Coralie Fargeat : "REVENGE est ouvertement féministe"

Coralie Fargeat nous en met plein la vue avec "Revenge", premier film sexy en diable d'une réalisatrice inspirée, culottée et éprise d'égalité des genres. Rencontre en direct de Gérardmer.

Coralie Fargeat : "REVENGE est ouvertement féministe"
© Coralie Fargeat

Quelle a été la genèse de Revenge ?
Coralie Fargeat : Les films de genre sont très politiques. Ils créent un univers. Leur violence est un moyen cathartique fort et symbolique d'aborder les sujets de société. Puis est venu le personnage fascinant de la lolita qui dégage un pouvoir d'attraction, mais à laquelle on dénie une existence propre. La lolita veut séduire. A cause de cela, certains hommes vont la voir comme un personnage vide, fragile, dont on peut se débarrasser comme on veut. Il y a enfin le concept de la mue. Cette héroïne qui est prisonnière du regard réducteur dans lequel on l'enferme, va sortir d'elle-même pour trouver les ressources nécessaires pour devenir une femme forte. Elle s'affirme et n'a plus besoin d'attendre l'autorisation de qui ce soit pour prendre son destin en mains.

Au début du film, vous portez un regard très masculin sur votre héroïne. Vous l'habillez de manière affriolante, vous cadrez ses fesses, faites de longs plans sur ses danses lascives... Alors que vous filmez de façon radicalement pudique son agression sexuelle...
C'est un choix. Je voulais faire un film extrêmement sensoriel sur le rapport au corps.  La sensualité est l'élément clé, la grammaire, de la première partie du film. La beauté, l'érotisme sont au cœur de l'histoire. J'ai imaginé le viol comme un élément cristallisant et symbolique d'un ensemble de violences verbales ou physiques faites aux femmes. Il s'agissait d'éviter le voyeurisme, de mettre en scène cette pénétration de manière crue. Je voulais montrer comment Jen devient victime lorsqu'elle cesse d'être la jolie fille avec laquelle on s'amuse. Richard la gifle et la traite de "petite pute". Il la rend responsable de ce qui lui arrive.

Jen se retrouve empalée sur un arbre dont le tronc devient un phallus symbolique. C'est le début de sa métamorphose physique...
Il fallait mettre cette fille dans une situation où elle n'allait avoir qu'elle-même pour s'en sortir. Elle redécouvre son corps et apprend à l'utiliser différemment. Ses blessures, ses cheveux, sa silhouette, sa tenue et son tatouage deviennent une armure de super-héroïne. J'ai beaucoup réfléchi avec l'équipe des effets spéciaux sur la façon dont j'allais gérer cette transformation. Au fur et à mesure des épreuves, de la salissure, Jen devient brune. Cela donne un aspect brut, sans artifices, proche de la terre, un côté archaïque qui lui confère une force presque animale. Sa crasse, c'est sa carapace, ses stigmates, sa nouvelle identité.

Revenge, en salles © Rezo Films

Revenge, par son esthétique pop, possède aussi un côté acidulé très jouissif, était-ce votre volonté de dédramatiser ?
La violence est pour moi très cinématographique. C'est un instrument fort dont j'avais envie de me servir allègrement et de manière très décomplexée. A l'opposé d'une vision réaliste, sadique, malsaine où l'on s'acharne, où l'on torture, où l'on découpe des membres. Même si le film va loin dans le sang, l'énergie reste guerrière et positive, pas gore. Je fuis l'hystérie et les clichés. Je ne voulais ni d'un film d'horreur où les femmes crient, hurlent, souffrent.... ni d'une fable fantastique. Je définis cet opus comme un revenge movie entre Kill Bill et Mad Max avec une forte dimension d'aventure, d'entertainment, où l'on est prise dans l'action, où l'on prend plaisir à s'approprier le message girl-power.

Le caractère féministe de votre film était-il constitutif de sa trame ?  Etait-ce un choix délibéré pour vous qui êtes passée par Sciences Po et la Fémis, un positionnement d'auteur de faire un film qui rende justice aux femmes ?
Revenge est ouvertement féministe. La conscientisation de la démarche s'est faite par étapes. Je suis partie de l'idée de ce personnage perçu comme faible et que je voulais rendre fort. Mon inspiration était de la libérer des stéréotypes dans lesquels on peut l'enfermer, de toute la brutalité qu'elle peut avoir à subir. Une fois que l'écriture s'est précisée, le scénario est apparu clairement féministe de A à Z.

Revendiquez-vous votre engagement féministe ?
Inconsciemment, ce sont les intentions dans lesquelles je baigne parce que je suis une femme confrontée à toutes les limitations que j'ai appris à intégrer.  Le message est plus que nécessaire. Je suis délibérément, sciemment, volontairement, très féministe. C'est important pour l'évolution de la société. Revenge a été ma pierre à l'édifice, un moyen de parler de ce sujet qui me touche au sein de la création artistique.

Revenge, en salles le 7 février © Rezo Films

Le 7e Art est-il un univers particulièrement misogyne ?
Je ne me suis jamais sentie empêchée de faire des films parce que j'étais une femme. La misogynie se situe dans la manière dont on investit l'autorité quand elle vient d'une femme, dans la manière dont on considère une femme qui a beaucoup d'ambition. Cela ne concerne pas spécialement le milieu du Cinéma, mais aussi la politique,les grandes entreprises. Certains hommes peuvent être dérangés d'être dirigés par une femme. Une femme exigeante, perfectionniste, autoritaire parfois, va être considérée comme une chieuse alors qu'un homme sera perçu comme un génie. C'est un sexisme beaucoup plus pernicieux, plus diffus et plus inscrit en profondeur et beaucoup de femmes ont appris à faire avec.

Votre héroïne est seule contre trois hommes animés par une fraternité virile. Une solidarité féminine est-elle envisageable ?
C'est la chose que je souhaite le plus au monde. Je pense que le patriarcat a entraîné cette division des femmes. Chacune a appris à se démerder dans son coin. Je crois en cette valeur, en cette émulation. C'est la clé pour que les choses changent

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