La double peine des "femmes-mulets", entre le Maroc et Ceuta

Pour les "femmes-mulets" qui portaient des dizaines de kilos de marchandises de contrebande entre la péninsule espagnole de Ceuta et le Maroc, la fermeture de la frontière signe la fin de leurs fardeaux, mais aussi de leurs revenus. Les deux régions de chaque côté de la frontière sont désormais des déserts économiques.

La double peine des "femmes-mulets", entre le Maroc et Ceuta
©  Hakan Can Yalcin

Sur décision du Maroc, le poste-frontière pour porteurs entre la péninsule espagnole de Ceuta et la ville marocaine de Fnideq a fermé il y a quatre mois. Une décision qui a plongé la région entière dans un gouffre économique, faisant fuir commerçants et clients. Celles qui en pâtissent le plus, ce sont les "femmes-mulets", ces travailleuses qui traversaient la frontière avec des dizaines de kilos de marchandise de contrebande sur leur dos. Début janvier, un rapport parlementaire avait été présenté à Rabat pour dénoncer les conditions de travail "épouvantables" des "porteuses de marchandises".

Les "femmes-mulets", privées de revenus

Pour ces porteurs et porteuses payées par des commerçants marocains, l'arrêt des échanges est catastrophique. Fatima, une quinquagénaire marocaine, déplore l'interruption de ses livraisons, qui lui permettait de faire vivre sa famille. Elle relate au Nouvel Obs : "Ils veulent faire de nous des mendiants ! (...) Avant les affaires marchaient bien". A présent, "il n'y a plus de travail ici". Si les femmes-mulets "exploitées par des mafias de la contrebande" sont désormais déchargées de leurs fardeaux, elles n'ont plus aucune alternative pour subvenir à leurs besoins.

Les villes de Fnideq et Ceuta au ralenti

Les commerces qui réceptionnaient et vendaient les vêtements, produits alimentaires et ménagers de contre-bande subissent également l'arrêt des traversées. Les villes de Fnideq et Ceuta, auparavant très animées, tournent au ralenti. "L'impact est énorme" pour Abdellah Haudour, un commerçant marocain de couvertures espagnoles : "Les prix ont augmenté, le pouvoir d'achat a baissé. Il n'y a plus de clients" déclare-t-il. Depuis l'interruption des passages transfrontaliers, commerçants comme porteurs attendent une solution de reconversion, selon les témoignages recueillis par l'AFP.

La contrebande difficile à remplacer

Pour les autorités marocaines, la fermeture de cette frontière est un moyen d'endiguer le commerce informel. Nabyl Lakhdar,  le directeur général des douanes a déclaré au quotidien L'Économiste que les produits de contrebande faisaient "du mal à l'économie". Il ajoute que les porteurs étaient "les premières victimes de la contrebande", "certains mafieux profitant de leur précarité et parfois de leur détresse"; rapporte le Nouvel Obs. Pour relancer l'activité économique de ces zones transfrontalières, un rapport parlementaire marocain préconisait, en début d'année, de créer une zone industrielle pour permettre la reconversion des porteurs. Une réponse inadaptée selon Abdellah Haudour : "Qui va employer des femmes-mulets quinquagénaires et analphabètes ?", fait-il remarquer.

La contrebande entre Ceuta et Fnideq représentait annuellement entre six et huit milliards de dirhams (soit entre 570 et 750 millions d'euros) selon les estimations du chef de la douane au site Médias 24.