Alain Héril, sexothérapeute : "Chez un homme, le pic de sexualité est à 50 ans"

Sex-toys, orgasme prostatique, zones érogènes : les hommes disent tout sur leur sexualité dans le documentaire "Les Français au lit", diffusé sur Téva, lundi 11 novembre à 20h50. Entretien avec le sexothérapeute et psychanalyste Alain Héril qui nous dévoile les secrets du plaisir de ces messieurs et débusque les clichés.

Alain Héril, sexothérapeute : "Chez un homme, le pic de sexualité est à 50 ans"
© Alain Héril - Capture d'écran - Téva

La vie sexuelle de ces messieurs est décortiquée dans le documentaire que l'on attendait (presque) toutes : Les Français au lit, diffusé sur Téva, lundi 11 novembre à 20h50. Qu'ils soient vingtenaires ou septuagénaires, hétérosexuels, bisexuels ou gays, adeptes de la monogamie ou des relations ouvertes, les hommes se confient sans fard sur leur sexualité, face à la caméra d'Eloïse Malet. La vérité sur les sex-toys, l'orgasme prostatique, la possibilité de simuler ou encore la fréquence sexuelle idéale : tout, tout, tout vous saurez tout… À l'occasion de la diffusion du documentaire, nous avons interrogé le sexothérapeute et psychanalyste Alain Héril, qui intervient également au cours du long-métrage, sur les différences entre la sexualité des hommes et des femmes, la baisse de libido des seniors, la masturbation ou encore le point P.

Le Journal des Femmes : Les hommes aiment-ils réellement davantage le sexe par rapport aux femmes ? Pourquoi ce cliché persiste-t-il ? 
Alain Héril :
C'est un cliché extrêmement patriarcal et machiste qui laisserait entendre que les hommes sont détenteurs du savoir sur la sexualité et que les femmes y sont soumises. Cette idée est est issue notamment de la vision de la sexualité du XIXe siècle, qui ne correspond absolument pas à la réalité. De plus, en sexothérapie, depuis une dizaine d'années, on sait que le trouble sexuel masculin qui est en recrudescence est... l'absence de désir. La plupart des gens vous diront qu'il y a relation sexuelle à partir du moment où il y a pénétration, comme si la sexualité se résumait à la pénétration du pénis dans le vagin, une action qui donne d'ailleurs à l'homme une position tout à fait conquérante. Ces idées vont avoir une influence sur le comportement masculin et laissent  penser aux hommes que c'est eux qui ont le pouvoir sur la sexualité. 

La honte autour de la masturbation féminine reste d'actualité. Pourquoi est-ce plus "acceptable" socialement pour un homme de se masturber ? 
Alain Héril : 
Au XIXe siècle, la masturbation était considérée comme une maladie. Petit à petit, on a accepté que la masturbation pouvait être possible chez les hommes, mais moins chez les femmes. Ce qui a bougé, c'est que l'on accepte, à l'heure actuelle, la masturbation de compensation. Je pense que si une femme dit qu'elle n'a pas de relations sexuelles depuis un an et qu'elle se masturbe, cela va être relativement accepté. Par contre, si elle dit qu'elle se masturbe à 17h alors que son compagnon va rentrer à 21h, la plupart des gens vont dire : "Pourquoi fait-elle ça ? Elle n'a qu'à attendre qu'il arrive". 

Cela nous ramène à une idée de soumission de la femme…
Alain Héril : 
L'autonomie de la sexualité féminine a été difficilement acceptée et l'on est effectivement encore dans l'idée que la femme est soumise au désir de l'homme, ce qui est une contre-vérité, ne serait-ce que par rapport à l'anatomie et la physiologie. L'idée de la procréation est plus présente chez les hommes que chez les femmes. Jusqu'à preuve du contraire, le seul organe humain qui n'est dédié qu'au plaisir est le clitoris et les hommes n'en ont pas. Il y a une espèce de difficulté à accepter chez beaucoup d'hommes que la puissance de la sexualité est davantage du côté féminin que masculin.

Pourquoi entend-on davantage parler du point G que du point P (zone au niveau de la prostate de l'homme qui, si elle est stimulée, aide à atteindre l'orgasme prostatique) ?
Alain Héril : 
Le problème du point P est qu'il renvoie les hommes à l'homosexualité, puisque le point P se stimule par pénétration anale, avec un objet ou un doigt… Le massage prostatique, par exemple, est très bon pour la prostate, mais pour la plupart des hommes hétérosexuels, l'anus est une zone qui n'a rien à voir avec la sexualité, ce qui d'un point de vue anatomique, est complètement faux. C'est là qu'il y a un tabou. Une femme va régulièrement chez le gynécologue, il serait donc normal qu'un homme aille régulièrement chez l'urologue pour faire vérifier le fonctionnement de sa prostate et cela, pas forcément à 70 ans ! Cela devrait commencer dès 35 ans. 

Les hommes qui ont expérimenté l'orgasme prostatique décrivent pourtant une sensation extraordinaire, notamment dans le documentaire.
Alain Héril : 
Tout à fait, c'est un orgasme très différent des orgasmes habituels car il est davantage ressenti à l'intérieur du corps, c'est ce que l'on appelle un orgasme endogène, contrairement à l'éjaculation, qui "va vers l'extérieur". L'orgasme prostatique n'est pas forcément plus puissant, mais il est différent et il dure plus longtemps. Beaucoup d'hommes hétérosexuels prennent du plaisir lorsque leur point P est stimulé et cela ne fait pas d'eux des homosexuels. Mais, même si les lignes ont bougé, on est encore dans l'idée que l'homosexualité est une maladie. Nous sommes dans un monde qui est majoritairement hétérosexuel et avec un lien à la sexualité qui est très hétéronormé. Pour certains hommes, être dans "la normalité", dans la puissance sexuelle, c'est rester du côté de l'hétérosexualité masculine et ne surtout pas visiter des espaces associés à l'homosexualité.

"Dans la prochaine décennie, on aura des relations sexuelles avec des hologrammes"

Il y aurait donc un décalage entre les évolutions sociétales et la conscience de chacun…
Alain Héril : 
Ce qui bouge, c'est le discours sur l'homosexualité. Nous sommes dans une société où l'on parle beaucoup plus de sexualité, mais la réalité et l'intimité des couples n'est pas forcément en lien avec ce discours sociétal. Ce n'est pas parce que l'on parle davantage de sexualité que dans l'intimité, elle est plus heureuse. Les cabinets de sexologie et sexothérapie n'ont jamais été aussi florissants, avec de plus en plus de difficultés dans le désir au sein du couple. Il y a une dichotomie entre ce que l'on dit et ce que l'on vit... à tel point qu'à l'heure actuelle, une grande partie des 16-25 ans ne s'intéresse plus à la sexualité. Ce sont de très récentes études, les raisons de ce désintérêt restent donc floues et sont bien sûr très variables, mais derrière cela, il y a une peur par rapport à la sexualité et par rapport au monde dans lequel on est. 

Avec la facilité d'accès aux films X, l'image sexuelle deviendrait-elle banale ? Perdrait-elle de son "charme", de son mystère ? 
Alain Héril : 
L'un des problèmes à l'heure actuelle est que la plupart des gens ne regardent pas des films pornographiques, mais des vignettes pornographiques. La différence est notable. Aujourd'hui, vous pouvez passer deux jours devant YouPorn à regarder des éjaculations faciales dans des petites vignettes de 4 ou 8 minutes qui, au niveau cognitif, créent un effet hypnotique. Lorsque l'on essaye de reproduire cela dans la réalité, on s'aperçoit qu'elle n'a pas la même valeur émotionnelle que ce qui se passe devant l'écran. Conclusion : on se dit qu'il vaut mieux retourner devant l'écran… La "démocratisation" du porno n'a pas forcément entraîné une plus grande libération sexuelle. 

La surconsommation de pornographie pourrait aussi rendre l'excitation plus difficile…
Alain Héril : 
Exactement, la réalité devient pauvre. À l'heure actuelle, on en est encore aux images pornographiques, mais dans la prochaine décennie, il y aura de plus en plus de sexualité virtuelle, des relations sexuelles avec des robots, des relations sexuelles connectées, avec des hologrammes… 

D'aucuns disent que la pornographie serait davantage consommée par les hommes, qui sont plus "visuels" que les femmes… Un autre cliché à abattre ? 
Alain Héril : 
Oui, les femmes sont aussi "visuelles" que les hommes, mais pendant très longtemps, la pornographie n'était diffusée qu'auprès de la gent masculine. Elle est née pour être diffusée dans les bordels et exciter ceux qui s'y rendaient, à la fin du XIXe siècle. Aujourd'hui, il y a de plus en plus de films pornographiques destinés à un public féminin. La seule différence notable est que la sexualité féminine est plus émotionnelle. On se rend d'ailleurs compte que beaucoup de femmes consomment du porno lesbien, alors que la plupart ne s'identifient pas comme lesbiennes : les femmes aiment beaucoup regarder des images de deux ou plusieurs femmes entre elles. Elles ne recherchent pas forcément à voir des Rocco Siffredi avec des membres énormes. Les formes d'images sexuelles que les femmes recherchent beaucoup sont les massages de deux femmes entre elles qui se terminent par un rapport sexuel, car l'émotion est différente, beaucoup plus longue et profonde. Elles ne recherchent pas forcément ce que l'on appelle une émotion d'impact. On sait d'ailleurs que lorsqu'une femme regarde une vignette pornographique, elle reste en général 10 à 12 minutes, contre 4 minutes pour les hommes.

"Le pic de sexualité chez un homme est à 50 ans"

Y-a-t-il une fréquence de rapports sexuels idéale au sein d'un couple ?
Alain Héril : 
L'importance n'est pas la quantité, mais la qualité du rapport. Ce n'est pas parce que vous n'avez pas fait l'amour depuis deux semaines que votre couple ne va pas bien, il faut prendre en compte certains paramètres comme le stress, la situation familiale, la vie professionnelle… Pour jauger ce désir, je pose une question simple : lorsque vous rentrez le soir, êtes-vous heureux de retrouver votre compagnon ou compagne ? La sexualité n'est pas le seul baromètre de la bonne santé d'un couple. Certains couples font l'amour tous les jours et sont dans un rapport "mécanique" où l'on considère l'autre comme un objet pour éprouver du plaisir. 

Les hommes sont-ils moins friands des sex-toys que les femmes ? 
Alain Héril : 
Ils sont moins friands des sex-toys pour eux-mêmes. Les sex-toys les plus vendus sont effectivement ceux destinés aux femmes, mais depuis 5 ans, de plus en plus de couples achètent des sex-toys pour l'utiliser au cours du rapport, comme un espèce de troisième partenaire. 

La libido baisse-t-elle inévitablement chez l'homme de plus de 60 ans ? 
Alain Héril : 
Le pic de sexualité chez un homme est à 50 ans, c'est là qu'il est dans sa puissance sexuelle, puis le taux de testostérone baisse de manière relativement forte, naturellement après 65-70 ans. Ce que l'on sait depuis peu de temps, c'est qu'il y a un "capital testostérone" chez chaque homme. Ils ne sont pas tous égaux à ce niveau. Je peux, par exemple, naître avec un capital testostérone de 10 qui va baisser à 7 avec l'âge, alors qu'un autre homme peut naître avec un capital testostérone de 7 qui va ensuite descendre à 4. Le taux de testostérone ne baisse pas de la même manière et à la même vitesse chez tout le monde. Par ailleurs, on vieillit sexuellement en fonction de comment l'on a vécu sexuellement. Si vous avez été très actif sexuellement, même si votre testostérone baisse, votre désir restera plutôt fort et votre fréquence de rapports sexuels demeurera plutôt élevée.