Juliette Fievet, journaliste sur RFI : "Soprano et Gims ont remplacé Florent Pagny"

Juliette Fievet a tout vécu : animatrice, journaliste, manageuses d'artistes. Cette passionnée de hip-hop est aux commandes de "Légendes Urbaines" sur RFI, une émission qui raconte le rap autrement. Elle prête une oreille attentive, nous fait découvrir des histoires de vie, et balaie d'un revers de main les critiques qui soutiennent que ce genre de musique est misogyne. Confidences.

Juliette Fievet, journaliste sur RFI : "Soprano et Gims ont remplacé Florent Pagny"
© Vince Corly

Juliette Fievet est impressionnante de détermination et de courage. Cette touche-à-tout a un parcours pour le moins atypique : de manageuse d'artistes (Kerry James, Nelly Furtado, Shaggy ou encore Sean Paul) à journaliste, la jeune femme semble avoir vécu mille vies. Aujourd'hui, cette journaliste de 40 ans est aux commandes de son émission Légendes Urbaines, sur RFI, dans laquelle elle prête une oreille attentive aux confidences des stars du rap et du hip-hop français. On pourrait l'écouter parler pendant des heures, que l'on soit féru de hip-hop ou pas… car ce que Juliette Fievet a à cœur, c'est de mettre en avant des facettes inconnues de la personnalité d'un rappeur. Au-delà du morceau, l'animatrice étend la réflexion à d'autres sujets. La musique est un prétexte pour parler de géopolitique, histoires de vies, culture… Elle insiste pour que l'on se tutoie, instaure immédiatement un climat de convivialité avec sa voix et son ton chaleureux. Confidences d'une passionnée qui clame haut et fort : "On peut écouter Debussy et être fan de Booba".

Le Journal des Femmes : Tu as un parcours plutôt atypique...
Juliette Fievet :
J'ai été adoptée à l'âge de 2 ans par un couple de français ch'tis. Je viens d'un village où il y a pratiquement plus de vaches que d'habitants (rires), mais je découvre le rap très tôt. À l'âge de 18 ans, les Fugees (groupe de hip-hop composé de Lauryn Hill, Wyclef Jean et Pras Michel, NDLR) passent en concert au Zénith de Lille. Le problème ? Avec mes copines, je n'ai pas d'argent, je me dis bêtement que si je viens devant la salle dans l'après-midi, je pourrai trouver des places de concert moins chères, ce qui est ridicule quand on y pense (rires) ! D'un coup, on voit Wyclef Jean passer devant nous, il est un peu perdu, et je maîtrise plutôt bien l'anglais. Alors, je lui indique les loges. Il nous demande si l'on a nos places et nos tickets, on lui dit que non, et là, il nous fait entrer dans les coulisses. En observant toute cette machine en coulisses, je me dis : "C'est ça que je veux faire dans la vie." J'ai arrêté le BTS ventes dans lequel je m'étais embarquée et où je vendais des portes-clés à l'effigie de l'école. Autant te dire que c'était beaucoup moins passionnant !

Tu as managé Kery James et même Sean Paul. Est-ce un milieu où il est difficile de faire sa place en tant que femme ?
Juliette Fievet :
Le monde est misogyne, donc je ne te dirai pas que le rap ne l'est pas, mais je pense que le sexisme, contrairement aux apparences, est vachement moins fréquent que dans d'autres milieux beaucoup plus politiquement corrects où tout paraît lisse en surface. En tout cas, je n'ai jamais été harcelée ou autre. J'ai toujours travaillé dix fois plus, de toute façon. Si j'avais été un mec, peut-être qu'il aurait fallu que je bosse deux fois plus et non pas dix fois plus… Je suis tarée, complètement cinglée, mais passionnée (rires). Ce métier, c'est beaucoup de risques et de problèmes financiers. C'est difficile pour une femme en France qui n'est pas blonde aux yeux bleus. 
Malgré tout, dans ce milieu, de plus en plus de femmes prennent les rênes. Booba était managé par Anne Cibron, Pauline Duarte est devenue la première femme à la tête d'un label de rap, et par n'importe lequel, Def Jam France. Pour moi, les plus misogynes étaient plutôt les blancs énarques qui dirigeaient les maisons de disque. 

Les femmes rappeuses ne sont pas nombreuses...
Juliette Fievet :  Tout simplement parce que les nanas ne suivent pas les femmes rappeuses, elles préfèrent écouter des hommes rapper. Le problème de la misogynie ne vient pas uniquement des hommes. On dit souvent que la réussite commerciale d'un artiste est acquise dès lors que les femmes commencent à cautionner, à acheter. C'est plutôt vrai dans le rap.

Que réponds-tu lorsque les critiques soutiennent que le rap véhicule des idées misogynes ?
Juliette Fievet : Souvent, lorsque l'on me parle des nanas qui sont en string dans les clips de rap, je réponds : d'accord, mais on ne leur met pas un couteau sous la gorge… On ne nous cassait pas la tête lorsque Cloclo faisait danser ses Claudettes à moitié-nues, ou que l'on allait voir des meufs à poil au Lido ou au Moulin Rouge. Donc pourquoi ce ne serait pas cool dans le rap ? J'étais au concert de Nino le mois dernier, il y avait 60% de femmes dans le public. Si le rap était misogyne, cela voudrait dire qu'il y a 60% d'abruties qui ont le syndrome de Stockholm et ne savent pas lire entre les lignes ? Pour les détracteurs du rap, ce genre de musique n'est pas de l'art, tout est pris au premier degré. Les rappeurs, comme les artistes contemporains, sont simplement les narrateurs d'une certaine réalité. Ce que certains ont du mal à accepter aussi, c'est qu'aujourd'hui, le rap fait partie intégrante de la chanson française. Soprano, Dadju et Gims ont clairement remplacé Florent Pagny et Pascal Obispo…

Peux-tu nous parler de ton émission "Légendes Urbaines" ?
Juliette Fievet :
L'idée est de donner la parole aux artistes du hip-hop en abordant des sujets plus vastes comme la culture ou la géopolitique. Quand ils vont dans des émissions généralistes, 9 fois sur 10, ils se font défoncer par un chroniqueur payé pour massacrer le rappeur du coin. Je suis une manager, je viens de cet univers, donc pour eux, je suis une infiltrée dans les médias. Ils se sentent plus en confiance et se confient plus facilement. C'est une émission qui est audible pour des gens qui n'aiment pas le rap, car on découvre les personnalités autrement. 

Tu as un rythme de vie assez effréné, est-ce compliqué d'avoir une vie personnelle à côté ?
Juliette Fievet :
En ce qui concerne ma vie personnelle, c'est un peu le désert (rires). Mon métier est prenant et je pense que cela effraie les hommes. Cela les fascine… de loin ! Je n'ai pas de mari ni d'enfant. C'est la vie qui veut ça, mais ce n'est pas facile, car j'ai beau être toujours entourée, la solitude peut se faire ressentir. D'un autre côté, je pense que si j'ai fais ce métier, c'est que je n'avais pas le besoin réel de fonder une famille. J'en profite pour voyager et faire des choses que je n'aurais pas pu faire si j'avais été maman, mais je n'ai aucun regret. Au mieux, je gagne, au pire, j'apprends !

Retrouvez l'émission Légendes Urbaines le samedi à 12h10 TU vers l'Afrique et Paris et le dimanche à 21h10 TU vers toutes cibles, sur RFI.