"Je connais certaines femmes battues, mieux que leur propre mère"

A 32 ans, Julie Bissiau suit chaque année une cinquantaine de femmes victimes des coups de leur mari. Référente en violences conjugales dans le département du Nord, cette jeune femme solaire, douce et déterminée est l'un des personnages clé du documentaire "Violences conjugales, parler pour renaître", diffusé lundi 13 janvier sur France 3.

Vidéo : voir un extrait du documentaire ci-dessous. 

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Vous êtes référente en violences conjugales depuis 2009 : en quoi consiste votre mission ?

Julie Bissiau : Mon poste s'articule autour de deux missions : d'un côté, je soutiens et accompagne des victimes dans leurs démarches d'urgence ou dans la durée : chez l'avocat, le médecin, auprès des services sociaux... Depuis ma prise de fonction, j'ai accompagné plus de cinq cents femmes dans leur processus de reconstruction. Je n'en vois certaines qu'une fois, d'autres de façon très régulière, mais je peux vous assurer que j'en connais certaines mieux que leur propre mère.

De l'autre, je forme et sensibilise le corps social et médical, les forces de l'ordre et de la justice à la reconnaissance des symptômes et des différentes étapes du processus psychologique d'une femme victime de violence. L'objectif est qu'ils sachent déceler ces indices et proposer des solutions. Quand on sait à quel point la démarche est difficile pour une femme fragilisée de déposer ne serait-ce qu'une main courante, entendre un gendarme dire "je ne perds pas mon temps avec une femme battue, elle retirera sa plainte de toute façon" est désarmant.

Vous avez été vous-même victime d'un compagnon violent. Comment parvenez-vous à garder de la distance ? 

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Julie Bissiau accompagne 50 femmes par an dans leur processus de reconstruction. © Capa

J.B. : Je crois que j'ai trouvé le bon équilibre : je suis à la fois super impliquée et super distante. Je ne peux pas me permettre de rentrer trop dans l'affect. Avoir moi-même été victime m'aide à mieux comprendre les choses de l'intérieur. Je sais ce qu'elles vivent. Mais pour bien faire ce métier, il faut avoir avant tout une formation solide et un esprit militant. Pour ma part, j'ai passé un Master 2 en violence intra-familiale en Espagne. Je suis allée le chercher, ce diplôme ! Souvent, il s'agit de juristes ou assistantes sociales, qui ont réalisé en plus un mémoire sur la violence conjugale.

Quels sont les publics les plus difficiles à accompagner ?

J.B. : Les femmes qui restent le plus terrées dans le silence sont d'abord les personnes de plus de 60 ans, qui ont peur de briser quarante ans de mariage, même si leur vie est devenue un enfer. Ensuite, les femmes de haute catégorie sociale, comme les médecins par exemple, sont difficiles à toucher. Là, il s'agit plutôt d'une pression sociale, de ne pas vouloir casser une certaine image de soi et de sa famille. Enfin, pour les agricultrices et fermières, certains paramètres comme l'isolation accrue, le manque de mobilité, la peur du commérage ou le port d'arme d'un conjoint chasseur, compliquent la problématique de base.

Jugez-vous les dispositifs existants suffisants ?

J.B. : On manque encore de structures spécialisées et d'accompagnants experts mais il y a des avancées depuis 2010 et une véritable implication politique. Ma nomination au poste de référente départementale en est la preuve. Mais sur quatre référents, je suis la seule à travailler avec cette spécificité, et j'ai cent villages à gérer.

Voir un extrait du documentaire dans lequel Julie Bissiau  :

"Julie Bissiau, référente en violences conjugales"

 

 

En savoir plus :

 Le documentaire "Violences Conjugales : parler pour renaître", réalisé par Sarah Lebas et Laurent Dy, est diffusé sur France 3 le 13 janvier 2014 à 20h45. 

 Julie Bissiau est également l'auteur de J'aime le diable, paru aux Editions K&B en 2009.