinaires à l'intérieur de la société...

Les Filles du Soleil, au cinéma le 21 novembre.