Jérôme Kerviel, du spéculateur pourri à l'icône pieuse

Symbole des dérives du monde de la finance, Jérôme Kerviel porte sur ses frêles épaules bureaucratiques, tout le poids de la culpabilité. Considéré comme seul responsable des falsifications qui ont coûté près de 5 milliards d'euros à la Société Générale, l'ex-trader a été condamné à cinq ans de prison ferme. Interpellé à minuit, il saura ce midi où il va purger sa peine. Alors Kerviel, victime du système, héros moderne ou escroc mégalo ?

C'est cette nuit que le pèlerin Jérôme Kerviel a été approché par deux policiers en civil. Il n'a opposé aucune résistance, comme il l'avait annoncé en quittant son hôtel de Vintimille, souriant, sac au dos et tenue de randonneur, avant de faire un bref passage par une église puis de s'attabler longuement à une pizzeria avec une dizaine de proches.

Le parcours du corrompu repenti, marchant sur les routes d'Italie à la rencontre de la richesse humaine, a suscité une véritable admiration, notamment chez les hommes de Dieu, touchés par sa transfiguration. L'ex-banquier avait entamé sa longue marche depuis Rome le 5 mars après une rencontre avec le pape François.
Conseillé par une douzaine de stratèges de son comité de soutien, Kerviel a martelé son innocence devant tous les médias français, pointant un doigt accusateur sur les "dysfonctionnements judiciaires" du dossier.
Passé de l'état de vil courtier à celui de pourfendeur du système bancaire, il s'est offert une tribune inespérée, avec une opération médiatique superbement orchestrée. Mais Florian Silnicki, expert en communication de crise, dresse un bilan négatif de ce déploiement "trop mis en scène pour être efficace" et fustige "un manque de transparence". L'appel lancé au Président, pour qu'il accorde une "immunité" aux témoins est selon lui une erreur car François Hollande "a été échaudé par l'affaire Leonarda". L'Elysée a ainsi simplement répondu que la demande de "grâce serait examinée selon la procédure habituelle". Selon une source gouvernementale, l'exécutif n'a pas l'intention de "tomber dans le piège". Dimanche soir, le ministre des Finances Michel Sapin a même affirmé que Kerviel était "?un escroc? qui devait purger sa peine".

Portrait d'un condamné

 Jugé seul responsable de l'une des plus grandes fraudes de l'histoire, poursuivi pour abus de confiance, faux et usage de faux, Jérôme Kerviel est accusé d'avoir pris à l'insu de sa hiérarchie des positions spéculatives de dizaines de milliards d'euros sur des marchés à risque et d'avoir déjoué les contrôles avec des opérations fictives et des mensonges. Selon lui, ses supérieurs connaissaient ses agissements à risque et ont fermé les yeux.

Jérôme Kerviel fascine et interpelle

 "Roi de la malversation, pirate informatique et manipulateur", selon la Société Générale, Jérôme Kerviel dit avoir été entraîné "dans une spirale" en cherchant à gagner la reconnaissance de ses pairs. Se décrivant "comme un hamster dans sa roue" et affirmant n'avoir eu pour objectif que de faire gagner de l'argent à la banque, ce Breton aux yeux azur apparaissait pourtant comme un citoyen au-dessus de tout soupçon.
Ce jeune homme comme les autres naît à Pont L'Abbé, en Bretagne, le 11 janvier 1977, d'un père artisan forgeron et d'une mère coiffeuse, qui reçoit ses clientes au "Monde Imagin'hair". Une famille de la classe moyenne de province, en somme, dont les deux fils vont se prendre de passion pour la bourse. Mais c'est par la petite porte que Jérôme Kerviel, le cadet, entre à la SocGen en 2000. Il n'a pas "fait" Dauphine ou Polytechnique. Les bénéfices qu'il réalise sont comme une revanche contre le manque de considération.

Pas un golden boy allumé

 Selon ses proches, Jérôme Kerviel a "des goûts simples et ne mène pas grand train". Ses nuits ne déraillent pas entre lignes de coke et rencontres d'un soir en discothèque. Le loyer de son appartement de Neuilly est de 1 200 euros et son patrimoine s'élève à 11 400 euros au moment de sa mise en examen fin janvier 2008.
Comme le confie l'une de ses ex-petites amies dans l'ouvrage Le Joueur: Jérôme Kerviel Seul Contre Tous, ce geek ne sort pas beaucoup, plus fidèle au vidéo-club du quartier, qu'aux salles de poker fréquentées par certains de ses confrères. Et lorsqu'il joue, c'est plutôt au billard avec son pote Manuel, qui sera d'ailleurs placé un moment en garde à vue... Tout juste, Jérôme Kerviel aime-t-il dîner dans un petit resto de poissons, près de chez lui, où un plateau de fruits de mer lui rappelle de temps à autre sa terre natale.
Passionné de voile et de judo, il n'a que peu de temps à consacrer à ces hobbies. Il arrive tôt à son bureau de La Défense et n'en repart souvent qu'après la nuit tombée. Le garçon que ses collègues décrivent comme "sérieux", voire "taciturne", fume cigarette sur cigarette et ne prend quasiment jamais de vacances. 

Star déchue des marchés, idole paradoxale, ce col blanc discret suscite des réactions ambivalentes. Voilà un mec venu de rien qui a réussi à amasser des sommes colossales au nez et à la barbe de ses boss... Sans emploi, incarcéré, condamné à verser 4 ,9 milliards de dommages et intérêts, Jérôme Kerviel est-il, selon vous, un pauvre gars ou un odieux malfrat ?

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Jérôme Kerviel, du spéculateur pourri à l'icône pieuse © SIPA