Slacktivisme : cliquez ici pour sauver le monde

A l'heure des réseaux sociaux, le cybermilitantisme, ou "slacktivisme" fait rage. Alors, activisme engagé ou narcissisme non assumé ?

"Slacktivisme. Nom masculin. Fusion des mots slacker : paresseux, fainéant et activisme. Le Slacktivisme est le fait de supporter une action ou une cause en fournissant un minimum d'efforts."
Voilà la définition du  terme "slacktivisme" donnée par le Dictionnaire Urbain (qui se base sur le même modèle que le très célèbre "Urban Dictionary", pour anglophones apprentis, voire confirmés). Pétitions virtuelles, "likes" sur Facebook, hashtag Twitter... Tous les moyens sont bons pour faire partie du mouvement. Le slacktivisme est à la portée de tous et c'est ce qui en fait sa force. Son défaut aussi.
Nous avons tous un jour fait partie d'un "buzz".  
On s'indigne, on partage, on oublie. Vous souvenez-vous de la campagne Kony2012 ? Et plus récemment, du hashtag #BringBackOurGirls ? Ou encore du petit dernier en date, le "Ice Bucket Challenge" ?
Les paris sont ouverts : d'ici un mois (si ce n'est moins), ces douches glacées ne seront plus qu'un lointain souvenir, oublié dans les méandres de la Toile. Et pour cause, le slacktivisme, c'est l'action éphémère.

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George W. Bush participe au Ice Bucket Challenge © Capture d'écran Youtube

Pourquoi le slacktivisme remporte-t-il autant de succès ? Sans doute grâce à la simplicité du message. Aujourd'hui, dans le gouffre sans fin que représentent les réseaux sociaux, il faut aller droit au but pour être entendu. Quoi de mieux alors qu'un hashtag percutant ou qu'une explication en 140 caractères ? Malheureusement, les causes que nous soutenons grâce à notre clic magique ne sont souvent que de passage dans notre esprit engagé. 
Pourquoi nous lassons-nous si vite ? Début août, Frank Ochberg, psychiatre à l'Université d'Etat du Michigan et président honoraire du Dart Center for Journalism and Trauma au sein de l'Ecole de journalisme de Columbia expliquait à Slate : "Il ne faut pas simplement satisfaire notre curiosité ; il nous en faut davantage (...). Si nous sommes scandalisés, si nous ressentons de la pitié ou de la compassion, ce n'est pas suffisant. Il faut, qu'étape après étape, nous nous plongions dans des scénarios de vie, que notre attention soit constamment stimulée, il faut avoir l'impression qu'un dénouement significatif est en vue." Soraya Chemaly, militante et écrivain féministe, justifiait pour sa part au magazine que garder ces vérités douloureuses à distance "permet aux gens de croire qu'ils sont immunisés contre de tels risques, que leurs comportements, leurs traditions, leurs systèmes de croyance sont extérieurs au mal."
Ainsi sommes nous condamnés, après un "grand déferlement d'émotion", à oublier. Avant de nous tourner vers une énième cause à soutenir, face à l'absence de rebondissements apportés par la première.
Et une fois de plus, l'attention internationale se détournera.

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Campagne de communication Kony 2012 © Capture d'écran Youtube

Le slacktivisme est un militantisme 2.0 qui s'est développé avec l'avènement des réseaux sociaux. On clique en pensant sauver des vies sans pour autant s'engager de manière plus active et concrète.
Certains voient là un moyen de mobilisation de masse, un moyen de faire connaître un sujet (combien connaissaient la maladie de Charcot avant le Ice Bucket Challenge ?), mais aussi de sensibiliser et de générer de l'action, quelle qu'en soit la forme (dons, signatures de pétitions).
D'autres en revanche ne perçoivent qu'un militantisme virtuel de canapé visant davantage à nous donner bonne conscience qu'à les éveiller, les consciences. 

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Gwyneth Paltrow poste sa "no makeup selfie" © Instagram

Quand slacktivisme rime avec narcissisme... Le premier militant de ces opérations, c'est l'internaute. Ses partages lui permettent de valoriser son image sur les réseaux sociaux. "Vous voyez, je m'engage pour des bonnes causes, j'ai des valeurs, je lutte contre la guerre, le racisme, le cancer. Regardez, je suis quelqu'un de bien", peut-on presque lire entre les lignes.
Sauf que sur le Web, cette mobilisation (virtuelle, donc) se doit d'être liée à des actions et des engagements concrets. Aujourd'hui, les écolières nigérianes demeurent introuvables et Boko Haram continue de semer la terreur.
Un jour, nous changerons le monde grâce aux réseaux sociaux... Mais peut-être pas demain, il nous reste avant ça à partager nos photos de vacances...