Ana Giradot et Nicolas Duvauchelle : des sentiments plus que de raison [INTERVIEW]

Ana Girardot et Nicolas Duvauchelle jouent un couple confronté au handicap du jour au lendemain dans "Bonhomme", en salles. L'occasion d'aborder des questions d'amour et de bon sens avec eux. Rencontre.

Ana Giradot et Nicolas Duvauchelle : des sentiments plus que de raison [INTERVIEW]
© Michaël Crotto / UGC Distribution

Dans Bonhomme, ils sont Piotr et Marilyn. Nicolas Duvauchelle et Ana Girardot incarnent un jeune couple lillois bercé par un quotidien banal, entre boulots de vendeurs et sorties entre amis. Lui tient la casquette, elle suit. Jusqu'à ce qu'un accident de voiture les obligent à inverser les rôles. A 35 ans, il devient traumatisé crânien. Il ne sait plus enfiler son pantalon tout seul, perd toute notion sociale et se retrouve avec une libido d'adolescent impossible à refréner. Elle doit tout gérer, de la rééducation de son homme à la gestion financière du foyer. L'amour peut-il survivre à un tel chamboulement ? C'est une des questions posées par ce drame pas drama signé Marion Vernoux, dans lequel les deux acteurs livrent une prestation d'une justesse touchante. Rencontre avec ces amoureux des beaux rôles... plus portés sur le cœur que sur la raison.

Le Journal des Femmes : Qu'est-ce qui vous a convaincu de faire ce film ?
Nicolas Duvauchelle : J'avais un peu peur de ce personnage. d'incarner ce mec sans tomber dans le burlesque. Je ne voulais faire ni du Rain Man ni du Forrest Gump. Marion, la réalisatrice, m'a convaincu de me lancer. Pour me rassurer, on a rencontré des cérébrolésés, des professeurs... J'ai travaillé toutes les scènes avec le président d'une association. Il était mon référent sur le tournage pour savoir si j'étais en dehors du rôle ou pas.

Ana, vous avez écopé du rôle après le début du tournage... Comment vous êtes-vous approprié ce personnage sur le tard ?
Ana Girardot :
C'était un challenge. mais j'adore ça. Plutôt que de réfléchir au personnage pendant trois mois, j'ai dû le comprendre en un weekend. Ça faisait écho au rôle. Du jour au lendemain, Marilyn doit s'adapter. Je pensais à ces chiens dont la tête bouge toute seule dans les voitures. Une énergie inépuisable, Tu dois aller de l'avant, jamais reculer, ne pas te plaindre. Je suis arrivée sur le tournage en mode "vous inquiétez pas, je vais assurer !". C'était enivrant.

Qui sont vos personnages ?
N. D. :
Piotr est un mec de 35 ans qui a 6 ans dans la tête et 15 dans le slip.

A. G. : Marilyn est une petite meuf de Lille qui s'en sort comme elle peut. Le rapport entre eux s'inverse. Au début, elle est impressionnée par lui, elle est jalouse, dépendante. Son mec est sa grande figure d'homme. Après l'accident, elle est obligée de prendre sa place. Elle prend confiance en elle, elle s'émancipe.

N. D. : On la prend pour une petite meuf, mais comme beaucoup de femmes, elle est en fait très forte.

© Michaël Crotto / UGC Distribution

Qu'est-ce qui vous a séduit dans ce couple ?
N. D. : Leur complicité est touchante. La façon dont elle lui parle, même quand elle le bouscule... Cette alchimie est primordiale dans un couple.

Pourquoi Marilyn reste-t-elle alors qu'il ne lui apporte que des tracas, qu'elle a la vie devant elle ?
A. G. : Ma théorie, c'est qu'elle refuse d'être comme son père, qui l'a abandonnée avec sa mère.

N. D. : Plus de 90% des gens dont le conjoint a un traumatisme crânien se barrent… D'autres restent. comme tu resterais si la personne avait un cancer par exemple. C'est de la fidélité.

Et vous, vous êtes plutôt guidés par votre raison ou vos sentiments ?
N. D. : Par les sentiments, tout le temps. Je ne suis pas raisonnable. Il y a 15 ans, je me disais que ça allait changer, mais j'ai 3 enfants et je me laisse toujours guider par mon cœur. Sinon je ne me sens pas vivant.

A. G. : Moi aussi, même si en grandissant, les responsabilités font que la raison prend une plus grande place.

Peut-on ne pas se soucier du regard des autres quand on est acteur ?
N. D. : Sans mentir, non. Ce que les gens disent, je m'en fous, mais le regard des collègues, de ceux qui comptent, a de l'importance. Les gens qu'on aime. même s'ils ne le savent pas forcément, quand ils parlent de toi en bien ou en mal, ça fait plaisir ou ça fait mal au cul.

A. G. : Des acteurs ont peur de la caméra. moi j'ai tendance à appréhender le regard des techniciens sur le plateau… Un jour, j'ai compris que tout le monde faisait son boulot et que chacun était dans son truc. Cette impression de jugement commence à partir.

A quel point vous laissez-vous imprégner par vos rôles ?

A. G. : Il y a toujours un rapport entre le film qu'on me propose et ma vie du moment, c'est très bizarre. Je ne sais pas si c'est intentionnel, mais je me fais toujours un peu exposée pendant le tournage. J'ai envie que mes rôles me tourmentent beaucoup. J'aime ça, retourner les sentiments.

N. D. : Je vois ce dont tu parles. Parfois, il y a des parallèles et tu ne sais pas si c'est toi qui changes ou si le rôle vient à toi. C'est étrange. Sortir d'un personnage n'est pas compliqué, mais j'étais content de terminer ce tournage, de me retrouver moi à la fin de la journée.

Marion Vernoux a été inspirée par cette citation de Blaise Pascal : "On n'aime jamais personne, seulement ses qualités." Vous êtes d'accord avec ça ?
N. D. :
Pas du tout. Pour moi il y a quelque chose de l'ordre du mystique. que tu ne peux pas expliquer, comme le fait d'aimer l'odeur de la peau.

A. G. : Il faut être conscient des qualités qui nous plaisent. se demander pourquoi cette personne nous accompagne, pourquoi c'est elle. Cela implique aussi de tolérer certains défauts.

Quelle a été votre plus belle preuve d'amour ?
A. G. :
On m'avait offert un voyage lunaire pendant la période de ce tournage et j'ai dû annuler. Au lieu de m'en vouloir, l'ami qui m'avait invitée m'a dit "c'est génial, c'est une chance immense, fonce". C'est une belle preuve d'amour.

N. D. : Mes enfants.

Bonhomme, de Marion Vernoux. Au cinéma.