"Lubrifiant social", sexisme, femmes humoristes... interview de Sandra Colombo et Marie Guibourt pour Faites l'humour dès le premier soir (exclu)
Entre humour et amour, la ligne est fine, c'est du moins ce que Sandra Colombo et Marie Guibourt expliquent dans "Faites l'humour dès le premier soir". Découvrez les femmes derrière ce livre et tous leurs conseils pour faire l'humour au quotidien.
Sandra Colombo et Marie Guibourt sont les auteures de Faites l'humour dès le premier soir. Humour sexiste, comment se lancer... Elles ont accepté de parler au Journal des Femmes de l'humour au quotidien, ce "merveilleux lubrifiant social", comme elles l'appellent dans leur ouvrage.
Le Journal des Femmes. Qu'est-ce qui vous a motivé à écrire un manuel sur l'humour ?
Sandra Colombo : J'en ai marre des gens qui sont premier degré, notamment sur les réseaux sociaux. Et que je me suis dit : "L'humour c'est comme l'eau, c'est un bien commun. Il faut le protéger". Qu'il faut réexpliquer, réapprendre des choses un peu basiques qu'on a perdues de vue. Pourquoi parfois l'humour ça fait du bien et pourquoi parfois l'humour ça fait du mal.
Marie Guibourt : Oui, c'est de se dire : "Aider les gens à trier les bons grains du vrai". Effectivement pourquoi ça fait du bien à un certain moment, pourquoi ça fait du mal à d'autres. On ne peut pas jeter l'humour en disant : "Ah, l'humour c'est pas bien, c'est nocif, c'est de la domination, etc". Non, pas forcément, c'est juste mieux quand ça ne l'est pas.
Pourquoi cette idée de traiter l'humour comme un manuel sexo ?
M.G. : On a commencé à filer la métaphore parce qu'on trouvait la formule rigolote "faire l'humour dès le premier soir". C'était une espèce d'exhortation à se lancer, du genre : "Allez-y ! Lancez-vous !". Et en filant la métaphore entre amour et humour, on s'est rendu compte que c'était plus qu'une blague, ça fonctionnait assez bien. L'humour, c'est très affinitaire, c'est une vraie intimité. C'est ce qu'on dit dans le bouquin : l'humour c'est deux cerveaux qui se font l'amour. Ça passe par une phase d'approche, de consentement, une phase où on se jauge. Parfois, on se rencontre, c'est le coup de foudre humoristique au premier regard, parfois ça ne l'est pas. C'est une telle connivence que ça se rapproche quand même beaucoup de l'amour.
Nicole Ferroni, Claudia Tagbo, Manu Payet... Vous avez des humoristes intervenants dans l'ouvrage, comment les avez-vous choisis ?
M.G. : Ils nous ont payé. (rires) On leur a donné énormément de pognon.
S.C. : Ils auraient adoré. (rires)
M.G. : Premièrement, on les a choisis parce qu'on les aime, on les admire. Parce qu'on les trouve généreux et on savait qu'ils se prêteraient au jeu. Qu'ils auraient la capacité à regarder et parler de l'humour au quotidien tout en gardant leurs lunettes de professionnels. On avait aussi envie d'offrir des différences de points de vue et d'approches. Entre des gens qui font de l'humour à la télé, ceux qui le font sur scène, au cinéma, sous la forme de dessins humoristiques, ceux qui écrivent…
Selon vous, quelle est la raison pour laquelle les lecteurs doivent se tourner vers votre livre plutôt qu'un livre sur les blagues ?
S.C. : Parce qu'on n'apprend pas du tout à faire des blagues. Et que les livres pour apprendre à faire des blagues, ils sont chiants.
M.G. : Ou pitoyables. (rires)
S.C. : Ils ne sont pas drôles. On en a lu beaucoup. La difficulté de parler d'humour, c'est qu'en général, quand on commence à en parler, ça arrête d'être drôle. Faire rire, c'est quand même sérieux. C'est tellement sérieux que c'est notre métier. Quand on essaye d'en parler de manière plus légère, c'est compliqué. Je pense, en toute modestie, bien sûr, qu'on a réussi un parfait amalgame de l'autorité et du charme.
Pensez vous que l'humour est très différent quand il vient d'un homme ou d'une femme ?
S.C. : Totalement. D'ailleurs, on l'explique aussi dans le livre. L'humour, c'est quelque chose de très genré. C'est quelque chose d'affinitaire et de sociétal. Par exemple, on ne fait pas rire des Japonais comme on fait rire des Allemands ou des Français. L'humour, c'est le reflet de de notre éducation. Encore aujourd'hui, les garçons et les filles ne sont pas éduqués de la même façon. Les petits garçons prennent souvent plus de place dans l'espace, dans le rire, on les autorise plus à faire des bêtises, à prendre des risques. Alors que les petites filles, on leur demande encore d'être sages, d'être jolies, d'être des princesses...
M.G. : D'être discrètes !
S.C. : D'être discrètes. Et ce n'est pas des choses qui vont forcément avec expérimenter l'humour et sa capacité à être drôle. Et ça se retrouve encore bien plus tard. Malheureusement, l'humour est encore très genré.
Pensez-vous que les femmes sont bien représentées dans l'humour professionnel aujourd'hui ?
S.C. : Alors ce n'est pas du tout le sujet du livre. Mais non, c'est clair. Par exemple, il y a un exercice assez simple à faire, vous pouvez citer dix humoristes hommes. En revanche, vous allez galérer un peu plus pour me citer dix humoristes femmes. Les plateaux d'humour sont assez souvent majoritairement masculins. Il y a encore cette croyance qu'il n'y a pas de femmes qui font de l'humour. On est finalement peu représenté. Mais comme au cinéma... C'est partout en fait.
Comment faites-vous la différence entre une blague genrée et une blague sexiste ?
S.C. : Le principe de blagues sexistes, homophobes, racistes... c'est que ce sont des blagues qui visent à déprécier des gens par rapport à leur appartenance, leur sexualité, leur genre, etc. Ça stigmatise pour disqualifier. Et c'est ça la différence entre une blague sexiste et une blague de genre.
M.G. : Dans un cas, la différence est l'objet de la rigolade. C'est fait pour déprécier. Dans l'autre cas, on peut souligner la différence sans pour autant déprécier. C'est une question de qui, où et avec qui on parle, une question de base affinitaire. Nous, on dirait si vous êtes au bureau par exemple, dans un endroit avec une grande diversité de gens avec qui vous partagez une forme de quotidien, mais pas d'intimité. On vous inviterait à éviter toutes blagues qui portent sur le genre, l'appartenance religieuse, la couleur de peau, etc. Parce que vous ne savez pas comment ça peut être vu. Après que vous lanciez une blague sexiste à 4 heures du matin avec vos potes parce que vous savez qu'elle va être interprétée au second degré, comme une façon de dénoncer un gros con qui fait une blague sexiste. Bon, il faut juste se connaître un peu mieux.
Pouvez-vous donner un conseil ultime pour se lancer dans l'humour et les blagues au quotidien à nos lectrices ?
S.C. : Il y en a un simple : achetez notre livre après. (rires)
M.G. : Oh la vilaine. (rires) Des conseils, on peut en donner pleins. Un qui me vient serait : Faites vous confiance, allez -y, lancez-vous ! Ou un deuxième serait : Ne subissez pas l'humour des autres, passez en mode action ! Dites ce que vous aimez, ce que vous n'aimez pas.
S.C. : Personne ne meurt jamais d'un bide. Donc il faut oser se lancer. Après si c'est mal interprété, tout simplement, on s'excuse.
M.G. : Et à l'inverse, on dit quand on est blessé.
Interview exclusive ne pouvant être reprise sans la mention du Journal des Femmes.