La Famille, une communauté (secte ?) où l'on enfante qu'entre membres

Soupçonnée de dérives sectaire, La Famille – une communauté religieuse recensant 3 000 personnes apparentées – est dans le viseur de la Miviludes. Focus sur cette collectivité aux pratiques étonnantes.

La Famille, une communauté (secte ?) où l'on enfante qu'entre membres
© Edward Olive

Ils sont 3 000 et ne se marient qu'entre eux. C'est la Famille, une communauté religieuse basée à l'est de Paris. Cette collectivité vieille de deux siècles - où seulement huit patronymes se détachent - est soupçonnée de dérives sectaires par la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes). En cause ? L'isolement induit par ce mouvement "par rapport au monde extérieur" qui constituerait "une menace d'un point de vue psychologique", notamment pour les enfants.

"Les élus de Dieu"

Dans cette grande famille, il s'agit avant tout d'être le meilleur croyant possible. "À l'instar des Témoins de Jéhovah ou des Mormons aux Etats-Unis, ses membres anticipent la fin du monde," analyse pour Le Parisien l'historien Jean-Pierre Chantin, chercheur à l'ISERL (Institut supérieur d'étude des religions et de la laïcité). Il ajoute : "Ils se voient comme les élus de Dieu".

Du fait de la consanguinité induite par leur mode de vie, les membres de la communauté souffrent souvent de handicaps, de cancers ou de maladies auto-immunes. "Mes cousins germains, mariés, ont eu cinq enfants, révèle Pauline, une dissidente dans le quotidien. Deux sont morts en bas âge et trois sont handicapés. Mais pour [La Famille], c'est la volonté de Dieu…". 

Un quotidien gouverné par des règles strictes

Un ensemble de croyances qui a poussé les membres de cette communauté à s'organiser selon des règles strictes.  "Ils régissent tout de votre vie", atteste Alexandre, un ancien membre. En plus de devoir se marier vierge et à l'orée de leur vie, les personnes issues de cette communauté n'ont pas le droit de danser, de se couper les cheveux et, les femmes, de se vêtir de pantalons.

Si les hommes doivent se cantonner aux professions subalternes, les femmes, quant à elles, ne doivent tout simplement pas travailler. "S'il n'y a pas d'autre choix, elles font les marchés ou de la couture", détaille Robin dans les colonnes du Parisien.

Pour elles, l'objectif est avant tout de donner la vie. Une soixantaine de naissances est d'ailleurs recensée chaque année dans cette "secte", comme la qualifie Alexandre, parti à l'âge de 16 ans.

C'est d'ailleurs à cet âge juvénile que les enfants nés dans la Famille, des têtes blondes aux traits étrangement similaires, doivent quitter l'école. La base de leur éducation ne se trouvant pas en effet dans les salles de cours, mais dans une vision apocalyptique de l'avenir.

Selon l'enquête menée par Le Parisien, "des centaines de cantiques ou textes religieux accumulés au fil du temps apparentent la société à une terra incognita peuplée de satans".

Et Céline, une trentenaire devenue réfractaire aux principes de La Famille, de commenter pour nos confrères: "J'ai compris très vite que je n'étais pas comme les autres enfants. Je partais de chez moi le plus tard possible pour rester le moins longtemps possible dans la cour. Je n'allais jamais à la cantine, et je n'avais pas le droit d'aller chez mes copines". Trop côtoyer le monde extérieur revient en effet, selon les principes de la Famille, à rejeter Dieu nommé affectueusement "Bon Papa" par les membres de la communauté.

Des cas d'abus sexuels

Une vie quotidienne favorisant l'autarcie qui laisse parfois les pires drames se produire.

Selon les témoignages de plusieurs anciens membres, les cas d'abus sexuel intrafamiliaux seraient monnaie courante. "J'ai été violée par mon propre frère, lâche Pauline au Parisien. Ma mère l'a toujours soutenu. Il ne fallait pas faire d'histoire. C'est pour cela que je suis partie…".

Et Marine, victime d'attouchements sexuels à l'âge de 13 ans, d'ajouter : "L'enfant victime n'a aucun secours possible puisqu'enfermé dans une communauté où le silence est le mot d'ordre. Le drame est étouffé pour préserver l'unité".

Des cas de figure qui n'ont pas échappé à la surveillance de la Miviludes. "La méfiance de cette Famille envers le monde extérieur dissimule les abus sexuels qui peuvent s'y produire", admet la secrétaire générale de l'organisation, Anne Josso.

Au-delà de ces événements relevant du pénal, "des enquêtes sociales sont en cours concernant la situation de plusieurs enfants", a tenu à préciser cette dernière à nos confrères.

Malgré l'intérêt que Miviludes porte à cette communauté, Anne Josso est pourtant bien consciente de la difficulté de ce dossier. "Si certains faits relèvent de la dérive sectaire, ce n'est pas toujours le cas", confie-t-elle. Elle précise: "Ces gens ont aussi droit à leur mode de vie et de croire au Bon Papa s'ils le souhaitent".

A eux désormais de définir la limite qui sépare le respect des modes de vie de tout un chacun et la prévention des possibles dérives sectaires.