Violences gynécologiques : "J'étais un vagin sur pattes avorté d'un œuf clair"

L'année dernière, Coralie, 30 ans, est tombée enceinte. Malheureusement, il s'agissait d'un œuf clair. Son avortement s'est transformé en parcours du combattant : la jeune femme a subi des violences gynécologiques qui entravent aujourd'hui son processus de deuil.

Violences gynécologiques : "J'étais un vagin sur pattes avorté d'un œuf clair"
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Les violences gynécologiques ne s'expriment pas seulement lors d'une simple consultation, pendant la grossesse ou l'accouchement. Coralie en a fait les frais lorsqu'elle a avorté. C'était une grossesse désirée, malheureusement la jeune femme découvre qu'il s'agit d'un œuf clair. Entre certaines remarques déplacées et autres comportements intrusifs, Coralie s'est sentie maltraitée, incomprise. Elle n'était qu'un corps, qu'un "vagin sur pattes". Un calvaire qui a duré deux mois et demi. Aujourd'hui, elle sort du silence et ose enfin en parler. Longtemps, elle a gardé cette histoire pour elle, en elle, parce qu'elle culpabilisait. Elle pensait être responsable de cet œuf clair parce qu'elle n'a reçu que trop peu d'explications. Nous avons eu l'occasion d'en discuter avec elle. Un instant riche en émotions face à des mots qu'elle pose enfin.

"Vous voyez, il n'y a rien, vous avez dû faire un œuf clair. Etant donné votre situation, c'est mieux comme ça"

Il y a maintenant un peu plus d'un an, j'ai appris que j'étais enceinte de trois semaines. Une grossesse qui n'était pas prévue… mais désirée. C'était l'été, je devais partir en vacances la semaine suivante. Mon médecin traitant m'a conseillé de ne rien annuler, de profiter. Il m'a quand même demandé de prendre un rendez-vous pour la première échographie du troisième mois de grossesse. L'été est passé vite, parce que c'est bien connu, ça passe toujours plus vite que le mois de janvier. Mais en même temps, il m'a paru long : j'avais hâte de voir cette petite chose qui grandissait en moi. C'était une bonne nouvelle, le début d'une belle histoire.

Le jour de l'échographie est arrivé. Je m'y suis rendue seule, le papa n'étant pas informé de la grossesse puisque je n'étais pas certaine de son identité. J'attendais la datation exacte pour le lui dire. Avant l'examen, l'échographe m'a posé plusieurs questions dont certaines sur le père. J'ai été honnête, je lui ai répondu que je ne savais pas de qui il s'agissait.

Et puis à l'heure du grand moment, à l'heure de découvrir "ce petit haricot", c'est l'écran noir. En même temps, je ne sais pas ce que je suis censée voir. Un silence s'installe. Le médecin finit par le briser : "Vous voyez, il n'y a rien, vous avez dû faire un œuf clair. Etant donné votre situation, c'est mieux comme ça".

"J'ai beaucoup culpabilisé, j'ai pensé que j'étais responsable de cet œuf clair"

Je suis restée sans voix, je ne comprenais pas. J'avais les symptômes d'une grossesse, même si aujourd'hui, je réalise que oui, je me sentais "bizarre". Sur le coup, j'ai voulu me défendre, lui faire dire le contraire, annuler sa mauvaise nouvelle. J'ai dit qu'il était peut-être trop tôt pour voir quelque chose, que je n'étais qu'à deux mois et demi. Il m'a répondu que non, qu'il n'y avait pas de bébé. C'était ferme. Il m'a redit que "c'était mieux comme ça" et qu'il fallait que je consulte mon médecin pour la suite des évènements, à savoir l'avortement. Et voilà, ça s'est arrêté là. Sur le moment, je n'ai pas fait attention à son double "c'est mieux comme ça", je n'avais en tête que le "il n'y a pas de bébé". Aujourd'hui, je comprends combien ses mots étaient déplacés, incorrects. Si j'accepte mieux mon histoire, je ne digère pas ses propos. Je suis marquée. Comme si je l'avais bien mérité, comme si je m'étais portée malheur. C'est indécent, inconcevable.

Effondrée, je suis rentrée chez moi, j'ai appelé mon médecin qui n'était pas là. J'ai pris rendez-vous sept jours plus tard. Sa collègue m'a dit que ça pouvait attendre sauf si je perdais du sang, auquel cas il me faudrait aller aux urgences.

Je ne cessais de me questionner. Je ne savais pas ce qu'était un œuf clair et l'échographe ne m'avait fourni aucune explication. Je me suis demandé si j'avais fait quelque chose qu'il ne fallait pas faire. Quelque chose de mal. Peut-être n'aurais-je pas dû partir en vacances ? Peut-être n'aurais-je pas dû faire l'amour, car oui, j'ai eu un rapport sexuel durant l'été ? Voilà, peut-être que j'aurais dû rester allongée, sagement, à enquêter sur l'identité du père… J'ironise, mais j'ai beaucoup culpabilisé. J'ai pensé que j'étais responsable de cet œuf "pas net". C'est mon médecin qui m'a tout expliqué, quand enfin je l'ai vue. Elle m'a aussi indiqué qu'il allait falloir l'évacuer et filer de ce pas aux urgences gynécologiques. A ce stade, je ne savais pas encore que j'étais à l'aube d'une épreuve de deux mois et demie.

"J'ai fini par m'endormir, avant d'être réveillée par une horrible douleur et surtout plein de sang dans mon lit"

Aux urgences, j'ai été reçue par une interne adorable. Elle m'a questionnée sur le papa et n'a émis aucun jugement. Elle a ensuite posé des mots sur ce qu'elle s'apprêtait à faire : auscultation, échographie, diagnostic. Selon elle, pas d'erreur, pas de bébé. Il faut prendre un médicament pour évacuer l'œuf et revenir dans 48h pour vérifier. Elle me fait l'ordonnance, me demande si je souhaite être arrêtée le lendemain. Je refuse car je commence un nouvel emploi.

Heureusement, ma mère est restée dormir chez moi pour la nuit. Quelques heures après avoir pris le médicament, j'ai commencé à avoir des douleurs. J'ai fini par m'endormir. Avant d'être réveillée par une horrible douleur et surtout plein de sang dans mon lit. J'ai tout juste eu le temps d'aller dans la douche que j'ai senti quelque chose sortir de moi.

Quel choc ! Je ne m'attendais pas du tout à ça. A quoi je m'attendais, je n'en sais rien, mais en tout cas pas à ça. Une vision terrible.

Crevée, épuisée, je suis partie travailler. Heureusement pour moi, les règles ne sont pas taboues, du coup, j'ai expliqué que j'avais des règles hémorragiques et que je devais me rendre régulièrement aux toilettes. Tout au long de la journée, j'ai continué à perdre des morceaux de cet œuf, à les sentir quitter mon corps. Des sensations encore intactes aujourd'hui, juste d'y repenser.

"Je suis contractée, je lui dis que ça fait mal, elle me répond que bon, ça va, ce n'est qu'un toucher vaginal"

De retour aux urgences pour le contrôle, un nouvel interne me demande de lui raconter mon histoire. Nouvelles larmes. Il n'hésite pas à dénigrer sa collègue devant moi : "Elle aurait dû vous arrêter, vous n'auriez pas dû prendre le médicament pendant la nuit". Il avait certainement raison mais j'étais bien trop à bout de forces pour écouter ce petit règlement de compte. Puis il m'a invitée à me déshabiller pour faire une échographie pelvienne. C'est quoi ? Ça va faire mal ? Je n'ai pas posé la question, je me sentais trop à côté de moi-même. Mais ça s'est bien passé. Néanmoins, tout n'était pas parti. L'œuf était "trop bien" accroché, il parait que c'est fréquent, mais je l'ai su plus tard. On ne m'a rien dit, juste de reprendre le médicament et revenir une semaine plus tard.

De retour à l'hôpital, j'ai été contente de retrouver la première interne. Au moins, je n'ai pas eu à répéter mon histoire. Nouvelle échographie pelvienne. Mais elle ne voit rien. Elle me demande d'attendre, elle part chercher quelqu'un. Là, une femme entre dans la pièce, ne se présente pas, enfile des gants et sans rien dire - et sans aucune douceur - me fait un toucher vaginal. Je suis contractée, je lui dis que ça fait mal, elle me répond que "oh ça va, ce n'est rien, ce n'est qu'un toucher vaginal. Si vous aviez été enceinte, le bébé aurait dû sortir". Je suis sur le cul, je ne réponds rien, je retiens mes larmes. Je ne peux pas dire que je me suis sentie violée, mais clairement je me suis sentie brutalisée. Elle m'interdisait de réagir, d'exister, d'être quelqu'un au-delà d'un corps. Elle me fait une échographie pelvienne et me dit "qu'il y en a encore". Elle s'en va.

"Il a fallu attendre un mois pour qu'on me propose un suivi psychologique"

L'interne s'est excusé. Il a bien vu que ça n'allait pas.  Il décide d'appeler la chef pour convenir de la suite. Une nouvelle personne arrive, me demande de me rhabiller, on retourne dans la salle d'examen. Cette fois, elle m'explique tout ce qu'il va se passer. On réessaie une dernière fois le médicament mais cette fois en dose plus importante. Je dois revenir dans deux semaines pour faire le point. L'interne – la toute première - me demande si je souhaite voir une psychologue pour parler de ce que je vis. Je ne m'en sens pas la force donc je décline. Aujourd'hui, je sais que j'aurais dû et c'est assez aberrant qu'il ait fallu attendre près d'un mois pour qu'on me propose un suivi psychologique.

Lors de mon nouveau rendez-vous, c'est un nouvel interne qui me reçoit. Il me met à l'aise très rapidement, en me disant qu'il a lu mon dossier et qu'il comprend que ce soit difficile, d'autant que ça fait deux mois... Pendant l'écho, il m'explique chacun de ses gestes, m'explique ce qu'il voit sur l'écran… Pour lui c'est fini, il ne reste plus rien mais comme j'ai toujours des pertes de sang, il aimerait, si je suis d'accord, qu'on prenne un rendez-vous dans un cabinet spécialisé, où il travaille en parallèle. Il peut me suivre si je le souhaite. Tellement soulagée, j'accepte. Il me prescrit une prise de sang pour vérifier mon taux d'hormones de grossesse. Si c'est positif, il faut revenir aux urgences. Heureusement pour moi, c'était négatif.

Lors de ce dernier rendez-vous, il m'explique que tout va bien. J'ai même ovulé et je vais bientôt avoir mes règles.

"En deux mois et demi, j'ai vu cinq gynécologues différents dans un même lieu. J'avais le sentiment d'être un vagin sur pattes !"

La seule violence gynécologique que je pensais avoir subie, c'était lorsque  "la femme" m'a auscultée sans rien demander. Je me rends compte aujourd'hui que cette violence a commencé dès le début. Comment un médecin peut-il juger une femme parce qu'elle ne connaît pas l'identité du père de l'enfant ? Comment peut-on lui dire que c'est mieux qu'elle ne soit pas vraiment enceinte ? Pourquoi est-ce que j'ai dû attendre si longtemps pour qu'on m'explique ce qu'était un œuf clair ? En deux mois et demi, j'ai vu cinq gynécologues différents dans un même lieu. J'avais le sentiment d'être un vagin sur pattes ! Le pire, c'est que sur cinq personnes, seules deux m'ont vraiment expliqué ce qu'ils allaient me faire ! Et heureusement qu'elles étaient là. Je n'en veux pas au corps médical dans son ensemble. Je trouve qu'on est très bien accompagné. Mais parfois, on tombe sur les mauvaises personnes, celles qui oublient que derrière un corps, il y a un humain, une souffrance.

Je pense que le suivi psy proposé m'aurait aidée à faire mon deuil, d'autant plus difficile à entreprendre étant donné les "presque trois mois" terriblement difficiles à traverser. Je commence seulement à en parler, à pouvoir dire que j'ai été enceinte. J'y pense encore aujourd'hui, c'est très présent. Je crois que j'ai besoin de consulter, je me sens prête, j'ai besoin de ce travail.