Affaire Robert Boulin : 40 ans après la mort du politicien, sa fille mène l'enquête
Complot, affaire d'Etat, machination. Le 30 octobre 1979, Robert Boulin, ministre du Travail sous Georges Pompidou, est retrouvé noyé... dans la forêt de Rambouillet. La Justice conclut à un suicide, mais 40 ans après, le mystère plane toujours et la famille se bat !
De par la position de la victime et les zones d'ombre autour de sa mort, l'affaire dite Robert Boulin, reste, 40 après les faits, l'une des plus importantes de la Ve République.
Retrouvé sans vie dans l'étang Rompu, au coeur de la forêt de Rambouillet (Yvelines) le matin du 30 octobre 1979, Robert Boulin hante les pensées de ceux qui se souviennent... Comme sa fille, Fabienne Boulin-Burgeat.
En 2015, malgré les conclusions de la Justice, la fille de l'ancien proche de Valéry Giscard d'Estaing, demande de relancer l'enquête pour "assassinat" et de mettre sur pied une reconstitution judiciaire.
Face au temps qui joue en sa défaveur et grâce à l'aide de proches et de témoins, Fabienne Boulin-Burgeat a rejoué, ce lundi 28 octobre 2019, les derniers instants de la vie de son père, à Saint-Léger-en-Yvelines -soit à une quinzaine de kilomètres de Montfort-l'Amaury, là où le politicien aurait été vu peu avant que son corps ne soit retrouvé au coeur de la forêt de Rambouillet-, pour déterminer les causes exactes de la mort de l'ancien membre du RPR.
Au micro de France Bleu, la descendant du défunt a justifié son geste désespéré qui n'a aucune valeur aux yeux de la Justice."Il y a une inertie insupportable, des témoins âgés [...] Je pense qu'il faut qu'il y est une priorité pour qu'on dise la vérité sur l'assassinat de Robert Boulin. Je ne lâcherais pas avant que mon père retrouve son honneur et que moi, en tant que citoyenne, je puisse avoir plus confiance en la Justice". Un compte-rendu de cette reconstitution sera fait jeudi 31 octobre lors d'une conférence de presse.
Des témoignages capitaux mis de côté
En effet, de nombreux éléments empruntent le sens contraire de la conclusion de la Justice, qui assure que Robert Boulin s'est suicidé. Tout d'abord, les témoignages du médecin-réanimateur de la SMUR et du gendarme qui trouvent le corps de Robert Boulin, 59 ans, ce matin d'octobre 79.
Entendus par France Inter, les deux hommes dont l'identité est protégée pour des raisons évidentes sont formels : impossible qu'il s'agisse d'un suicide."Tout de suite, ce qui nous a sauté à l'idée, c'est qu'il était dans l'eau, mais pas dans la position d'un noyé. Il était à quatre pattes, un bras en l'air et un autre vers le bas. Les autres pompiers se sont fait aussi cette réflexion. (…) On avait l'impression qu'il avait été placé mort dans l'eau, parce qu'il n'avait pas la position d'un noyé dans l'eau. À priori, il devait être mort avant."
Une fois sorti des quelques centimètres d'eau dans lequel il flotte, le visage de Robert Boulin révèle des ecchymoses et griffures Les pompiers et gendarmes présents sur place remarquent également que son dos est bosselé. Aurait-il été passé à tabac ?
Un conducteur affirmant avoir croisé le député-maire de Libourne (Gironde) quelques heures avant sa mort, sème le trouble... Ce dernier aurait vu le ministre dans sa voiture accompagné de deux jeunes gens, l'un conduisant et l'autre côté assis à l'arrière, à Montfort-l'Amaury (Yvelines). Malgré leur grande qualité, ces deux témoignages n'ont jamais été pris en compte par les enquêteurs de la SRPJ de Versailles. La thèse du suicide est encore privilégiée.
Robert Boulin, l'homme à abattre ?
En 1983, le corps de Robert Boulin est exhumé. Les enquêteurs découvrent une dépouille momifiée : les organes ne sont plus là, le visage tuméfié a été maquillé...
De plus, les archives (les dossiers et les courriers personnels) du ministre sont détruites par la SAC (Service d'Action Civique, service d'ordre gaulliste du parti RPR) "à la demande de la famille", alors que cette dernière nie avoir demandé la disparition de telles preuves.
Bernard Fonfrède, ancien assistant parlementaire du député suppléant de Robert Boulin, a pu consulter les dossiers de son collaborateur avant de leur destruction. En 2017, interrogé par Benoît Collombat, journaliste d'investigation, il partage les phrases qui lui sont restées en tête, trente-huit ans plus tôt : "Le grand veut ma peau", "j'ai de quoi les faire taire".
Bernard Fonfrède évoque "des dossiers sur le financement des partis politiques […], entre autres du RPR, par Elf-Gabon… la Françafrique".
Est-ce parce qu'il faisait figure de menace que Robert Boulin (qui a également été ministre de la Santé publique, ministre de l'Agriculture et secrétaire d'Etat au Budget, ndlr) est devenu l'homme à abattre ?
Face à son décès suspect et prématuré, la famille Boulin, ainsi que certains politiciens qui n'hésitaient pas à contester les conclusions de la Justice, en avaient déjà la certitude il y a quarante ans.
Affaire Boulin : faire renaître le passé
S'appuyant sur ces éléments et témoignages, Fabienne Boulin-Burgeat, qui s'est également tournée vers la CIA comme nous l'apprend 20 Minutes, exige l'ouverture d'une nouvelle enquête. Mais la Justice met du temps à donner son accord de réouverture... Il faut attendre 2015 pour que le Tribunal de Versailles entame enfin une information judiciaire pour "arrestation enlèvement et séquestration suivi de mort ou assassinat".
Un juge d'instruction a également nommé quatre experts pour faire toute la lumière sur cette affaire, qui prend un nouveau tournant. Leurs conclusions devraient aboutir d'ici mars 2020.
Épaulée par Maître Marie Dosé, mais aussi par deux des témoins (le médecin-réanimateur et un inspecteur de la police judiciaire de Versailles) Fabienne Boulin veut que la vérité, à propos de la mort de son père, éclate.