"L'Origine du monde" : le visage de la discorde

Le sexe monte à la tête : "L'Origine du Monde" de Courbet a enfin un visage. Un passionné d'art aurait retrouvé la partie supérieure du plus sulfureux tableau de l'histoire.

En "exclusivité mondiale", l'hebdomadaire Paris-Match a présenté jeudi une enquête susceptible selon lui de provoquer une "révolution" dans le monde de la peinture.

L'œuvre aurait été retrouvé par hasard en janvier 2010 par un amateur d'art, "John", chez un antiquaire parisien. Ce jour-là, le collectionneur, qui souhaite garder l'anonymat, tombe sous le charme de cette huile sur toile (33 cm sur 41 cm) représentant la tête renversée d'une femme brune qui semble s'abandonner au plaisir. Il la négocie 1 400 euros.
Il multiplie les recherches et se persuade que cette tête est celle du modèle de "L'Origine du monde", toile scandaleuse achetée à Courbet par le diplomate turc Khalil-Bey qui la tenait cachée derrière un rideau vert dans un cabinet de toilette. Par la suite elle a appartenu au psychanalyste Jacques Lacan, revenant par dation en 1995 au Musée d'Orsay.
L'amateur éclairé et heureux propriétaire (l'oeuvre vaudrait 40 millions grâce à ces révélations) se tourne alors vers Jean-Jacques Fernier. Après des analyses en laboratoire, l'auteur du catalogue raisonné de Gustave Courbet (1819-1877), pense que le puissant tableau peint en 1866 a été découpé dans un nu plus large représentant une femme étendant les bras. Il suppose que la femme représentée est Jo Hifferman, maîtresse irlandaise de l'artiste James Whistler et qui a eu une aventure avec Courbet.

Une hypothèse froidement accueillie par les professionnels de l'art. Interrogé par l'AFP, le musée d'Orsay n'a pas souhaité commenter, soulignant que les conservateurs du musée avaient "un devoir de réserve s'agissant d'oeuvres en mains privées".
Frédérique Thomas-Morin, conservatrice du Musée Courbet à Ornans (Doubs), ville natale du peintre, a affiché son scepticisme: "L'Origine du monde a toujours été décrite par les critiques de l'époque de Courbet comme une femme sans tête, ni jambes". "Courbet a fait plusieurs portraits connus de Jo Hifferman, qui était rousse, et je trouve qu'il y a peu de ressemblance avec le visage de la brune du tableau de Paris-Match", explique-t-elle.
Hubert Duchemin, spécialiste en tableaux à Paris, se dit "effrayé par l'ampleur prise par cette affaire. "Les deux tableaux ne viennent pas du même pinceau", assure-t-il. "Il y a chez Courbet une sauvagerie, un travail avec des brosses larges. Ici le visage de la femme est réalisé de façon plus fine, plus méticuleuse, plus académique. C'est un travail de belle qualité, contemporain de Courbet mais ce n'est pas un Courbet", affirme-t-il.
Une autre spécialiste ajoute que ce n'était pas dans la pratique du peintre de couper des tableaux, contrairement à Manet.

Alors, de l'art ou du cochon ? Les experts font grise mine.

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"L'Origine du monde", de Gustave Courbet © Photo RMN / Hervé Lewandowski