Déborah François : "Je rêvais d'entrer à Sciences Po"

Dans "Les Héritières", diffusé sur Arte le 4 juin et déjà disponible sur arte.tv, Déborah François incarne une CPE attentive qui tente d'aider une élève de banlieue à intégrer le prestigieux lycée Henri IV. Confidences de l'actrice, qui aspirait à faire de longues études...

Déborah François : "Je rêvais d'entrer à Sciences Po"
© Déborah François, au festival du film de Cabourg, en juin 2020 par Marechal Aurore/ABACA

Déborah François incarne une CPE de collège bouleversante, impliquée et attentive dans Les Héritières, réalisé par Nolwenn Lemesle et écrit par les scénaristes Laure-Elisabeth Bourdaud et Johanna Goldschmidt. Un film, diffusé le 4 juin à 20h55 sur Arte et désormais disponible sur Arte.Tv, dans lequel son personnage aide celui de Sanou, une élève habitant la Seine-Saint-Denis, à s'adapter dans le prestigieux lycée Henri IV. Dans une certaine mesure, Déborah François s'identifie à cette situation ardue, puisqu'elle a commencé à 17 ans dans le cinéma, venant d'un monde complètement différent. La comédienne nous raconte son adolescence, ses débuts difficiles dans le 7e art, sa notoriété précoce...

Comment vous êtes-vous lancée dans l'aventure Les Héritières ?
Déborah François : La réalisatrice m'a appelée et tout s'est fait très rapidement. Deux jours après, je rencontrais la CPE qui a inspiré le film. Les choses ont été assez naturelles avec Nolwenn (Lemesle, la réalisatrice, ndlr). J'ai aimé sa démarche de s'entourer majoritairement de femmes pour ce projet. Des scénaristes, des actrices… Je n'avais jamais lu de scénario qui présentait ce thème de cette façon.
Je suis très contente que Les Héritières soit diffusé à la télévision, sur Arte et Arte.Tv, car j'imagine que l'on pourra toucher plus de gens, des personnes qui ne se déplacent pas forcément au cinéma pour voir ce genre de film. C'est plus facile d'être curieux sur ces sujets lorsque l'on est chez soi. 

Vous avez rencontré la CPE qui a inspiré le film, comment vous a-t-elle aidée à préparer votre rôle ?
Déborah François : J'avais des questions sur son rapport aux élèves, comment elle leur parlait… C'est difficile d'être CPE et cela peut l'être encore plus lorsque l'on est dans un lycée où les situations familiales ne sont pas évidentes. C'est un contexte particulier, il y a beaucoup d'élèves à gérer à la fois. L' équilibre n'est pas évident à maintenir entre cette volonté d'aider les élèves et ce devoir de garder son rôle de CPE. Il faut qu'elle soit respectée, elle est assez jeune, ce qui peut à la fois la servir et la desservir. 

A quel point votre personnage ressemble-t-il à la véritable CPE ?
Déborah François : J'ai l'impression que mon personnage est assez proche de la réelle CPE… mais qu'elle est encore plus rock dans la vraie vie (rires)! 

Vous avez joué au côté de l'actrice Tracy Gotoas, qui est une véritable révélation dans le personnage de Sanou...
Déborah François : Elle a une énergie dingue, rien ne lui fait peur. J'ai beaucoup aimé la façon dont elle a joué Sanou. Il y a à la fois ce respect de là d'où elle vient et cette envie de se battre pour être acceptée dans un nouveau milieu. C'est un exercice assez difficile, quelque chose que j'ai pu rapprocher de mon expérience lorsque je suis devenue comédienne assez jeune, vers 17-18 ans. Le décalage entre son milieu familial et le milieu professionnel vers lequel l'on tend, plus le temps passe, plus il peut être compliqué à gérer.

"J'étais complexée à mes débuts"

Vous avez commencé le cinéma à 17 ans. Comment avez-vous vécu ce plongeon dans le "grand bain" et cette notoriété si précoce ? 
Déborah François : Cela n'a pas été évident, déjà, à l'instar du personnage de Sanou, j'avais de longs trajets et allers-retours à faire. Moi, ce n'était pas en RER, mais en Thalys (rires). Je ne viens pas du tout d'une famille axée sur le cinéma. Contrairement à beaucoup de gens que j'ai pu rencontrer dans le métier, chez moi, on ne passait pas Godard le soir (rires). Je n'étais pas préparée, je n'avais aucune notion du cinéma classique… du cinéma tout court! J'ai dû apprendre toute cette culture sur le tas. Et cela peut être impressionnant.

Vous avez commencé dans un film des frères Dardenne…
Déborah François : Oui ! A Cannes, j'ai été confrontée à certaines questions de journalistes telles que: "Y a-t-il un côté Buñuel dans le film?" (rires). Je n'avais que 17 ans, je suis restée pantoise… Ce n'était pas très indulgent de leur part. Au début, cela m'a complexée. J'ai mis pas mal de temps, ne serait-ce qu'à évoquer d'où je venais, à dire: "Je ne viens pas de ce milieu, donc je peux vous parler du film, du personnage, des émotions… Mais je ne maîtrise pas le reste".

Ressentiez-vous un décalage entre vos proches et les personnes que vous côtoyiez au cinéma, au début de votre carrière ?
Déborah François : Il y avait effectivement un grand décalage entre mes amis qui se préparaient pour l'université, et moi, qui suivait un chemin différent. Peu à peu, on se fait des amis là où on va et pas forcément d'où l'on vient, puisqu'on a souvent de moins en moins de choses à partager. Je me suis éloignée petit à petit des bases que j'avais pour en apprendre de nouvelles. Mais c'est un saut dans le vide, cela fait peur. 

"Je pensais faire de grandes études"

Quelles ont été vos tribulations adolescentes ?
Déborah François : J'ai été cueillie en pleine adolescence, j'étais plutôt assez calme. Un peu comme Sanou, j'étais très bonne à l'école, je pensais que je ferais de grandes études. Mon rêve était d'entrer à Sciences Po Paris… Mais cela me paraissait assez inaccessible, surtout sur le plan financier, car je viens de Lièges et monter à Paris, c'est cher…

Et le cinéma est arrivé…
Déborah François : Cela a toujours été ma passion, j'avais toujours envie d'en faire mon métier, mais je ne pensais pas non plus que cela serait quelque chose auquel je pourrais accéder. Peut-être un peu comme l'élève d'un lycée de banlieue qui n'imagine pas qu'il ou elle puisse accéder à une Prépa à Louis Legrand ou Henri IV. 

Que pensez-vous de l'égalité des chances en France ?
Déborah François : Notre système de bourses n'est déjà pas le plus évolué. Il y a plusieurs années, j'avais fait un film avec Emmanuelle Bercot, qui s'appelait Mes Chères Études, et cela m'avait appris à quel point les étudiants sont dans la misère. Ceux qui doivent travailler pour payer leurs études ont trois fois plus de chances en France de rater leurs études… Les bourses ne les aident pas assez pour qu'ils puissent manger, se consacrer à leurs études, se loger… Nous avons encore beaucoup de progrès à faire dans ce domaine.

Ne manquez pas Les Héritières, une fiction réalisée par Nolwenn Lemesle et écrite par les scénaristes Laure-Elisabeth Bourdaud et Johanna Goldschmidt, sur Arte, le 4 juin à 20h55 et désormais disponible sur arte.tv, jusqu'au 1er septembre